Rencontres du troisième type

Rencontres du troisième type
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film

Comme plusieurs autres personnes, Roy Neary assiste au passage d’OVNI dans le ciel et commence alors à être obsédé par cette vision. En parallèle, un professeur français, Claude Lacombe, mène une équipe de scientifiques cherchant à communiquer avec les extra-terrestres.

WHEN YOU WISH UPON A STAR

C’est un jeune Steven Spielberg qui est réveillé en pleine nuit, comme le reste de la famille, par son père qui les tire du lit avant de les emmener en voiture, sans rien dire, jusqu’à un parc où se trouvent d’autres groupes de gens. Il étale une grande couverture sur l’herbe et invite sa famille à se coucher sur le dos, les yeux rivés vers le ciel. Une étoile filante passe. Puis une autre. Et encore une. La famille Spielberg, à l’instar de nombreux autres témoins présents ce soir-là, assiste à une pluie de météores. "C’était mon initiation au monde au-delà du notre", déclare aujourd’hui Steven Spielberg. L’anecdote sera reproduite presque à l’identique dans une scène de Rencontres du troisième type. Roy Neary, incarné à l’écran par Richard Dreyfuss, l’alter ego filmique du réalisateur, réveille sa famille pour leur faire partager son expérience unique, sa rencontre du premier (vision d’un Objet Volant Non-Identifé) et deuxième type (trace physique laissée par l’entité extra-terrestre). C’est en grande partie à travers ce point de vue à l’échelle humaine, ordinaire (Dreyfuss est un individu lambda), que Spielberg entreprend de nous raconter sa première grande histoire. En effet, Rencontres du troisième type, troisième long métrage du cinéaste après Sugarland Express et Les Dents de la mer, fut le premier film de son genre à plusieurs niveaux.

PREMIERE RENCONTRE DE CE TYPE

Avec un road movie suivant les pérégrinations d’un couple de hors-la-loi à la petite semaine à la recherche de leur fils adopté par d’autres, Spielberg signait un premier long métrage peu convaincant (surtout après le téléfilm considéré par beaucoup comme son premier film de cinéma, Duel, qui avait épaté pas mal de monde). Outre un intérêt naissant pour les histoires vraies, on notera de la part de Spielberg une connaissance évidente de l’art de la mise en scène, en plus d’une thématique encore à l’état embryonnaire axée autour de la famille dysfonctionnelle. Il est devenu aujourd’hui presque inutile de rappeler que les parents de Steven Spielberg ont divorcé alors qu’il était encore jeune et que l’événement a profondément marqué le réalisateur en devenir, jusqu’à transparaître sous une forme ou une autre dans presque tous les films de l’auteur. Le thème est cependant absent des Dents de la mer, la première grande réussite cinématographique de Spielberg. A cause du fonctionnement erratique du requin mécanique, le metteur en scène dut distiller les apparitions de son monstre en bâtissant la peur autour de la bête sans la montrer. Une idée de génie née d’un accident fortuit. Le film suivant de Spielberg sera le premier à faire preuve d’une maîtrise de tous les instants. En 1975, Spielberg a (ré)inventé le blockbuster estival. Deux ans plus tard, George Lucas entérine le concept dans le conscient collectif avec le phénomène Star Wars. La même année sortira Rencontres du troisième type, le premier film attendu de Steven Spielberg, le premier film tourné dans le plus grand secret. Le premier film 100% pur Spielberg.

"SPIELBERG": LA MONTAGNE DU JEU

Le thème du dysfonctionnement familial bat son plein dans ce film où la figure paternelle, véritable gamin immature, va peu à peu abandonner sa famille au profit d’une obsession autour d’une forme non-identifiée et des extra-terrestres. Spielberg en profite également pour glisser une allégorie divine, exercice qu’il répétera dans son autre film d’extra-terrestre, E.T. (en faisant de E.T. une figure christique). Ainsi, la forme du Devil’s Tower (un obscur monument historique américain, situé dans le Wyoming) est annoncée très tôt, de manière subtile, lorsque le domicile du petit Barry est visité par des êtres venus d’ailleurs qui allument plusieurs engins électroniques de la maison, dont une radio qui se met à chanter "Look with care, for the shape of a square" ("Cherchez attentivement la forme d’un carré"). En effet, après avoir vu une forme partout, dans sa mousse à raser, dans un pâté de sable, dans sa purée, Neary percera à jour le mystère de la forme non-identifiée en voyant un reportage sur cette excroissance rocheuse, devenue cousine du Mont Sinaï où Moïse alla recevoir les Dix Commandements. De la même manière, plusieurs témoins d’OVNI se verront inspirés par cette forme (Jillian, la mère de Barry, optera de la dessiner tandis que Neary préfère la sculpter) et seront attirés sur les lieux, comme appelés à s’y rendre par une puissance supérieure, afin d’y entrer en contact avec les extra-terrestres avec qui ils pourront enfin communiquer. Le parallèle est même rendu évident par une référence direct aux Dix Commandements via le film de Cecil B.DeMille, diffusé à la télévision.

