Tout le monde dit I love you

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De la chaleur de l’été new-yorkais à la douceur d’un réveillon parisien, en passant par le labyrinthe vénitien, les déboires amoureux et fêtes du cœur d’une famille pas comme les autres.

IL ETAIT UNE FOIS

Tout le monde dit I love you a cela de particulier qu’il est l’une des rares comédies musicales des années 90, mieux encore, il est celui qui, en 1996, va marquer le retour du genre sur les écrans. Réalisé par un amoureux du jazz et de Broadway, le film se veut un hommage aux grandes productions musicales qui ont émaillé le paysage cinématographique des années 30 aux années 50. Woody Allen, en adepte inconditionnel d’un genre alors en mal de reconnaissance, joue avec les codes, jongle avec les références. Comme à la belle époque, c’est sous forme de conte moderne que le réalisateur décide d’approcher le genre, renouant avec la grande tradition des comédies-contes de fées. Une appartenance générique revendiquée dès l’ouverture du film par la voix off de DJ, comme un conteur déclamant son "Il était une fois": "On n’a pas grand chose à voir avec la famille type qu’on trouve dans une comédie musicale". Une phrase qui trouve écho dans l’excipit emprunté à Skylar: "J'ai dit à Skylar que quelqu'un devrait en faire un film, elle a dit 'De préférence une comédie musicale, sinon personne n'y croira’". Une dernière déclaration qui renvoie donc au trait principal commun à ces deux styles, puisque l’utilisation du merveilleux comme de scènes musicales dans les films permet de légitimer l’irréaliste, de rendre visible l’invisible, de faire exister ce qui se cache dans les rêves et les fantasmes.

AU ROYAUME DES PRINCESSES REVEUSES ET DES FEES CURIEUSES

Du conte, Woody Allen garde donc la figure du conteur par le biais de la voix off de DJ, jeune étudiante girouette servant de liant entre les différentes personnes de cette famille complexe. Mais au delà de ce trait typique, il en copie également la structure (ordre initial – élément perturbateur – épreuves – retour de l’ordre) et les personnages qu’il parodie et démultiplie à souhait. Il y a en premier lieu les deux princesses rêveuses, Skylar et Von. La première au nom évocateur, rêve secrètement du prince charmant qui l’extirpera de son quotidien ennuyeux sur son cheval blanc. Ce sera pourtant un coquin en carrosse rouge luxurieux qui l’enlèvera des siens avant de la laisser aux bras de son cavalier étincelant de toujours, Holden, qui l’attend patiemment, semant des bagues en platine massif dans tous les gâteaux du royaume. Von, elle, énonce des rêves à haute voix récupérés par l’oreille indiscrète de la bonne fée DJ. Cette dernière, démiurge invisible, lui procurera un homme fantasmé accro de ses courbes, de la marguerite africaine et de Bora Bora. Mais une fois de plus, la belle demoiselle retournera à sa vie initiale, finalement plus attrayante et prometteuse qu’un rêve perpétuel trop parfait. Interprété ironiquement par Woody Allen lui-même, cet être fantasmé monté de toutes pièces fait ici figure d’antihéros de conte. Eternel délaissé, il gagnera en fin de compte la dernière danse avec la Reine et la place du bras droit du couple royal.

Autre personnage typique des contes, l’ancêtre, traditionnellement le sage de la famille. S'il prend ici des allures de vieillard sénile dans un premier temps, c’est lui qui annoncera la morale de cette histoire farfelue. "Enjoy yourself, it’s later than you think" chante-t-il à son propre enterrement, entouré de fantômes danseurs. Car c’est bien le célèbre "Carpe Diem" que reprend ici cette fable, thématique matérialisée sous les traits de DJ, toujours elle, qui croque les hommes à tour de bras. Avec cette scène de l’enterrement, Woody Allen installe une part de fantastique et de magie chère aux contes, qui se retrouvera dans le pas de deux féerique et aérien de Steffi et Joe arpentant les quais de Seine. De magie, il en est également question avec le personnage de Scott, le fils républicain en proie à de longues batailles verbales avec sa famille démocrate. Une "faille" qui s’avérera être la cause d’un bouchon artériel, comme si le jeune homme avait été victime d’un enchantement maléfique le transformant en vilain petit canard ou, comme le dit son père, en extra-terrestre. Un évanouissement et un sommeil réparateur plus tard, voici le crapaud transformé en nouveau prince. Car au pays des contes, tout est bien qui finit bien, même pour Laura, jeune princesse en devenir, trahie par sa sœur et son prétendant, qui trouvera en bout de course un Guy à embrasser sous le gui. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…

