S'il y a un art plus proche du septième que les autres, c'est bien la bande dessinée. La photographie et le dessin seul ne racontent pas une histoire à proprement parler. Depuis toujours, les storyboards prennent des allures de comic books, avec leurs indications de mouvements évocatrices et leur capacité à illustrer les évènements par le pouvoir de l'image seule. Ne dit-on pas qu'un bon film se doit d'être compréhensible même le son coupé? Et qui, dans sa tendre enfance, n'a jamais lu une bande dessinée sans prendre en compte des bulles? Que pouvait-il alors naître de la rencontre entre les deux arts? Bien qu'il y ait eu de nombreuses adaptations par le passé, ce n'est qu'avec ce récent renouveau que les comics ont trouvé leur véritable langage cinématographique.


Quel est le principal point de différence entre la bande-dessinée et le ciné- ma? Le mouvement. Dès lors, la question qui s'est posée aux différents réali- sateurs s'étant attaqués au genre était de savoir par quel moyen il était possible de rapprocher les deux médias. Comment pouvait- on évoquer directement les cases caractéristiques des comics à l'écran? Lorsque les premiers éléments de réponse parviennent jusque dans les salles, ce n'est pourtant pas dans une ada- ptation. Cependant, il est évident à la vision du film, et les frères Wachowski ne s'en cachent pas, que l'une des influences majeures de Matrix (1999) est le comic book. Outre la participation à la conception du film (sto- ryboards,croquis) par des
 
dessinateurs réputés (Steve Skroce, Geoff Darrow), c'est le tant discuté effet "bullet time" qui s'avère être la parfaite représentation filmique du style comic book. Comment? Tout simplement en utilisant les dernières avancées tech- nologiques de manière para- doxale, visant à atteindre un certain aspect figé, immédia- tement évocateur du dessin sur papier. Comment fonc- tionne le "bullet time"? Ini- tialement, il s'agit d'un dispo- sitif photographique composé de plusieurs appareils placés généralement sur un axe de 360° et capturant simulta- nément une image, permet- tant alors de tourner autour d'un sujet figé. Le temps s'est arrêté mais l'œil bouge toujours. C'est cette nouvelle alliance entre l'image (réel- lement) fixe et le mouvement (virtuel) de l'objectif que va
 
développer John Gaeta, su- perviseur des effets spé- ciaux de Matrix. Faisant quelque peu perdre sa par- ticularité au procédé, Gaeta ne programme plus les ap- pareils pour qu'ils prennent leur photo au même mo- ment mais de manière à ce qu'ils capturent chacun une image différente à quelques fractions de seconde de différence. Pour simplifier: il fait faire à plusieurs ap- pareils ce qu'une caméra seule ne pourrait faire. Il obtient alors une image ra- lentie, incroyablement flui- de, au plus proche de l'image figée, créant l'il- lusion de plusieurs plans fixes (semblables à des cases) liés par un mouve- ment de caméra invisible.



C'est à partir de cette idée que va se développer un nouveau langage formel qui connaîtra des variantes mais dont toutes les représentations auront un élément commun: la liberté de la caméra. A l'instar des super-héros qui figurent dans leurs films, les met- teurs en scène vont faire faire l'impossible à leur
 
caméra. Leur super-pouvoir: la technologie numérique. Toujours dans le but de rendre identique l'image fil- mée et l'image dessinée, Sam Raimi va faire appel aux effets spéciaux pour concevoir intégralement plusieurs plans de Spider-Man (2002). En ralentissant la vitesse du métrage, il crée un montage proche de la succession de
 
cases. Impression exacer- bée par les poses des per- sonnages ainsi que les choix de perspectives, typi- ques du dessin de comic- book, censés représenter le dynamisme de l'action en dépit de l'absence de mouvement.






Dans le même film, on pou- vait également voir quel- ques séquences (la plus notable étant le tout dernier plan) où la caméra suivait l'homme-araignée dans les airs comme aucun opéra- teur, aucune grue ni aucun hélicoptère ne le pourrait. Plan entièrement numérique encore une fois, permettant à la caméra d'évoluer à tra- vers les cieux avec la même aisance que le héros him- self. Ceci est l'œuvre de John Dykstra, spécialiste en
 
effets visuels, qui avait déjà expérimenté ce procédé l'espace de dix secondes lors d'un plan furtif de Batman Forever. En 2002, à la même époque que Spider-Man, sort Blade II de Guillermo Del Toro. Son auteur va utiliser la même idée, poussant lui aussi l'enveloppe un peu plus loin, en liant de manière évi- demment invisible les plans réels avec les acteurs live et les plans 100% digitaux, suggérant plus que jamais par l'omnipotence de la ca-
 
méra, le pouvoir sur-humain du personnage. Se récla- mant de la japanime (où toutes les manipulations sont possibles), Del Toro croise alors les médias et préfère le "faux" plan- séquence à la succession de cases, mais son approche demeure représentative de cette recherche du point de vue impossible à l'écran mais possible sur papier.