A Bug's Life
Etats-Unis, 1998
De John Lasseter et Andrew Stanton
Scénario : John Lasseter, Andrew Stanton, Joe Ranft
Avec les voix de : Dave Foley, Hayden Panettiere, Kevin Spacey, Julia Louis Dreyfus, Phyllis Diller, Richard Kind, Joe Ranft
Photo : Sharon Calahan
Musique : Randy Newman
Durée : 1h36




La colonie de fourmis est en effervescence, le Borgne et son gang de sauterelles seront là d'une minute à l'autre pour récupérer une part de leur récolte. Malencontreusement, du haut de sa maladresse légendaire, Tilt envoie l'offrande au fond de la rivière. Pour échapper au courroux des sauterelles, il décide d'aller chercher de l'aide en ville et reviendra quelques jours plus tard avec une troupe de cirque, convaincu d'avoir affaire à de féroces mercenaires.


MINIATURES TRANSLUCIDES

Après le monde des jouets, John Lasseter se penche sur un univers de plus petite échelle, celui des insectes. Si le principe de base reste le même que dans les Toy Story - jouer sur la différence des tailles: les brins d'herbe deviennent des séquoias géants, le lit asséché d'une rivière prend des allures de Grand Canyon etc. - le travail réside ici dans le rendu d'un milieu naturel non maîtrisé par l'homme. S'appuyant sur les images obtenues par leur bugcam, et sur les documentaires animaliers, les réalisateurs ont porté plus particulièrement leur attention sur les couleurs, la luminosité et les textures de l'environnement. Du point de vue des insectes, les feuilles d'arbre apparaissent comme des vitraux filtrant une lumière douce, irisée et colorée. Chaque plante devient sous les rayons du soleil une paroi translucide comme du papier de riz, à travers laquelle se devine la silhouette des personnages. Jouant sur une infinité de camaïeux, la palette de couleurs de 1001 Pattes est d'une richesse exemplaire, révélant un monde pastel et harmonieux. Mais ces petites bêtes ne vivent pas seulement à la surface de la terre au milieu des pissenlits, des graines et des gouttes de rosée.


Si John Lasseter et Andrew Stanton ont situé la plupart de l'action à l'extérieur de la fourmilière pour pouvoir plus facilement travailler sur la clarté de l'image, ils ont également ménagé des scènes en sous-sol et en intérieur. Dans l'imaginaire collectif, tout ce qui touche au souterrain est sombre, voire totalement obscur. Le défi graphique d'un tel univers était de trouver une luminosité et des couleurs intérieures crédibles qui resteraient en adéquation avec l'esthétique développée dans les scènes de surface. Pour éclairer les creux et galeries d'arbres dans lesquels se logent les fourmis, les directeurs artistiques ont eu l'idée de créer des champignons fluorescents démultipliés sous toutes les tailles. Accroches murales, lampadaires, feux de signalisation ou lampes de poche, ces glutineux fongiques diffusent une lumière bleutée lunaire du plus bel effet. Les autres intérieurs ont été traités avec la même attention. Le bar tex-mex, repère des sauterelles, installé dans un sombrero décrépi, bénéficie d'un éclairage chaud couleur paille, résultant de la lumière du jour filtrant à travers les mailles du chapeau. Enfin, le chapiteau du cirque dans lequel travaille la troupe de Lilipuce est orné de deux poursuites fonctionnant aux vers luisants.


LET MY PEOPLE GO

Les films marqués du sceau Pixar ont tous une ou plusieurs références cinématographiques inhérentes à leur sujet. Celle de 1001 Pattes est plus qu'évidente. Le film se construit comme Les Sept Samouraïs de Kurosawa, ayant lui-même inspiré Les Sept Mercenaires auquel le nom français du cirque de Lilipuce Les Sept Moustiquaires fait directement allusion. Mais au-delà de cette simple copie de structure filmique, le deuxième long métrage du studio Pixar est également une référence directe à la lutte séculaire contre l'esclavage et l'oppression. Réel gospel graphique, 1001 Pattes tisse une analogie étroite avec les discours anti-esclavagistes du 19ème siècle et les textes des negro-spirituals. Si Tilt décide de quitter son île c'est pour défendre "la colonie et toutes les fourmis opprimées du monde entier", tel un Moïse guidant son peuple face à Pharaon, la jeune fourmi ose tenir tête au Borgne dans un discours final qui lui vaudra la reconnaissance de toute sa fourmilière: "Nous ne sommes pas nés pour être vos esclaves, Le Borgne. [...] C'est vous qui avez besoin de nous. Nous sommes plus forts que vous ne le laissez croire, et vous le savez, j'en suis sûr".


Directement lié à ce thème de la lutte contre l'esclavage, découle celui de la cohésion sociale. Caractère intrinsèque d'une colonie de fourmis, cette idée a été utilisée par John Lasseter et Andrew Stanton en tant que fil conducteur du film. Comme le souligne Le Borgne à ses acolytes fainéants et dégénérés, les fourmis sont puissantes grâce à leur nombre et à leur volonté. Prises individuellement, elles ne représentent aucun danger, mais leur propension à la collaboration pour créer un réel organisme vivant les rend infiniment plus puissantes que n'importe quel autre insecte. La révolte lancée par Tilt va permettre à sa colonie de prendre conscience de cette force. Catalysée dans un premier temps autour de la création de l'oiseau - "Si nos ancêtres ont pu bâtir cette fourmilière, notre devoir est d'unir nos forces et de construire cet oiseau", déclare la Princesse Atta à ce sujet - elle sera mise au grand jour par l'ultime audace de Tilt. Chaque personnage au départ isolé par ses problèmes personnels (les ailes pour Couette, la reconnaissance de la colonie pour Tilt et Atta, le respect des traditions pour le Fourmiconseil, etc.) s'engagera dans cette direction pour venir enfin à bout des sauterelles.


Julie Anterrieu