Usual suspects

Usual suspects
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Attention: ce texte contient plusieurs éléments de l'histoire et du scénario révélant clairement toute l'intrigue jusqu'à son dénouement. Ne pas lire si vous n'avez pas vu le film.

Considéré comme un chef-d'oeuvre moderne par beaucoup, dénigré comme étant une arnaque par d'autres, le film a très rapidement atteint le stade de film culte. En 1995, il est projeté au festival de Cannes en séance spéciale, à l'instar d'autres petits films indépendants de réalisateurs débutants, comme Quentin Tarantino (avec Reservoir Dogs en 1992) ou Danny Boyle (avec Trainspotting) , et tout comme pour eux, c'est là que débutera la carrière du jeune Bryan Singer.

Pourtant, Bryan Singer n'est peut-être (sûrement?) pas le seul auteur de ce petit bijou. Il a tout d'abord su mettre en scène le scénario de Christopher McQuarrie, sublime de manipulation, et il fut très certainement aidé dans son élan par John Ottman, compositeur et surtout monteur du métrage. Cet art ainsi que celui du réalisateur sont essentiels à une matérialisation réussie du script complexe de McQuarrie.

Pourquoi ?

Parce que dans le cas présent, tout le monde est manipulé. Non pas seulement les protagonistes mais les spectateurs également. Et c'est ainsi qu'une intéressante mise en abyme transparaît d'un scénario qui semble juste être un travail d'écriture bien ficelé. Commençons par le début. Singer nous montre tout d'abord la seule séquence concernant les évènements cruciaux de l'enquête à venir qui puisse être considérée indéniablement comme étant la réalité diégétique. C'est la nuit. Il y a cet homme dont on ne voit jamais le visage mais seulement les actes, dobnt le meurtre d'un personnage identifié par la suite: Dean Keaton. L'homme mystérieux sera également identifié, mais pas avant la toute fin, car tout le film repose justement sur cette identification. Qui est-ce ? Pas encore...

Singer nous montre également différents lieux précis, quelques plans dont on ne comprend pas la signification ni même l'utilité à ce point du film et dont la justification n'arrivera qu'à la fin, avec tout le reste. Un mort (enfin plusieurs en réalité), une explosion, un dernier plan insistant sur un certain endroit du paysage, puis le jour se lève. Apparaît un nouveau personnage, Jack Baer, qui enquête donc sur les évènements de la nuit passée, et à travers lui Singer nous donne ensuite les toutes dernières infos qui garderont leur véracité après la révélation finale. Deux personnes ont survécu: un membre de l'équipage presque entièrement brûlé, et un boiteux. Ce boiteux, c'est Roger "Verbal" Kint. Qui est-il vraiment ?

C'est un criminel, profondément impliqué dans cette affaire, mais qui est parvenu à obtenir l'immunité. Cependant, l'inspecteur Dave Kujan n'abandonnera pas ainsi. Cela fait 3 ans qu'il enquête sur le cas de Dean Keaton, et il est bien destiné à trouver des réponses. Il organise alors un interrogatoire avec Verbal. Les bases sont posées. C'est à partir de là que va commencer la manipulation. Comment ?

Kujan est un flic. Il mène une enquête, il cherche à savoir, son devoir est de découvrir ce qui s'est passé. Kujan représente le spectateur. Tout comme lui, il va avoir à discerner le mensonge de la réalité. Tandis que Verbal représente le réalisateur, Singer, qui s'impose alors comme un démiurge là où Kint/Söze est le Diable. C'est ici que s'opère la mise en abyme. Singer nous manipule tout comme Kint manipule Kujan. Tout comme lui, nous sommes menés en bâteau, du début à la fin par l'histoire de Verbal. Le thème du conte est omniprésent. Il y a bien entendu tout ce mythe autour du personnage mystique qu'est Keyser Söze, mais aussi toutes ces petites histoires parallèles que crée Verbal en s'inspirant de ce qu'il voit dans le bureau, quand il ne s'en sert pas pour étayer son énorme mensonge. Plusieurs petites anecdotes qui viennent enrichir la crédibilité du personnage, mais qui prouvent également sa capacité à raconter une histoire. Verbal ("bavard") est l'ultime conteur. Il colporte par exemple cette saynète légendaire de la vie de Söze que Singer filme volontairement de manière presque surréaliste, ou plutôt onirique. Floue, remplie d'effets de filage, on dirait pas tant une scène de flash-back qu'un rêve, autrement dit quelque chose qui n'a pas réellement eu lieu. Dans le cas présent, il s'agirait donc d'une histoire inventée de toutes pièces. La toute dernière partie de la séquence est filmée différemment. A l'imagerie du rêve se substitue celle de la légende pure, de celle qui contient des personnages glorifiés, comme dans le cas présent en quelques plans proche d'un Desperado, où le soi-disant Söze s'éloigne au ralenti d'un feu croissant. Ce passage témoigne du style employé par Verbal dans sa narration à travers tout le film. Tel un conteur professionnel, il rapporte les faits de façon romancée. Pas étonnant que tant de dialogues du film soit devenus des répliques cultes. La tournure de ses phrases justifie alors l'apparence "trop écrite" de ses propos. Cet homme-là est en train de mentir. Il raconte une histoire. Il ne retransmet pas la réalité. Il évoque même des détails qui font sourire Kujan. Il le distrait. Dans tous les sens du terme. Il l'écarte de la réalité.

C'est exactement ce que fait Singer. David Fincher disait "Rendre crédible une réalité complètement fabriquée aux yeux du spectateur, c'est exactement le défi imposé à un réalisateur devant un film". Et c'est exactement le postulat du metteur en scène sur The Usual Suspects. Alors, on pourra toujours crier gentiment au scandale, dire que tout ça c'est bidon parce que tout est bâti sur un grand mensonge et donc forcément on se fait avoir, vu que rien n'est vrai. Tout ça c'est une grosse arnaque, le suspense n'est jamais réel parce que monté de toutes pièces. Au contraire. Singer ne cherche pas à créer du suspense, il joue consciemment sur sa fonction de cinéaste. On pourrait même dire qu'il donne là sa conception du métier, il est avant tout un conteur d'histoires. Il est donc un menteur. Il a tous les droits sur ce qu'il montre, il peut manipuler la vérité tel qu'il le souhaite.

Le cinéma, c'est le mensonge 24 fois par seconde. Exactement.

par Robert Hospyan

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Interactivité :

Le film : Usual suspects (1h45) Le commentaire audio du réalisateur Bryan Singer et du scénariste Christopher McQuarrie Le commentaire audio du compositeur John Ottman Les scènes coupées Les documentaires sur le casting et le tournage Les 3 reportages Le bétisier La bande-annonce L'introduction à la bande-annonce par le compositeur John Ottman Les interviews Les spots TV La galerie de photos

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