Quatre mariages et un enterrement

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Charles arrive à cet âge "ingrat" où sortir le week-end, c’est assister aux mariages des autres. Avec quelques amis, ils forment la bande des irréductibles célibataires, qui résiste vaille que vaille à l’appel croissant de l’âge et des conventions sociales. Mais Charles succombe au charme de Carrie, une Américaine libérée malheureusement destinée à se marier ailleurs...

LE DESARROI DES HOMMES

Le charme tout particulier de cette comédie romantique, son charme irrésistible, n’en déplaise aux fans d’Andie Mac Dowell, c’est Hugh Grant,qui affiche derrière ses angéliques yeux bleus un sex appeal inégalable. Faussement désinvolte et innocent, il incarne le désarroi masculin à coup de gaffes, d’autodérision et de timidité, et fait le portrait de l’anti-macho, d’un nouvel homme qui ne joue plus les gros bras mais s’interroge sur sa virilité. Avec ses allures de boîte de chocolat enrubannée, ses décors de garden party bourgeoise et ses faux airs de "ne-pas-y-toucher", le film trace le portrait d’une nouvelle génération de trentenaires, toujours célibataires, pris entre des idéaux, des conventions sociales et de nouveaux rapports amoureux. Charles, au fur et à mesure des mariages, de plus en plus dépité par ses déboires amoureux, s’interroge sur le sens de cette institution. Cette interrogation - y croire ou non? -, que l’on stigmatise d’ordinaire chez les jeunes filles nubiles comme le complexe du Prince Charmant, se trouve finalement dans la bouche d’un homme dépassé par les nouvelles femmes libérées. Car c’est bien lui qui est séduit à coup de chapeau noir et d’œillades langoureuses, entraîné dans des chambres d’hôtels, abandonné au petit matin. Et, sans doute, le rôle sulfureux d’Andie Mac Dowell cinq ans plus tôt dans Sexe, mensonges et vidéo, de Steven Soderbergh, a du influencé le casting de Quatre mariages. Libérée, indépendante, comptant 33 amants du bout des doigts, Carrie l’Américaine incarne cette féminité qui s’assume, sait ce qu’elle veut et choisit ses amants, une femme tout simplement décomplexée. En face d’elle, un homme à qui il faudrait "trois semaines pour faire sa déclaration", inoubliable dans son bermuda bleu marine, sa chemise passablement jaune et ses petites chaussettes, avec cet air de toujours sortir du lit. Quatre ans plus tard, la même équipe (Working Title et Ducan Kenworthy, les producteurs, Richard Curtis, le scénariste, Hugh Grant le beau gosse maladroit et une star américaine, Julia Roberts) réinventaient dans Coup de foudre à Nothing Hill le conte de fée moderne élaboré par Pretty Woman, en inversant le mythe et en suivant les nouveaux rapports hommes-femmes, la Princesse et le Berger.

LES ADOLESCENTS ATTARDES

Quatre mariages et un enterrement est, bien avant Bridget Jones et ses accroches publicitaires, le véritable portrait des nouveaux trentenaires, cette génération déconfite, qui ne sait plus si elle peut encore croire à l’amour, qui recule toujours le moment de passer à la casserole, réfugiée dans un petit monde amical et chaleureux, un brin régressif. Charles et ses amis - Gareth le moqueur jovial, Matthew le tendre, Fiona l’élégante cynique, Scarlett la midinette vulgaire, Tom le gentleman benêt, David le confident muet -, tous célibataires, forment une seconde famille, lieu de reconnaissance et de protection où chacun d’entre eux occupe une fonction bien précise. Et la fonction de la bande elle-même est de désamorcer le social, de jouer sur ces conventions et ces barrières sociales, que l’on sait lourdes et empesées de l’autre côté de la Manche, pour les faire exploser. Comme dit Gareth, félicitez la famille des mariés en leur disant que la mariée a l’air enceinte. Mais l'on n'est pas pour autant dans un espace où l’intime peut se dire. Les liens entre eux sont assez peu explicités. Charles ne parle qu’à David, son frère muet, et ses confidences sont de l’ordre de l’inaudible - une manière de le dire sans le dire -; il faut que Gareth meure pour qu’ils s’aperçoivent que leurs amis homosexuels formaient un véritable couple; Fiona avouera presque par mégarde un amour qu’elle taît depuis toujours. Et Charles vit sa relation avec Carrie dans les coulisses des différents mariages, des chambres d’hôtels, des espaces neutres. Leur relation est au bord de la sphère publique. Et le mariage est le moment où la sphère de l’intime rejoint celle du public, où l’intimité s’institutionnalise. L’éclatement du groupe avec la disparition de Gareth accélère l’émergence d’un désir individuel.

