Clé de verre (La)

Clé de verre (La)
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Bras droit de Paul Madvig, homme politique influent, le fidèle Ed Beaumont tente de dissuader ce dernier de soutenir le sénateur Henry. Les réformes anti-corruptions de Henry attirent en outre la colère de Nick Varna, truand notoire. Opal, la sœur de Madvig, a une liaison avec Taylor, le fils de Henry. Quand ce dernier est assassiné, Paul est aussitôt soupçonné. Beaumont mène l’enquête.

HARD-BOILED

La Clé de verre vaut surtout pour son intrigue retorse et tortueuse signée Dashiell Hammett, maître du roman noir, à qui on doit Le Faucon maltais réalisé par John Huston. Si l’adaptation de Jonathan Latimer, lui aussi auteur de feuilletons policiers, ne convainc pas tout à fait, le film tient suffisamment en haleine pour reléguer au second plan les raccourcis hâtifs et les ficelles trop épaisses. D’un classicisme appliqué et d’une austérité toute guindée, La Clé de verre ne manque pourtant pas d’atouts glamour, un héros détective tiré à quatre épingles, d’un flegme inébranlable, un couple masochiste qui ne lésine pas sur les œillades complices et les poses suggestives (Véronika Lake et Alan Ladd réunis de nouveau, après Tueurs à gage de Frank Tuttle) et, a contrario, une liberté de ton assez surprenante. Le loyal Beaumont secoue violemment la fourmilière, le milieu sordide des machinations et de la corruption, vend ses services au plus offrant, s’acoquine avec l’ennemi, est prêt à faire incarcérer sa chère et tendre pour pousser aux aveux son principal suspect. Trouble-fête acide, impulsif, Beaumont n’en reste pas moins un personnage déconfit, régulièrement passé à tabac par Varna et ses hommes, notamment Jeff, avec qui il entretient une relation quasi amoureuse. Leur proximité, leur complémentarité, soulignées par des carrures opposés (Ladd est aussi raide et filiforme que William Bendix est rustre et massif), leurs rapports de force constants et leurs échanges hautement sensuels et métaphoriques, laissent deviner, de manière à peine déguisée, une homosexualité latente. La beauté androgyne d’Alan Ladd n’en est que plus troublante.

UN HOMME PRESSE

L’ambiguïté d’Ed Beaumont, avare de ses émotions, pressé d'enfouir ou de mettre à nu les secrets des uns et des autres, pèse sur le film tout entier. Respectueux de l’écriture Béhavioriste de Hammett, sèche et brutale, La Clé de verre montre plus qu’il n’explique, avance tête baissée, presque butée, multiplie les sous-intrigues, les chemins de traverse, et se perd parfois dans un invraisemblable sac de nœuds. Si le couple iconique Lake-Ladd fonctionne essentiellement grâce sa photogénie, les deux personnages qu'ils incarnent se révélant quelque peu monolithiques, Stuart Heisler semble mieux apprécier sa galerie d'hommes de l'ombre, de seconds couteaux menteurs, mesquins et forts en gueule. Même dominée par l'individualisme de Beaumont, l'intrigue met l'accent sur des duos (les amitiés viriles entre Madvig et Beaumont, Beaumont et Varna), des triangles amoureux (Madvig-Beaumont-Janet, mais aussi l'étonnante scène de séduction entre Beaumont et l'épouse de Matthews), ainsi que des communautés rivales (les représentants de la loi contre les hors-la-loi). Dans La Clé de verre, les bords opposés se touchent, se confondent, les tempéraments contraires se marient de manière impromptue. Partout, des amitiés feintes, forcées, des accords tacites. Paul Madvig soutient le sénateur Henry par amour pour sa fille, Janet. Symétrie parfaite: Opal, la soeur de Madvig, est amoureuse de Taylor, le fils de Henry. Or les deux femmes sont sur le point de trahir la confiance de Madvig. Beaumont papillonne quant à lui d'un cercle à l'autre, à jamais insaisissable. C'est la limite de cette fragile clé en verre; à force de distance et d'opacité, elle perd peu à peu de son éclat et de sa causticité. Restent les dialogues mal élevés, vifs et affûtés.

par Danielle Chou

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Interactivité :

Proposé en version française et en version originale sous-titrée, le DVD de La Clé de verre contient deux bonus, une bande-annonce d’époque et un entretien à bâtons rompus avec l’écrivain-cinéaste Philippe Labro. Intitulé Pour quelques raisons obscures (26 min), en référence à un échange érotique et complice entre Veronika Lake et Alan Ladd, cet entretien offre un point de vue de cinéphile passionné, mais moins passionnant qu’aurait pu l’être une analyse plus poussée du film. Labro plante le décor, rappelle l’importance et l’influence considérable de Dashiell Hammett, au même titre que Raymond Chandler, tous deux partisans d’une écriture de l’efficacité, la fameuse "hard-boiled school" (littéralement, "l’école des durs à cuire") qui se contente de décrire l’action, les faits et gestes des personnages, et ne s’encombre pas des pensées et des sentiments de ces derniers. Labro ébauche quelques pistes de réflexion, évoque Jean-Patrick Manchette, Miller's Crossing des frères Coen, le rôle du scénariste Jonathan Latimer, rebondit d’un sujet à l’autre, mais l’entretien convivial, assez décousu, s’en tient à des approximations.

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