Elizabeth

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1554. Marie Tudor vit ses derniers instants dans une Angleterre en lambeaux, déchirée par les luttes entre Catholiques et Protestants et affaiblie par les complots étrangers. La seule à pouvoir lui succéder est sa demi-sœur protestante Elizabeth, dont l’arrivée sur un volcan n’est pas pour apaiser les esprits…

L’OEUVRE DE DIEU

Elizabeth pose rapidement pour son réalisateur Shekhar Kapur et son scénariste Michael Hirst la question de l’adaptation. Que rajouter au destin déjà connu d’une reine vierge gravée dans les manuels, incarnée des années auparavant par Bette Davis et rendue aujourd’hui à l’état de baudruche clownesque par Judi Dench dans Shakespeare in Love? Probablement revenir aux sources, tout en s’en éloignant. Laisser apparaître les prémices pour deviner l’aboutissement, filmer la peau humaine pour en respirer le prodige. Kapur replace la reine dans son emploi d’époque, un équivalent XVIe siècle des Pharaons, une femme déifiée au fil des images et des secondes. Dénudé de tout point de vue (peut-être l’un de ses points faibles), Elizabeth ne s’accroche qu’à une vision divine où les premiers mots sont prières et les derniers liturgies. Kapur offre ses vues en plongée d’un monde sous l’égide de Dieu, qui lui-même observe sa fille dans sa progression jusqu’aux cieux. Dans le climax émotionnel de ses dernières minutes, le film livre en un pano sur une statue de la Vierge Marie sa réincarnation de chair, déshabillée de ses attraits sensuels (de longs cheveux rouges recueillis avec abandon par des mains désoeuvrées), parée mélancoliquement pour son dernier souffle dans le monde des mortels avant de basculer vers l’éternel. Car l’émotion d’Elizabeth se situe là: Kapur y filme une naissance en même temps qu’une mort, celle-ci laissant plus de traces sur l’hâve et défait visage d’une femme entre deux mondes.

LA PART DU DIABLE

Figure nationale par excellence, Elizabeth trouve chez Hirst et Kapur une peinture à la fois très fidèle et assez hybride. Si le parcours naissant de la reine trouve un juste écho, c’est également grâce aux trahisons que l’Histoire a subi. Le trait principal est zélé, mais les appas sont quelque peu maquillés pour la bonne cause. Musique anachronique et pérenne, multiplication et concentration des complots pour faire ressentir le danger permanent, figure elizabethaine parfois doucement malmenée, le récit décale légèrement les meubles à l’occasion pour capter de la meilleure façon l’esprit d’un personnage, d’une époque, et d’une atmosphère – le film tirant probablement sa réussite dans de telles trahisons. Les cartouches de départ étaient déjà propices à la liberté, choisissant une Elizabeth venue d’Australie (Cate Blanchett) et un metteur en scène en provenance d’Inde (Shekhar Kapur). Ce dernier a d’ailleurs la particularité d’avoir donné dans le Bollywood, et laisse quelques discrets vestiges dans un film historique a priori peu camarade avec les exubérances du sari. Un sens certain pour l’assemblage des couleurs (de la tâche rouge d’Elizabeth au noir Parlement ou des étoffes multicolores des premiers instants), un goût pour les voilures en tous genres et une habileté dans la grandiloquence font naître cet enfant improbable entre austérité plastique et explosion visuelle.

GOD SAVE THE QUEEN

Pour animer les traits humains d’une figure suréelle, il fallait une comédienne d’exception parvenant à capter la schizophrénie d’un personnage au cheminement houleux entre effacement et affirmation. L’Elizabeth de Kapur est d’abord le fruit intact d’un jardin vermeil et doré, avant d’être emprisonnée dans les douves de ses prisons gothiques, surencadrée par ses barreaux, apparaissant par faisceau de luminosité en un travelling qui expose son personnage à une Angleterre entre ombres et lumières, avant de proposer un plan à la fois différent et voisin lorsque la reine s’avance dans ses terres à bord d’une voiture où les feux de son pays s’étalent en alternance sur son visage. Cate Blanchett, alors jeune venue, assume avec un panache absolu son immense personnage et œuvre grandement pour la réussite du film. Si les ingrédients de Kapur marchent, et ce malgré les risques (comme cette absence de point de vue personnel), il faut en louer en grande partie sa comédienne électrisante, Elizabeth rêvée et incarnation habitée du bout des ongles jusqu’aux veines qui battent au rythme d’un cœur éprouvé par la petite et la grande histoire.

par Nicolas Bardot

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