Toy Story 1 & 2
Etats-Unis, 1995, 1999
De John Lasseter
Avec Tom Hanks, Tim Allen, Joan Cusak, Wallace Shawn, John Ratzenberger
Scénario: John Lasseter, Pete Docter, Andrew Stanton
Musique: Randy Newman
Photo: Sharon Calahan
Durée: 1h21 & 1h52




Cachés derrière leurs visages de plastique caoutchouteux, leurs ressorts et leurs modules vocaux, les jouets vivent des aventures débridées que les humains ne peuvent imaginer. C'est particulièrement le cas dans la chambre du jeune Andy, où une communauté de jouets très soudée se met en quatre pour faire plaisir à son maître.


IT'S A TOY'S LIFE

Le premier long métrage du jeune studio sort en 1995 et fait l'effet d'une bombe immédiate dont les conséquences sont encore visibles aujourd'hui. Le principe - des jouets possédant une vie propre quand les humains ont le dos tourné - est inspiré d'un des premiers courts métrages d'animation du studio: Tin Toy. Toy Story introduit ce monde insolite et dirigé par Woody, la figurine cow-boy, sûr de lui et affable. Son univers stable et délimité par les frontières de la chambre d'Andy - son propriétaire - bascule le jour où son rôle de jouet préféré est menacé par l'arrivée de Buzz l'Eclair un ranger de l'espace sur-sophistiqué. Le succès est immédiat et révèle un petit studio affilié à Disney: Pixar. De récompenses en performances au box-office, une suite est rapidement mise en chantier. Destinée au marché vidéo comme toutes les suites Disney, un Toy Story 2 au rabais d'à peine plus d'une heure est d'abord envisagé. Les voix des deux héros, Tim Allen et Tom Hanks sont à nouveau engagées alors que la phase de production est prévue pour être courte et bon marché. Seulement devant la qualité de l'histoire, les deux acteurs insistent pour obtenir un passage sur grand écran. Disney donne son accord, le format du film passe du 1.33 au 1.85, l'histoire est étoffée par de nouveaux personnages et l'intrigue devient plus touffue. Le succès est immédiat et surpasse amplement les résultats de Toy Story. Relatant l'expédition de Buzz et des amis de Woody pour sauver ce dernier des griffes d'un collectionneur vénal, le film est un concentré jubilatoire d'action et de références cinéphiles. Depuis 2001 jusqu'à l'inévitable Guerre des étoiles en passant par Goldfinger, Toy Story 2 répond parfaitement à l'adage Disney du film à plusieurs lectures. Poussé jusqu'à son paroxysme, le principe cimente les différents éléments du film avec une réalisation exaltée, de nombreux personnages fouillés et une réflexion légère et pertinente sur l'enfance. Avec ces deux films, Pixar est parvenu à apposer sa griffe particulière dans le monde de l'animation. Deux films à regarder avec les yeux écarquillés et crédules de l'enfant qui sommeille en chacun de nous.


LOST IN THE BEDROOM

Dérivant de son principe - des jouets vivants dans un monde normal - la notion d'espace d'action est primordiale dans les deux Toy Story. Ici la caméra est sans cesse supposée être à quelques centimètres du sol afin de mieux suivre les protagonistes aux courtes proportions. Cette position a une conséquence immédiate: les perspectives fuient toutes vers le haut et l'objet anodin et banal devient une montagne à gravir. A l'instar d'un Piège de cristal qui réinventait sans cesse l'emploi d'un espace clos, Toy Story s'impose comme une référence dans son domaine. Une chambre à coucher prend des airs de zone urbaine, peuplée des géants de Don Quichotte. Les rayonnages d'un magasin de jouets deviennent ceux du labyrinthe d'un Minotaure - Zorg - se tenant en embuscade. La traversée d'une route se transforme en odyssée et la pince d'un jeu de fête foraine est vénérée comme une divinité implacable. La mise en scène est entièrement orientée vers le point de vue du jouet et sa façon de percevoir le monde environnant. Protégé entre les murs d'une chambre d'enfant, il n'est pas préparé à affronter le monde extérieur dont les dimensions s'étendent à l'infini. Pire encore, lorsque ce monde extérieur ouvre les portes vers d'autres mondes lointains tel que ce terminal lors de la scène finale de Toy Story 2 ou bien le camion de déménagement de Toy Story qui déplace l'ancien monde des jouets vers un nouveau.


