Virgin Suicides

Virgin Suicides
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Virgin Suicides
The Virgin Suicides
États-Unis, 1999
De Sofia Coppola
Scénario : Sofia Coppola d'après d’après le roman de Jeffrey Eugenides
Avec : A.J. Cook, Danny DeVito, Kirsten Dunst, Scott Glenn, Josh Hartnett, Michael Paré, Kathleen Turner, James Woods
Photo : Edward Lachman
Musique : Air
Durée : 1h37
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Fin des années 70, banlieue austère du Michigan. Cecilia, Lux, Bonnie, Mary et Therese, les cinq sœurs Lisbon âgées de treize à dix-sept ans, se donnent la mort l’une après l’autre. Le mystère entourant leur accord tacite survit dans la mémoire de quelques amoureux éconduits…

the virgin suicides - bande annonceenvoyé par Lin-sama

A L’OMBRE DES JEUNES FILLES EN FLEUR

Enlacées les unes aux autres, aussi blanches qu’un trait de lumière, les sœurs Lisbon ne forment qu’une seule et même "masse éblouissante comme une congrégation d’anges". Jeffrey Eugenides leur donne la carnation pâle d’une "créature mythique à dix jambes et cinq têtes". Frimousse espiègle, blondeur surnaturelle: elles exhalent un arôme piquant qui émeut une cohorte de mâles fascinée par tant de "féminité théâtrale". Lorsqu’elle découvre le roman Virgin Suicides, Sofia Coppola rêve de transposer au cinéma le monde déliquescent et cafardeux d’Eugenides. L’esbroufe des années collège, la tyrannie parentale, les derniers carillons de l’adolescence trouvent chez la lectrice un écho irrésistible. Soucieuse d’en préserver la beauté frêle et nuancée, la jeune scénariste respecte le canevas de son modèle, la déleste de ses autopsies cruelles et l’enveloppe d’un gaze romantique. Les filles Lisbon sont plus éthérées et insaisissables que jamais. A la vision du film, il ne fait pourtant aucun doute que Sofia Coppola a fait siennes la désolation des sœurs pétrifiées et la tristesse confuse des survivants. La voix traînante de Giovanni Ribisi égrène les prénoms des demoiselles comme une litanie, mais les corps et les cœurs cadenassés semblent interchangeables. Veillée funèbre dont on aurait gommé les barbelés disgracieux, Virgin Suicides se veut un chant d’amour à cette innocence pervertie. La virginité en question est moins celle des sœurs Lisbon que celle de leurs prétendants, étrangers jusqu’alors à ces éruptions de sensualité.

LOVE SEX PASSION FEAR OBSESSION

C’est l’histoire de Paul Baldino qui a longé les égouts jusqu’au sous-sol des Lisbon, de Dominic Palazzolo qui s’est jeté du toit de ses parents pour l’amour de Diana Porter. C’est peut-être aussi celle de Peter Sissen qui a foulé le sanctuaire des rêveuses absentes, de Trip Fontaine le Don Juan aux pantalons fuselés, de Parkie Denton et sa cadillac, de Joe Hill Conley le premier de la classe, et de tous ces oiseaux de nuit qui ont étreint Lux Lisbon, sans soupçonner le désarroi qui la minait. Virgin Suicides – le film plus encore que le roman – impose une distance irréductible entre ces ingénues séquestrées et leurs soupirants accoudés aux fenêtres. D’une sexualité contrariée à une vie sociale inexistante, le malentendu perdure. Réunies autour de quelques verres de punch (la première et dernière fête organisée par Madame Lisbon), les deux parties se jaugent, échangent des sourires chastes. Trip ne comprendra jamais Lux, ni pourquoi il l’a abonné sur la pelouse détrempée du stade. La cause des suicides ne sera jamais élucidée. Jeffrey Eugenides et Sofia Coppola n’y attachent aucune importance. Le premier saut dans le vide, celui de Cecilia empalée sur la grille du jardin, ostracise les sœurs restantes. Les regards posés sur elles ne sont déjà plus les mêmes: "Elles étaient comme Enée, qui (…) était allé aux enfers, avait vu les morts, et était revenu, pleurant intérieurement. Qui savait ce qu’elles pensaient ou ressentaient?" (éd. J’ai Lu, p.62).