THAT'S ENTERTAINMENT

Mais il ne faut pas oublier que sous la caméra de Woody Allen, le conte de fées devient comédie musicale jouant avec les poncifs du genre. Rompant d’emblée avec la traditionnelle introduction des personnages menant progressivement à une première scène musicale, le réalisateur fait débuter son film par le duo Just you, just me sans aucune transition ou mode d’introduction. Peu à peu, le pas de deux se transforme en visite du midtown de New York: le Central Park de Minnelli, un parterre de coquelicots tout droit venu du Magicien d’Oz, les mannequins des vitrines de Park Avenue qui prennent vie comme dans les mises en scène de Bubsy Berkley ou encore le Beautiful Girl de Chantons sous la pluie. Le caractère abrupt de cette première séquence, reprenant un air très connu du répertoire de la MGM et associée à des séquences phares de ses grands hits, permet ainsi à Woody Allen d’annoncer sans détour la ligne directrice de son film, une comédie musicale hommage. Filant son éloge, il n’utilisera ici que des morceaux musicaux d’époque sous de simples formes mélodiques ou interprétés par les acteurs. A noter ici que seule Drew Barrymore a été doublée, alors que le casting regroupe bon nombre d’acteurs novices dans le genre. Une idée qui renoue avec les productions des années 30, qui recrutaient les interprètes plus pour leur physique ou leur popularité que pour leurs qualités vocales et chorégraphiques (un principe perdu au cours des années 40 et qui semble refaire surface actuellement avec notamment des films comme Moulin Rouge! et Chicago).

Bien sûr, toutes ces scènes musicales ont été méticuleusement choisies par Woody Allen qui, avec une quinzaine de chansons, regroupe toutes les séquences typiques de la comédie musicale classique. Déclarations d'amour langoureuses, rêveries romantiques, lamentations amoureuses, leçons de morale, expression d’une joie simple ou petits intermèdes enjoués, tout y passe. Le réalisateur pousse l’hommage jusqu’à proposer des séquences piochées dans d’autres courants de comédie musicale, le Bollywood avec un Cuddle Up a Little Closer, Lovey Mine version hindi, et la comédie-spectacle avec la représentation parisienne de Hooray for Captain Spaulding/Vive le Capitaine Spaulding. Dans cette dernière scène, Woody Allen se fait également plaisir en donnant aux participants à la fête une tête de Groucho Marx, l'un de ses personnages de prédilection. Autre petit bonbon qu’il s’offre, une visite guidée dans ses villes préférées. Rompant avec la traditionnelle unité de lieu qui habite les comédies musicales classiques, le réalisateur nous transporte de l'Upper West Side new-yorkais aux quais de Seine en passant par Montmartre et Venise. A ceci s’ajoutent des références chorégraphiques notamment dans les scènes My Baby Just Cares for me et I’m Thru with Love version Goldie Hawn. La première, rappelant à plus d’un titre le Moses Suposes de Chantons sous la pluie, est construite de la même façon que les chorégraphies de Gene Kelly et Stanley Donen: un personnage principal, des figures symétriques, un morceau de claquettes central sans paroles et une fin très rapide terminée par une pause groupée. La seconde, elle, rappelle les pas de deux féériques des films de Minnelli comme Brigadoon ou Tous en scène.

De Minnelli, l'on retrouve également les rues de Montmartre qui avaient servi de décors à Un Américain à Paris, mais surtout la thématique de la fresque familiale "annuelle", qui avait notamment servi de trame à son fabuleux Chant du Missouri. Simple hasard ou mimétisme volontaire, les deux films se construisent en tableaux suivant les saisons: l’été, d’abord, puis l’automne et l’hiver, le printemps étant raccourci à quelques minutes chez Minnelli, et laissé de côté par Allen, comme sous-entendu. Plus encore, les saisons sont dans les deux cas marquées par des symboles communs: la baignade (les deux jeunes sœurs Smith et Daldridge), le sport et le voyage pour l’été; la nuit d’Halloween pour l’automne (tableau dans lequel on peu voir dans les deux films la rupture d’un jeune couple puis sa réconciliation au moment de la fête des morts); une fête de Noël et son grand sapin pour l’hiver, qui met fin à toutes les discordes et prépare la famille à démarrer une nouvelle année. Enfin, à la manière de Minnelli qui marquait l’ouverture de ses tableaux par une photo de la maison des Smith aux différentes époques de l’année, Allen les délimite grâce à des plans sur Central Park accusant le passage des saisons, vues subjectives des Daldridge regardant par la fenêtre de leur loft. Si la référence au film de Minnelli n’est pas ouvertement avouée par Allen, elle est ici frappante. Ou est-ce tout simplement parce que, construisant tous deux des contes familiaux, les réalisateurs se sont plus à intégrer à leurs récits deux fêtes traditionnelles emblématiques du genre.

par Julie Anterrieu

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