Le microcosme des jouets n'est pas nécessairement hostile, il sait parfois devenir familier, rassurant et protecteur. N'étant pas le premier à représenter des héros de petite taille dans un environnement trop grand - on trouvera au choix les Minipouss, Les Voyages de Gulliver ou un film Disney - Pixar bénéficiait de cette expérience pour représenter les rapports de taille. La chambre d'Andy est la matrice originelle, le lieu où les jouets, dès qu'ils sont "activés", prennent vie. L'environnement qu'ils découvrent deviendra leur univers familier au même titre qu'il les protège. Symboliquement, c'est l'expression physique des désirs de l'enfant: le désordre avec des bordures, évoluant et finissant par se structurer. Le lieu reflète son propre caractère, bon ou mauvais. La chambre et les meubles sont la projection d'Andy sur les jouets eux-mêmes. En son absence, ses dessins, ses jeux, ses livres rappellent la présence du Deus Ex et la raison de leur présence ici. Les jouets ne sont rien de moins qu'assujettis à la volonté de leurs propriétaires à travers la disposition des meubles, leur place dans la chambre définissant leur ordre social - l'étagère signifiant l'oubli alors que le lit spécifiant le rôle prépondérant du jouet qui y est assigné. La chambre demeure le point central, pivot de leur univers.


DANS LA PEAU D'UN JOUET

Microsociété organisée, régie par ses codes propres, le monde des jouets est tout entier tourné vers l'intérêt de l'enfant. Il ne s'agit pas de s'affranchir de sa condition ou bien de l'améliorer; c'est avant tout un métier, aux horaires flexibles et administrés par les velléités de leurs propriétaires. Contrairement à un Pinocchio, fable à laquelle le film fait sans cesse référence, aucun des jouets ne cherche à transcender sa condition pour faire sa place parmi les humains. Ici chacun reste à sa place, la progression des personnages est horizontale - comment accepter sa nature? - et non verticale - comment y échapper? Il est clair qu'à aucun moment les auteurs n'ont désiré inclure une intrigue de la sorte. Toutefois, il arrive qu'un jouet n'ait pas conscience de son rang et ne se comporte que selon sa personnalité supposée et induite. Au début du premier Toy Story, Buzz l'Eclair ne sait pas qu'il n'est qu'un jouet et se comporte comme un véritable ranger de l'espace sans pour autant, inconsciemment, outrepasser son rôle. Il sait au fond de lui qu'il n'est qu'un jouet et lorsque Andy joue avec lui, c'est bien en jouet qu'il se comporte. Ce n'est qu'au terme d'une aventure initiatique que cette schizophrénie cessera. Lors d'une scène du premier Toy Story, les deux protagonistes principaux se retrouvent dans la chambre de Sid, un gamin tortionnaire de jouet. A l'intérieur d'un véritable négatif de la chambre d'Andy, les jouets eux-mêmes empruntent des chemins transversaux de leur propre nature. Chacun s'est vu transformer et pervertir en changeant de corps, devenant par là même des zombies sans identité et dénués de parole. Leur salut n'arrivera qu'en transgressant les règles tacites de leur communauté.


Cependant, les jouets n'en sont pas moins dotés de sentiments humains et réalisent les limites de leur condition. Dans Toy Story 2, Jessie et le chercheur d'or sont des jouets qui ont reçu une épiphanie. Ils savent que leur propriétaire grandissent et finissent par se détourner de leur enfance. Ils savent aussi que c'est inévitable et irréversible. Cette séparation forcée a altéré leur façon d'envisager leur rôle principal. Forcé à regarder le spectre rugissant et cauchemardesque de l'abandon, Woody lui-même se met à douter. Une telle ambiguïté s'était déjà immiscée lorsqu'il réalisa que cassé, il pourrait ne plus intéresser son propriétaire - qui a grandi depuis le premier film - et finir dès lors à la poubelle. "Les jouets ne sont pas éternels" révèle sa mère. C'est ainsi qu'il réalise que le bonheur ne l'est pas plus et que l'apparente stabilité de leur profonde relation pourrait être plus vacillante et creuse qu'il ne l'aurait cru. Ce n'est que grâce à l'aide de son compagnon Buzz et de ses autres amis qu'il prendra la décision de ne plus fuir la réalité comme il s'était préparé à le faire. Peu importe la brièveté de la période durant laquelle sa propre vie aura un sens, son rôle est d'y prendre part pleinement. Trouvant de nombreux échos dans la vie humaine, cette légère mais toutefois essentielle réflexion philosophique sur le sens de la vie finit par consacrer pleinement la série des Toy Story. Ces films sont exceptionnels, drôles, rythmés et attachants. Dotés d'une écriture et d'une mise en scène précises et millimétrées, ils ne sont rien de moins que les plus beaux produits qu'un ordinateur puisse engendrer.


Nicolas Plaire