Crumb

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Peu avant son déménagement en France, Terry Zwigoff, qui le connaît bien, filme le célèbre bédéaste underground Crumb faire ses adieux rageurs à l’Amérique.

FERTILE TERREAU SORDIDE

Une vieille idée, que certains diront reçue, veut que les plus brillants artistes soient également les plus torturés. Van Gogh se tranchant l’esgourde, Céline enfascisé, etc. Si la règle connaît bien des exceptions, force est de reconnaître qu’une enfance instable, une bonne dose de frustrations et déviances, des orientations politiques troubles, autres précisez, font souvent les moteurs artistiques vrombissants et ingénieux. Nos héros modernes, leur frange underground en tout cas – la plus créative, forcément – n’y coupent pas. Ainsi Robert Crumb, génie absolu de l’art séquentiel, involontaire chef de file d’un courant tumultueux d’audaces formelles et narratives en tous genres (dont les influences plus ou moins marquées se nichent jusque dans les endroits où on ne les attend pas, chez Alan Moore par exemple), se révélait-il en 1994 sous l’objectif familier de Terry Zwigoff. A (ré)explorer, dix ans plus tard, le terreau sordide et néanmoins fertile sur lequel la fibre créative de Crumb trouva à faire ses étranges bourgeons, c’est d’une autre forme de paternité que l’on prend soudainement conscience.

LES VIEUX GARCONS OSSEUX

Revoir Crumb, son tableau effrayant et édifiant de la cellule familiale américaine, pourrie de névrose, de pathologies sociales, psychologiques et physiques, de violence exprimée et/ou rentrée, mais aussi nourrie de l’évasion formidable de la contre-culture et de révoltes plus ou moins maladroites, c’est redécouvrir un précurseur. Premier, car trop évident, candidat sur la liste des œuvres à placer dans son sillage: le surestimé American Splendor. La tendresse et la saine intimité qui faisaient la force sans concession du film de Zwigoff renvoient les poses et effets trop apprêtés et le ludisme trop décomplexé de Shari Springer Berman loin derrière. Où l’on est bien obligé de reconsidérer le délicat exercice du biopic, coincé entre dramatisation forcée, modernisme formel superflu école HBO, et incapacité pour le genre à se remettre en selle depuis l’uppercut Ali. Deuxième héritier, autrement plus légitime, le sublime Ghost World, toujours de Zwigoff, adaptation parfaite d’un comic ascendant Crumb l’artiste, avec personnages transfuges de Crumb le film (Steve Buscemi en vieux garçon osseux et mal fagoté, collectionneur maladif de vieux vinyles, ou Thora Birch croquant les excentriques et excentricités du quotidien dans son sketchbook).

I, MOVIE

Troisième palier dans l’arbre généalogique, plus inattendu, le prodigieux Tarnation de Jonathan Caouette, voyage parallèle dans une famille éclatée, névrotique, où la première personne ("I, movie") appartient à un génie autodidacte du montage, composant les plans fixes en tableaux éclatés, façon planches de comics audacieuses. Le parallèle n’en est que plus troublant quand on découvre une scène miroir, a priori anodine et pourtant lourde de sens, où une vieille mère parano houspille son fils, bataillant contre un store récalcitrant. Depuis, Zwigoff a réalisé Bad Santa, nouvelle et plus classique incursion filmique dans l’Amérique barge, déceptive pour les uns, dans la continuité logique d’une filmographie concentrique et en constante recherche d’une reconnaissance populaire pour les autres. Crumb, en tout cas, demeurera ce manifeste cinématographique marquant d’un documentariste amoureux de son sujet, attentif et appliqué. La plus belle des promesses donc, mais aussi, sans doute, l’attente la plus lourde à porter.

par Guillaume Massart

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Interactivité :

IMAGE & SON

Copie acceptable pour ce documentaire de toute façon sans grande ambition formelle. Les esthètes se rattraperont avec le menu contextuel, reprenant en une planche de la taille de l’écran des fragments de dessins du maître. Côté son, minimum syndical avec un Dolby mono en 2.0.

BONUS

Maigre moisson de bonus pour le film de Terry Zwigoff, qui méritait mieux. Passons très vite sur un clip musette des Primitifs du Futur sans intérêt aucun, posé là en bouche-trou, en lieu et place d’une bande-annonce ou d’éventuelles scènes coupées, brillant toutes par leur absence. Vient ensuite un premier documentaire, revenant laborieusement sur les affinités entre Crumb et la musique, au travers d’une interview mollassonne et soporifique de Dominic Cravic, compositeur des susdits Primitifs du Futur (ah! c’était donc pour ça!).

Les autres suppléments en revanche (une préface bien vue d’Antoine Guillot et une interview passionnée de Jean-Pierre Mercier du Musée de la Bande Dessinée à Angoulême, à s’enfiler d’affilée, sans se soucier du reste), apporteront des éclairages opportuns à bien des égards. De l’étendue de l’influence du bédéaste chez ses confrères, à un coup de chapeau mérité au joli procédé employé par Zwigoff pour filmer les cases (suivant intelligemment la trajectoire de l’œil du lecteur, ou s’enfonçant doucement dans les détails des dessins), en passant par une analyse pertinente et bienvenue du rôle de Charles Crumb, agoraphobe dépressif suicidé un an après le tournage, dans la geste artistique de son frère Robert, le champ couvert par ces bonus se révèle précieux. Il comblera également un tantinet le cinéphile en grand manque de commentaire audio.

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