Criminel (Le)

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1945. Dans une petite ville anodine du Connecticut, Mary la fille d’un juge fête ses noces avec Charles Rankin, un professeur d’histoire natif d’Europe, amoureux des horloges. Wilson, un agent du FBI enquête sur le passé de cet homme pas tout à fait comme les autres. Il serait en réalité Franz Kindler, un criminel nazi en fuite.

Saluons tout d’abord l’initiative de Ciné Horizon de sortir en DVD une oeuvre méconnue d’Orson Welles, le fondateur du cinéma moderne. Troisième opus de l’auteur de Citizen Kane, Le Criminel est un film de commande de l’après seconde guerre mondiale. Même s’il en était dispensé, Orson Welles a participé à l’effort de guerre et souhaité prendre part au combat moral contre le nazisme. S’il n’a pas eu le final cut, il parvient, malgré un scénario trop manichéen et prévisible, à transformer un simple script de série B en véritable leçon de mise en scène. L’installation de l’intrigue est un modèle du genre. En moins d’un quart d’heure, grâce à la seule virtuosité de sa caméra, il réussit à saisir chaque caractère et à faire comprendre les interactions entre les différents protagonistes. La filature de Konrad Meinike, l’ancien compagnon de Franz Kindler relâché en guise d’appât, annonce, en un unique et exceptionnel plan-séquence, le célèbre premier plan de La Soif du Mal, l’un des nombreux chefs-d’œuvre du maître. Le travail sur les ombres et les lumières magnifie un noir et blanc très contrasté ; l’affrontement d’abord moral puis physique se change en opposition primaire : le noir de l’obscur Franz Kindler le nazi contre la blancheur immaculée de Mary, l’innocente jeune femme prise dans l’engrenage du mensonge et de l’amour. Elle est la fille d’un juge, la fille de la Loi tourmentée par le mal absolu ou tout du moins son représentant, l’ogre nazi.

Orson Welles s’intéresse très peu à l’intrigue en elle-même, le suspense étant gâché par la révélation de l’identité du nazi dès la première partie du film. Il préfère observer la folie d’un homme et expérimenter son langage cinématographique. Aidé par le génial chef opérateur Russel Mitty (La Soif du Mal, Spartacus, Les Désaxés), il fait de Harper, petite bourgade sans histoire, le théâtre d’un huis clos dramatique avec en son centre, une horloge symbolique. On ne peut résister à son destin, vaincre les démons du passé ni refaire l’histoire. Une obsession au cœur de son œuvre qui trouve ici sa pleine expression dans cet objet filmique supposé lisse qui se révèle pourtant très personnel, une fois grattée la couche superficielle de la série B. Orson Welles distille son poison et, comble de l’ironie, rend presque sympathique son démon Franz Kindler. Tel un robot décérébré par la propagande nazie, ce dernier ne peut s’empêcher de dessiner une croix gammée, de louer le régime hitlérien et de laisser percevoir dans son regard la lueur d’une folie sanguinaire. Les autres personnages trop aseptisés n’intéressent pas le cinéaste. La victime est moins attirante que son bourreau. Comme toujours, Orson Welles décrit la chute d’un homme, la déchéance d’une ambition démesurée, la fin d’une emprise mentale sur le monde qui l’entoure, sans doute une prémonition de son propre de destin de génie incompris.

Orson Welles en Franz Kindler/Charles Rankin brûle la pellicule, aspire la caméra et rend minuscule la pâlotte Loretta Young qui manque d’aplomb et de caractère, et n’a bien sûr ni le charme ensorcelant de Janet Leigh, ni celui de Rita Hayworth. Elle n’est pas la femme fatale, condition sine qua non du film noir réussi. « Plus le méchant est réussi, meilleur le film est », affirmait Alfred Hitchcock, autre maître du suspense. Sans le savoir, Orson Welles suivait cet adage à la lettre en campant un méchant d’anthologie, tellement réussi qu’il éclipse les autres personnages bien trop en retrait pour détourner notre regard de l’homme maléfique. Œuvre mineure du cinéaste, Le Criminel n’atteint pas la perfection de La Soif du Mal et de La Dame de Shanghaï, ses deux autres films noirs. Mais parfois, le petit film d’un génie vaut tous les trésors du cinéma contemporain.

par Yannick Vély

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Interactivité :

Malgré une copie de qualité moyenne et l’absence (sans doute à jamais) du final cut, Ciné Horizon a effectué un excellent travail en agrémentant le DVD de deux bonus très intéressants, deux longs et instructifs documentaires : Le Maître des horloges sur la naissance du film et Orson Welles et le film noir sur l’art du cinéaste. Des filmographies et des notes de production complètent l'excellent travail d'un petit éditeur indépendant très cinéphile. Du bel ouvrage.

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