Berlinale 2015 : le bilan !

Berlinale 2015 : le bilan !

Ce n’est pas (seulement) pour jouer les premiers de la classe, mais contrairement à la plupart des bilans que vous lirez sur cette dernière Berlinale, celui de FilmDeCulte est signé par une équipe qui était présente jusqu’au bout du festival. 10 jours, 48 textes en ligne, plus une poignée d’autres à venir dans les jours qui suivent. Zèle inutile de notre part pour une édition où, il est vrai, la plupart des films les plus attendus étaient présentés le premier weekend ? A nos yeux, ce serait plutôt la moindre des choses lorsqu’il s’agit de rendre justice à l’une des manifestations cinématographiques mondiales les plus pléthoriques et éclectiques.

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CINÉMAS DU RÉEL

Le renouvellement du contrat de Dieter Kosslick en tant que sélectionneur du festival aurait-il indirectement fait manger du lion à l’Ours berlinois ? La Berlinale 2015 a été un cru exceptionnel, rien de moins. Le président Darren Aronofsky a lui-même avoué l’embarras de son jury au moment de trancher et composer un palmarès, et ce n’était pas qu’une formule de politesse. Seuls les spectateurs se sentant obligés de n’assister qu’aux avant-premières faussement prestigieuses (même chez les journalistes, la séance de Cinquante nuances de Grey a été la plus demandée…) demeurent aveugles face à l’évidence. A savoir que la compétition 2015 a souvent enthousiasmé par ses surprises, sa variété et sa qualité : premiers films et découvertes qu’il fallait quand même aller chercher (Ixcanul Volcano, Vergine Guirata), le retour en forme de cinéastes confirmés (Greenaway, Herzog, Jacquot), des projets hors normes qu’on aurait sûrement retrouvés hors-compétition dans d’autres festivals (Taxi, Le Bouton de nacre), et des films qui ne ressemblent surtout jamais à ce qu’on croit devoir attendre d’un « film de festival » (Chasuke’s Journey, Gone With the Bullets).

Beaucoup de films de cette sélection 2015 étaient inspirés de personnages réels (Queen of the Desert, Personne n’attend la nuit, Selma, I Am Michael…) et pourtant, on retient surtout le triomphe de la forme documentaire. Ou plutôt, des formes documentaires, devrait-on dire, car le genre est protéiforme. Surtout, il n’est jamais l’ennemi de l’imaginaire. En effet, quel rapport entre les passionnantes mises en scène du réel tel qu’on les a vues pendant ces dix jours ? La vie intime de Kurt Cobain qui prend chair grâce à l’usage de l’animation dans Cobain, Montage of Heck, les témoignages anonymes et rejoués de jeunes LGBT Kényans dans Stories of Our Lives, la captation glaçante d’un silence dans The Look of Silence, le lyrisme touche-à-tout de Guzman qui passe du détail à l’universel dans Le Bouton de Nacre, et surtout l’inclassable Taxi de Jafar Panahi. Ce fut le paradoxe le plus passionnant d’un festival que l’on réduit trop souvent à des films politiques : la volonté de documenter le monde, à travers le doc ou la fiction, n’empêche certainement pas le geste artistique, les formes cinématographiques hybrides et folles. Par exemple, Aferim !, farce picaresque historique sur les Roms, nous parle-t-elle finalement d’autre chose que du monde de 2015 ?

A Berlin, contrairement au cliché, les portes de l’imaginaire sont grandes ouvertes. Il y a par exemple un parallèle intéressant à faire entre la sélection à Cannes l’an dernier de Mr Turner et celle à Berlin de Eisenstein in Guanajuato. Dans les deux cas : deux cinéastes anglais d’un certain âge, anciens habitués cannois, qui font chacun le portrait d’un artiste. Mais au classicisme bien identifié de Mike Leigh, Greenaway prend le risque du grotesque et du sublime. On peut dire de même de cette compétition, dépourvue de ce qui est censé faire les « grands films » (selon qui ?) à savoir un académisme sentencieux qui singerait (mal) Antonioni/Bergman. Si certains auteurs sélectionnés sont restés classiques, ce n’était jamais sans malice ou surprise derrière (Herzog, Jacquot, German). La compétition a surtout bénéficié d’un grand coup de jeune : parmi les 19 réalisateurs sélectionnés, 8 sont nés dans les années 70. Quant aux trois plus âgés (Malick, Greenaway, Guzman), ce sont eux qui ont signé les films les plus audacieux. Au final, une définition ouverte et surtout très contemporaine de ce qui peut consister le meilleur du cinéma d’auteur. Et un plaisir précieux pour le spectateur : celui, alors qu’un film commence, de n’avoir parfois aucune idée de ce que l’on va voir. On ne peut pas en dire autant de certains festivals où l’on peut deviner les 3/4 de la programmation à l’avance.

A ce titre, l’une des expériences les plus intenses vécues par FilmDeCulte a été la projection de Knight of Cups de Terrence Malick (même si le film a divisé). Radicalisation d’une œuvre déjà radicale, quasiment dépourvu de dialogues live, le film est un voyage déroutant, magique et vertigineux. Même si elle peut s’expliquer (la carrière du film était assurée, avec ou sans prix) son absence au palmarès est notre seule déception de la part d’un jury qui, tout comme l’an dernier, a opéré des choix presque parfaits. Un jury lui aussi plus jeune qu’ailleurs, où la plupart des membres avait entre 35 et 45 ans. Faut-il y voir un signe de clairvoyance ? A l’image du double prix tout à fait mérité à la photo pour Victoria et Under Electric Clouds, chacun des films a été récompensé pour de bonnes raisons. Charlotte Rampling avait reçu des prix à la carrière dans de nombreux festivals, mais presque jamais de prix pour un seul film. Il est ironique qu’elle se retrouve récompensée pour un film britannique avant de recevoir un César. Le prix qu’elle partage avec son partenaire pour 45 Years récompense deux des meilleures performances de la compétition. Le jury a eu du flair, mais aussi de la personnalité : attribuer le prix du scénario à un documentaire peut paraître gonflé, c’est au contraire un geste logique pour le tour de force narratif du Bouton de nacre. Quant au double prix de la mise en scène pour Body et Aferim !, il'prouve que pour ces jurés exigeants, l’exercice ne se limite pas à faire de jolies images superficielles.

