Manuscrit trouve à Saragosse (Le)

Manuscrit trouve à Saragosse (Le)
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Le jeune Alfons Van Worden, capitaine de la garde wallonne du roi d’Espagne, traverse les montagnes sauvages de la Sierra Morena pour se rendre à Madrid. Il fait la connaissance, dans l’auberge où il passe la nuit, de princesses maures qui lui dévoilent un mystère: il accomplira de grands exploits mais auparavant, il lui faudra prouver son courage.

HISTOIRE D’UN GRUYERE

Folie baroque et surréaliste vénérée par Martin Scorsese et Francis Ford Coppola, adaptée d’un bouquin barré dont l’auteur s’est fait sauter la calebasse en 1815 d’une balle en argent préalablement bénite par un prêtre, Le Manuscrit trouvé à Saragosse, réalisé par un Polonais de génie nommé Wojciech Has, retrouve enfin, via cette édition DVD, son format originel. Soit 182 minutes de vertige graphique en noir et blanc, restaurées contre vents et marées. Histoire d’un gruyère: lors de sa sortie en 1965, le film-monstre fut amputé de trente minutes, puis de trente autres, jusqu’à atteindre une durée plus classique de deux heures, au détriment d’une trame déjà complexe, rendue cette fois incompréhensible parce qu’outrageusement lacunaire. Rebaptisé Adventures of Nobleman, le monument de Has ne fera que quelques petits tours sur les écrans américains, avant de s’en aller vers un destin qui eut pu n’être qu’oublieux. C’était compter sans Jerry Garcia, pris de passion pour la version intermédiaire, de 152 minutes, qu’il avait eu la chance de se caler sous la pupille. Le futur guitariste des Grateful Dead allait dès lors consacrer beaucoup de son énergie pour retrouver la trace de ce classique charcuté. Il y laissera sa peau: la légende veut que Pacific Film ne remit la main sur la version intégrale qu’au lendemain de sa mort… avant de s’apercevoir qu’il ne s’agissait que d’une autre copie de la version de 152 minutes! Il faudra attendre que Martin Scorsese mette ses billes dans l’aventure, pour que Wocjiech Has puisse restaurer le matériel qu’il avait précieusement conservé, et enfin ressortir son bébé en salles en 1997.

LA GRANDE BOUFFE

Virevoltant, puissant, dantesque, Le Manuscrit trouvé à Saragosse a plus que de beaux restes. Rejeton déviant de la méconnue nouvelle vague polonaise, d’une frontalité plastique que ne renierait pas le cinéma iranien populaire de la fin des années cinquante (on songe par exemple à Shabneshini dar Jahanam de Samuel Khatchikian et Movashagh Sorouri, fascinante virée en enfer elle-même inspirée par les envolées picturales de Georges Méliès) ou l’avant-gardisme buñuelien (le grand Luis n’a d’ailleurs jamais dissimulé son amour pour le film de Has) de L’Age d’or, le titan de Has ne se lasse pas d’éblouir. Entrelaçant en son sein deux temporalités (celle du film et celle du manuscrit) en lesquelles se déroulent au moins une dizaine d'histoires et leur myriade de protagonistes afférents, Has parvient effrontément à maintenir le spectateur dans la connivence, par la seule force, herculéenne, de son imagerie. Balançant avec une aisance insolente entre le fantastique pur, l’érotisme plus ou moins crypté, le western et maintes autres éblouissantes strates oniriques, l’esthète polonais nous convie à un banquet plastique et narratif, dont on ressort la peau du ventre tendue, le pantalon déboutonné, moite de sueur, mais toujours partant pour quelque trou normand bonus. Certes, l’indigestion en emportera sans doute beaucoup avant la fin – c’est le piège du montage intégral, qui certes recolle tous les morceaux, mais traîne parfois un peu à arriver au bout. Paradoxe de l’extrême malléabilité du DVD (retour en arrière, sauts en avant, arrêts sur image et tutti quanti): ce genre de gigantesque friandise se déguste toujours mieux en salles. N’empêche, quel gueuleton!

par Guillaume Massart

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Interactivité :

Par rapport à l’exemplaire Zone 1, c’est un peu la débandade. Tout d’abord, les indispensables notes sur l’œuvre (filmo, bio, histoire de la restauration), originellement publiées dans un livret de huit pages, sont ici reléguées, à l’économie de papier, sur une piste DVD-Rom imprimable. Autres pertes, plus ou moins estimables: disparition de la galerie de huit photos (inutile gadget, on en convient) mais surtout de la musique de Krzysztof Penderecki, présente pourtant sur une piste isolée de la Zone 1. Rageant.

Heureusement, l’édition se rattrape dans le qualitatif: exemplairement restaurée, compte tenu de la genèse chaotique du film, l’image nous est restituée dans un noir et blanc soyeux. Idem pour le son polonais d’origine, en mono et néanmoins d’une qualité très satisfaisante.

Mention spéciale enfin au chapitrage, reproduit sur un livret, établi avec précision et qui, par sa simple présence et le sérieux de son découpage, autorise une circulation nouvelle dans une œuvre supportant d’être prise par un peu tous les bouts, en s’attachant à une temporalité, un personnage ou une sous-intrigue précise.

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