NYMPHES ECARLATES

Les doigts fébriles, les collégiens tournent une à une les pages du journal intime de Cecilia, en étudient les vers, les menus déclinés sans passion, les barbouillages au feutre et les exposés sur le déboisement des ormes. Les "pièces à conviction", fanfreluches ayant appartenu aux filles Lisbon, échantillons d’odeurs et autres trésors occultes, s’amoncellent dans leur chambre et leur donnent accès au royaume des créatures inconsolables, recluses dans leur citadelle. Les enquêteurs adultes et bedonnants du roman recueillaient méthodiquement les témoignages, les rapports médicaux, les archives de la presse et les supputations du voisinage. Chez Sofia Coppola, la mémoire nébuleuse des narrateurs va de pair avec les digressions oniriques. Les "Magic Markers" et "les anges soufflés comme du bubble-gum" éclosent dès le générique, comme si les dessins et l’imaginaire mutins des Lisbon continuaient de mordre sur les lieux désertés. Therese chuchote à l’oreille de son cavalier: "On veut juste vivre. Si on veut bien nous laisser" (p.120). Mais entre "elles" et "nous" (ces garçons pleurant à l’unisson la fin d’une époque) s’agite un monstre plus insidieux: la mère castratrice, le père vulnérable (Kathleen Turner et James Woods exemplaires), l’environnement importun, le corps professoral et les media auscultant cette rage adolescente. Lux gémit: "J’étouffe ici". Madame Lisbon s’impatiente: "Aucune de mes filles n’a jamais manqué d’amour. Il y avait tout l’amour qu’il fallait à la maison." De la sécurité plus qu’il n’en faut et de l’air confiné, s’étiolant au fil des saisons.

SOLEIL NOIR

La forteresse des Lisbon s’écroule inexorablement sur ses occupants. Les visages s’enfouissent sous des rideaux cramoisis. Le cordon sanitaire imposé par les parents, la prison hygiénique des filles (qui trouvent souvent refuge dans les toilettes, sans se parler) déclenchent le processus inverse. Au lieu d’une bulle salutaire, le boudoir se transforme en marécage. Le bal des débutantes auquel assistent les garçons amorce le véritable déclin des sœurs Lisbon. La pollution riveraine inspire ironiquement le thème de la soirée, "l’Asphyxie". Des robes immaculées se mêlent aux masques à gaz. Les ballons multicolores et les étoiles scintillantes de la soirée de fin d’année se noient désormais dans un vert saumâtre et disparaissent dans une valse délétère. Les filles vomissent et les pochards se jettent dans la piscine. De Virgin Suicides et des somptueux collages de Sofia Coppola, survit pourtant l’image radieuse de silhouettes inondées de lumière, de bras ondulant comme des serpentins, de broderies florales et d’étincelles magiques. Un été sans fin… La culotte imprimée de Lux, le chewing-gum à la pastèque, la liqueur de pêche, les standards diffusés en boucle fétichisent ce microcosme de l’adolescence. Epiées au télescope, disséquées en vain (dans la version d’Eugenides, un médecin légiste "[ouvre] les cavités des cerveaux et des corps des filles, sondant le mystère de leur désespoir", p.198), les vierges suicidées révèlent à leurs correspondants immatures le vrai secret qui les unissait: "A la fin, leur âge, ou le fait qu’elles soient des filles, n’importait pas, mais seulement que nous les avions aimées, et qu’elles ne nous avaient pas entendus les appeler".

par Danielle Chou

En savoir plus

Jeffrey Eugenides semblait réticent à l’idée d’une adaptation au cinéma. Le roman mentionne à deux reprises ce que pourrait donner l’œuvre entre les mains d’un faiseur mal inspiré: "Comme nous sortions dans la première aube alcoolique de notre vie (un fondu en ouverture surexposé usé jusqu’à la corde aujourd’hui par le metteur en scène dénué d’imagination), nos lèvres étaient gonflées d’avoir trop embrassé…" Quand Sofia Coppola décide de s’y atteler, elle apprend qu’un script a déjà été déposé dans les bureaux de Muse Productions. Sofia persiste et signe une version plus personnelle, moins sanguinolente et clinquante que ses prédécesseurs. Elle aura raison d’attendre, car c’est finalement son scénario qui convainc Muse Productions de lui céder les droits. Eugenides désapprouve dans un premier temps la version de Sofia Coppola, mais revient sur son jugement lorsqu’il visite les plateaux du tournage et rencontre les acteurs.

Virgin Suicides est le premier roman de Jeffrey Eugenides, originaire de Grosse-Pointe dans le Michigan et le premier long métrage de Sofia Coppola. Roman Coppola, le frère et plus proche confident de Sofia, a pris en charge la seconde équipe de tournage, comme il le fera plus tard pour Lost in Translation (Oscar 2004 du meilleur scénario). Playground Love (interprété par Thomas Mars, le chanteur de Phoenix), le titre vedette de la magnifique partition signée Air a fait l’objet d’un clip réalisé par Roman. Les différentes séquences du film étaient ingénieusement "collées" par un chewing-gum chantant à visage humain. Outre Kirsten Dunst (Spider-man) et Josh Harnett (Pearl Harbor, La Chute du faucon noir) rapidement mis sur orbite, on peut noter la présence silencieuse de Hayden Christensen (Anakin Skywalker du nouveau triptyque de George Lucas) dans l’entourage des jeunes filles.

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