Collection R.W.Fassbinder - Coffret 1

Collection R.W.Fassbinder - Coffret 1
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Difficile de passer à côté de l’événement rétrospectif Fassbinder qui agite actuellement la planète cinéphilie. Après la ressortie en salles, en octobre dernier, de huit des plus grands films de la comète allemande, morte à 37 ans sur une pyramide monumentale de 44 films (" Je dormirai quand je serai mort", aimait-il à dire), ce sont ces mêmes métrages qui débarquent aujourd’hui, par les bons soins de Carlotta Films, en deux beaux coffrets DVD, parallèlement à la rétro intégrale que lui consacre le centre Pompidou à Paris. Le premier regroupe la célèbre Trilogie Allemande, plus grand succès du cinéaste. Trois portraits de l’Allemagne de l’après-guerre à travers trois portraits de femmes: Le Mariage de Maria Braun, Lola, une femme allemande et Le Secret de Veronika Voss

LE MARIAGE DE MARIA BRAUN

(Allemagne, 1979)

Avec Hanna Schygulla, Klaus Löwitsch, Ivan Desny

Trente-troisième film du stakhanoviste teuton, Le Mariage de Maria Braun est aussi son premier vrai succès public. Nous sommes à la fin des années 1970 et Fassbinder n’a plus que onze films à livrer. Comme conscient de la brièveté de son passage sur les terres du cinéma, Fassbinder charge son métrage jusqu’à la gueule d’une densité dramatique et visuelle, et tire un bilan complexe et anxieux de l’Allemagne de 1943 à 1954. "Lorsque l’on voudra apprendre quelque chose sur le vingtième siècle en Allemagne, sur son histoire, sa société, entre 1945 et aujourd’hui, on regardera les films de Fassbinder, cela me paraît une évidence. [.] Pour moi, Rainer a été un historien de l’Allemagne du vingtième siècle", déclarait aux Cahiers du cinéma, en juin 1993, la dernière compagne de Fassbinder, la monteuse Juliane Lorenz. Hommage fiévreux au mélodrame hollywoodien et, spécifiquement, à Douglas Sirk, Le Mariage de Maria Braun le confirme: oscillant entre frontalité picturale (le portrait d’Hitler volant en éclat dès le premier plan) et symbolisme politique (l’épouse allemande délaissée, se dévoyant d’abord en entraîneuse de cabaret pour G.I.’s, puis trouvant refuge dans les bras de l’un d’eux, qui la met en cloque), Fassbinder affronte l’Histoire de l’Allemagne de face.

LOLA, UNE FEMME ALLEMANDE

(Allemagne, 1981)

Avec Mario Adorf, Barbara Sukowa, Armin Mueller-Stahl

Dans le prolongement du Mariage de Maria Braun, Fassbinder continue de disséquer avec une loupe grossissante l'Allemagne des années 1950: "Les années cinquante m’ont toujours passionné. À cette époque, la grande affaire, c’était la reconstruction". En cinéaste social, Fassbinder fait de ce mouvement de reconstruction le moteur psychologique de ses personnages. Lola, femme en ruines se rebâtissant tant bien que mal à coups de biftons et d’alcool, se prostitue à la Villa Fink. Elle y croisera l’urbaniste Bohm et l’entrepreneur Schukert, deux requins de l’urbanisme, se disputant chantiers, argent et femmes, au mépris de la morale. Ancré cependant dans son époque, Fassbinder livre une copie résolument eighties, au cadre tiré à quatre épingles, mais à la photo grignotée par des éclairages aux néons rouges, verts, bleus, toujours plus criards. Plasticien du vulgaire, le cinéaste ne passe toutefois pas outre la tentation du kitsch, et force est de constater que vingt-quatre ans auront suffi à vieillir l’image plus que de raison. Aujourd’hui un peu désuet, sinon suranné, Lola, une femme allemande a perdu de son charme vénéneux.

LE SECRET DE VERONIKA VOSS

(Allemagne, 1981)

Avec Rosel Zech, Hilmar Thate, Cornelia Frobaess

Sans doute le plus beau film du coffret, Le Secret de Veronika Voss s'impose par sa subtilité. Bilan de la trilogie, plus posé, moins lourd à digérer, résolument plus doux, cette mise en abyme de la surexposition cinématographique n'a pas pris une ride. Servie par un beau noir et blanc onirique et apaisant, la mise en scène se laisse ici lire et apprivoiser, dévoilant ses charmes contrastés, ses aspirations expressionnistes, jouant des caches naturels du décor, équilibrant tel le pinceau du peintre sur la toile les zones claires et les zones sombres. Fassbinder ne perd pas de vue ses explorations politiques, poussant le champ réflexif à l'art et à ses faiblesses collaborationnistes (Rosel Zech y incarne une actrice célèbre sous Goebbels et déchue depuis, en vaine quête de reconnaissance et de lumière). Plus artificiel et pourtant, paradoxalement, plus ancré dans la réalité, Le Secret de Veronika Voss, qui, dans son dernier tiers, bascule dans une sorte de bizarrerie fantastique immaculée de blanc, hantée par une sublime scène de chant (le beau Memories are Made of This de Dean Martin, susurré sur un mode languissant par une Rosel Zech en état de grâce), continue donc de fasciner et d’envoûter.

par Guillaume Massart

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Interactivité :

Il faut d’abord saluer le grand soin apporté, comme à son habitude par Carlotta, à la restauration de ces films. La palme allant sans doute au Secret de Veronika Voss, dont le noir et blanc n’a jamais été plus rutilant.

Les bonus, quant à eux, malgré une tendance générale à la mollesse, valent surtout pour la quantité d’informations qu’ils apportent :

- La Trilogie Allemande est un documentaire nécessaire retraçant, sur trente minutes, la genèse des trois films et revenant sur la place de choix qu’ils occupent dans la filmographie du réalisateur. Indispensable à qui s’initie à Fassbinder.

- Les entretiens avec les trois femmes de Fassbinder, à savoir Hanna Schygulla, Barbara Sukowa et Rosel Zech, s’imposent également comme un passage obligé dans la compréhension de la Trilogie Allemande. En effet, comme l’écrit à raison Yann Lardeau dans son Fassbinder aux Editions des Cahiers du Cinéma: "Tous les films des années cinquante portent des noms de femmes […] Les années cinquante sont une histoire de femmes". Légitimement, ce sont à elles que revient la parole en dernière instance. Passé la redécouverte des visages vingt ans après, c’est la dignité de cette parole féminine respectueuse jamais hagiographique que l’on retient.

- Les trois derniers documentaires sont plus dispensables, à commencer par La Montée du mensonge, une analyse rébarbative sur vingt-quatre minutes du Secret de Veronika Voss, par l’immuablement érudit mais barbant Jean Douchet. La Maison Fassbinder (20 minutes) et Lola, les feux d’artifice (15 minutes) sont tout aussi accessoires, en ce qu’ils n’apprennent que peu dans une forme plate, sans pour autant être déplaisants.

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