L’APPRENTISSAGE DE L’AMOUR

Spectateur planqué des ébats inépuisables de joyeux nouveaux mariés, spectateur impuissant du déballage public de ses relations avec toutes ses ex-petites amies, spectateur du mariage de Carrie contre lequel il ne peut agir, Charles est celui qui regarde, tout comme la bande est spectatrice d’une réalité qu’elle ridiculise. Par Face d’Oie ou par toutes ses ex, toutes plus hystéro les unes que les autres, et par Carrie encore, Charles est possédé. A son mariage, Carrie lui donnera même ses répliques: "Dis oui à toutes les questions!". Et lors de cette tentative de mariage, ce n’est pas lui mais son frère qui dira les mots salvateurs, Charles se contentant de les traduire. Mais à travers les mots des autres se joue la possibilité même de parler, et le jeu permet de se masquer pour mieux dire, de jouer à être un peu ce que l’on est, histoire de se découvrir derrière le masque de la comédie. Le premier baiser de Carrie et Charles est une parodie de baiser de nouveaux mariés, qui peu à peu dérape. Au petit matin, Charles s’écrit en voyant partir Carrie: "C’est une tragédie", ce à quoi elle répond par une comédie de jeune pucelle en lui demandant la date prochaine de leurs fiançailles. Comprenant qu’elle plaisante, Charles lui répond qu’il s’est cru pendant un instant dans Liaison fatale. Lorsqu’il fait sa déclaration d’amour à Carrie, c’est en empruntant les mots d’un feuilleton télévisé. L’évolution passe d’un spectacle pitoyable à une comédie jouée à soi même et aux autres. Derrière la douleur d’un homme hésitant à sortir de l’enfance, sans illusion quant à ses impuissances, c’est l’histoire classique d’un apprentissage du sentiment amoureux et de la conquête d’une autonomie. Le troisième opus de cette petite équipe, Le Journal de Bridget Jones, quelques années plus tard, ressert le couvert de la comédie sentimentale mais avec ce personnage féminin, cela devient triste et régressif: à troquer un Prince Charmant contre un autre pour jouer les raisonnables, on en arrive à une situation aussi absurde que celle de préférer à un sex symbol drôle et débonnaire un truc austère et chiant!

SO BRITISH!

Co-scénariste avec Rowan Atkinson des épisodes de Mr. Bean, Richard Curtis possède l’art d’écrire des saynètes quasiment muettes et souvent absurdes, qui tisse ici avec une légèreté réjouissante une multitude de situations cocasses. Quatre mariages et un enterrement est fait d’une matière quasiment théâtrale. Le film se construit en cinq actes. Le mariage est une sorte d’unité de lieu et d’action. Spectacle lui-même, avec ses costumes, son cérémonial et ses différents actes, il a sa propre scène et ses coulisses, ses personnages principaux (les mariés), ses figurants (les invités), ses monologues (les fameux discours du garçon d’honneur). Le second mariage se termine même par des applaudissements: c’est que Mr. Bean a réussi à jouer la scène jusqu’au bout. Et comme le dit Gareth, les enterrements sont plus excitants que les mariages car on est certain d’en être un jour le personnage principal! Avec ce scénario linéaire et finalement très épuré, le classicisme du chapitrage du film inspiré, comme souvent dans le cinéma britannique, du théâtre, le film se construit surtout sur des sautes d’humour; la légèreté du film passe par la grâce incontestable de cet humour so british qui ici se décline sous toutes ses formes. Inoubliables, la succession de "fuck" de Charles, en retard, qui culmine dans un "fuckity fuck", que les sous-titrages traduisent par un savoureux "merdicité de merde", réitéré à chaque mariage... Ou encore Fiona, si guindée, embarrassant le prêtre gêné par ses comparaisons déplacées entre un premier mariage à consacrer et un premier acte sexuel à consommer, comique pince sans rire du décalage et de l’absurde... Charles incarne radicalement l’autodérision, définition même de l’humour, un regard absurde et détaché sur les événements, qui s’exerce par réflexe, sur soi-même. Capacité à désamorcer le réel, à en faire éclater les conventions, l’humour ne va pas sans recul. Visuellement à l’écran, c’est notre regard de spectateur que le personnage intègre sur lui-même. Et la mise en scène figure ces jeux de regards: il y a toujours un regard tiers par lequel la situation est désamorcée, regard lointain, neutre, dans lequel on se projette, et par lequel la distance nécessaire au rire advient. Dans Quatre mariages et un enterrement, le ridicule ne tue pas, il est au contraire salvateur. C’est la grâce de cette comédie romantique que Love Actually ne réitère pas. On dirait que Curtis ne croit plus aux vertus ni de l’amour ni du rire. C’est bien dommage pour nous.

par Yannick Vély

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