WE ARE THE CHILDREN

Outre le thème du divin, Spielberg aborde également ici pour la première fois le thème de l’enfance. Qu’il s’agisse de l’immaturité de son personnage principal, prédécesseur d’Indiana Jones, Pete Sandich (Richard Dreyfuss encore, dans Always), Peter Pan (Hook), Ian Malcolm (Jeff Goldblum dans Jurassic Park) et bien évidemment Ray Ferrier (Tom Cruise dans La Guerre des mondes), ou plus particulièrement de la présence de Cary Guffey dans le rôle de Barry, protagoniste important du film, la figure de l’enfant parcourt le film. Spielberg a longtemps été décrit comme "le grand enfant", le "wunderkind d’Hollywood", injustement réduit à l’état de conteur d’histoires pour (grands) enfants avec ses films de divertissement pleins de bons sentiments. Appuyé dans sa démarche par un François Truffaut qui lui conseilla de "parler de ce qu’il connaît", Spielberg s’inspira de son modèle, collègue et comédien (engagé justement sur Rencontres du troisième type) en vue de raconter des histoires personnelles du point de vue d’un enfant (E.T., La Couleur pourpre, Empire du Soleil, A.I.) ou alors d’en inclure dans ses autres films (Indiana Jones et le temple maudit, Hook, Jurassic Park, La Liste de Schindler, Le Monde perdu, La Guerre des mondes). Mais le premier fut Barry. En réalité, les premiers enfants de la filmographie de Spielberg figurent déjà dans Les Dents de la mer mais surtout comme victimes (potentielles ou non), à l’exception d’une scène, prémonitoire, où un Roy Scheider pensif se voit imité par son fils à table. Le moment est très court et n’entretient aucun rapport réel avec l’intrigue et le reste du film mais demeure un instant touchant et précurseur du lien particulier entre le cinéaste et les enfants. Barry Guiler est donc un enfant de trois ans qui apparaît dans le film comme beaucoup plus à l'écoute que la plupart des adultes, fussent-ils eux mêmes témoins "élus" par les extra-terrestres. Barry incarna donc le premier l’archétype spielbergien du gamin en avance sur ses aînés, tel qu’Elliott dans E.T. ou, dans une autre mesure, Frank Abagnale Jr. dans Arrête-moi si tu peux.

IT’S A WONDERFUL, WONDERFUL LIFE

Rencontres du troisième type est également le premier film où Spielberg impose son style visuel (qui restera le même jusqu’à Jurassic Park, avant de changer légèrement). Découverte, anticipée de suspense, d’avions dans le désert, révélation d’une armée de figurants par un travelling ascendant, nombre de plans (généralement serrés) sur des personnages immobiles, fascinés par quelque chose hors champ, c’est la première fois que le réalisateur collabore avec le monteur Michael Kahn. Ils ne se sont pas quittés depuis. La photographie, assurée en majeure partie par Vilmos Zsigmond (mais également par William Fraker sur certaines scènes et Douglas Slocombe pour les scènes en Inde, et huit autres pour divers aspects de la production, un record), présente également pour la première fois certaines récurrences esthétiques de l’auteur, telle que cette lumière envahissante derrière un personnage en contre-jour. On cite souvent l’image (ci-contre) du jeune Barry face à l’inconnu comme l’image la plus représentative du cinéma de Spielberg. Avec ce film, le réalisateur crée une esthétique de l’imaginaire qui ne le quittera plus jamais. Tout le monde se rappelle du final spectaculaire qui voit le vaisseau-mère semblable à une cité volante émerger de derrière le Devil’s Tower avant de livrer un show son et lumière du plus bel effet. Des effets spéciaux quasi-révolutionnaires à l’époque (grâce en soit rendue à Douglas Trumbull), associés à une composition du maestro John Williams pour une scène qui unit musique et électronique. Il faut savoir que la mère de Spielberg était musicienne et son père informaticien. Inconsciemment (le réalisateur ne s’en était pas rendu compte avant que l’analyste James Lipton ne lui fasse remarquer), Spielberg réunissait ses parents à l’écran.

SPIELBERG BEGINS

Avant toute chose, Rencontres du troisième type est le premier film personnel de Steven Spielberg. L’auteur y aborde pour la première fois nombre de thèmes qui lui sont chers et qu’il approfondira par la suite à chaque film. Il s’impose comme le premier film visuellement spielbergien, précédant multiples merveilleuses rencontres à venir, qu’il s’agisse à nouveau d’extra-terrestres ou bien de dinosaures. Outre sa propre filmographie, Spielberg a influencé avec ce film de nombreuses œuvres à venir, en particulier celles de son wannabe le plus célèbre, Roland Emmerich. La structure narrative d’Independence Day (et par extension celles de Godzilla et Le Jour d’après) est calquée sur celle de Rencontres du troisième type. On pense également à M. Night Shyamalan dont les histoires extraordinaires ramenées à une dimension humaine voire quotidienne, et un intérêt certain pour les personnages d’enfants précoces, ne sont pas sans rappeler l’œuvre de Spielberg. Treize ans après Firelight, le premier long métrage (amateur) du réalisateur, le film revisite l’arrivée d’extra-terrestres sur Terre et formera un dyptique intéressant avec E.T. l’extra-terrestre, réalisé cinq ans plus tard; à présent, l’exercice s’articule également avec La Guerre des mondes, sorte d’image-miroir pessimiste du film de 1977. Rencontres du troisième type est à la fois profondément ancré dans son époque (une Amérique post-Watergate, comme en témoigne notamment l’intervention d’un gouvernement menteur dans le film, mais désireuse de croire en un ailleurs plus accueillant) mais demeure également un chef-d’œuvre intemporel.

par Robert Hospyan

Commentaires

Partenaires