Et puis il y a Taxi : présenté dès le premier jour, le film de Panahi a fait l’effet d’un raz-de-marée. Il n’était pas le seul favori (c’est dire le niveau), mais sa victoire met d’accord tous ceux qui ont eu la chance de le voir. Interdit de quitter le territoire, le réalisateur iranien n’a pas pu venir récupérer son prix, c’est sa nièce (qui joue dans le film) qui est montée sur scène brandir l’ours la larme à l’œil, offrant au festival une conclusion bouleversante. Et pourtant, ce prix est loin d’être un simple geste politique remis à un cinéaste frappé d’interdiction de tourner. Taxi est un objet de cinéma comme il en existe peu. En matière d’écriture et de mise en scène inventives, d’audace et de modernité artistique, seuls Guzman et Malick aurait pu rivaliser avec ce tour en voiture. L’autre grande gagnante de cette édition, c’est l’Amérique du sud: prix du meilleur premier film pour le Mexicain 600 Miles, prix Panorama du public pour le Brésilien The Second Mother, prix Alfred Bauer pour le Guatémaltèque Ixcanul Volcano … Mais c’est surtout le Chili qui s’est taillé la part du lion : deux prix majeurs pour les excellents El Club et Le Bouton de Nacre, auxquels s’ajoutent les Teddy Awards pour Sebastian Silva (même si son Nasty Baby a été tourné en anglais) et pour la coproduction uruguayenne El Hombre nuevo.

Quels ont été les bémols ? Dans les sélections parallèles, les découvertes asiatiques satisfaisantes ont été rares. La Corée du sud était quasi absente et, au stricte inverse de l’an dernier, le seul film chinois en compétition a consterné. C'est d’ailleurs le seul film parmi les 19 dont on ne comprenne pas vraiment la sélection (ce qui reste un très bon taux). Tout aussi surprenant : malgré un certain nombre de films présentés, l’Allemagne n’était pas à la fête. A l’heure où la dream team de l’Ecole de Berlin (Petzold & Hoss) illumine les salles françaises avec Phoenix, aucun cinéaste du mouvement n’était présent dans une sélection qui a fait la part belle à des cinéastes allemands plus populaires. Si Werner Herzog a divisé la rédaction, Andreas Dresen a vivement déçu, et Wim Wenders a, lui, carrément catastrophé. Seul Victoria, tourné en un seul plan-séquence, offrait suffisamment de moments forts pour aller au-delà de son simple concept et de ses imperfections.

Un mot sur les Teddys. L’écho général a été celui d’une sélection peut-être plus convenue qu’à l’accoutumée. C’est pourtant là qu’on trouvait parmi les pitchs de fiction les plus zinzins : un groupe de hard rock lesbien en proie à des ninjas et une maison hantée dans la comédie musicale queerissime Dyke Hard ou encore Amira Casar en maitresse SM autrichienne qui tombe amoureuse de la bonne sœur qui veille sur son grand-père dans Last Summer of the Rich. Surtout, cela n’a pas empêché le déroutant Nasty Baby de remporter le prix principal, devant Vergine Giurata et Eisenstein in Guanajuato, qui constituaient la shortlist finale. Comme quoi, non seulement la Berlinale sélectionne plus de films LGBT qu’ailleurs, mais les films concernés n’oublient pas de faire du cinéma, et ne se réduisent pas à un discours militant. Et puis, la Berlinale, c’est aussi l’un des rares festivals de cette ampleur où dans la même journée, on peut enchainer 5 films dont le personnage principal est… une femme. C’est assez rare dans le paysage cinématographique, mais c’est pourtant récurrent à la Berlinale : dans la compétition, les films centrés sur des performances masculines étaient en minorité face à des rôles de femmes. Personne n’attends la nuit, Queen of the Desert, Ixcanul Volcano, 45 Years, Journal d’une femme de chambre, Victoria, Vergine Giurata… A cette liste d’héroïnes en or, on ajoute volontiers les deux protagonistes fascinantes de Queen of Earth d’Alex Ross Perry, l’une des meilleures découvertes dans les sélections parallèles.

Bonus extra-filmique : les conférences de presse, aisément accessibles, ont souvent donné lieu à des moments de rire et de malaise. Un journaliste étranger, dont nous tairons le nom, a enchainé les questions embarrassantes jusqu’à l’humiliation : une question posée à Terrence Malick qui, fidèle à sa discrétion, était naturellement absent, un autre jour une question à Cate Blanchett (qu’il a visiblement confondue avec une autre actrice) sur un rôle qu’elle n’a jamais joué, il a également demandé à Kenneth Branagh si c’était Shakespeare qui avait écrit les dialogues de son Cendrillon. Involontairement, la meilleur comédie de la Berlinale, ce fut lui.

Toutes nos critiques de la Berlinale dans notre dossier

par Gregory Coutaut

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