Moloch

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Moloch
Moloch
, 1999
De Aleksandr Sokurov
Scénario : Aleksandr Sokurov
Avec : Leonid Mozgovoy, Elena Rufanova, Leonid Sokol
Durée : 2h00

Dans un château baigné d'étranges lumières verdâtres, une jeune femme attend. Nue, à l'exception d'une fine ceinture autour de la taille, elle tente de tromper son ennui. Elle danse, court, écoute un disque, et s'exhibe devant quelques soldats qui font le guet non loin de là. Son homme, son " Adi " ne tardera plus à venir.

Il serait intéressant de savoir l'effet produit par le film sur un spectateur qui en ignore totalement l'intrigue. Mettons fin au suspense tout de suite. L'homme tant attendu, l'amoureux, n'est autre que le Führer, Adolphe Hitler en personne, venu rendre visite à sa maîtresse le temps d'une trop courte journée. Si la simple vision d'une photo du dictateur suffit à vous glacer le sang, il est alors aisé d'imaginer le malaise ressenti devant ce film qui nous montre ce tristement célèbre personnage (très bien joué par un acteur étonnant de ressemblance) tel que peu de gens l'ont vu : hésitant, fragile, mégalomane, probablement victime d'un profond déséquilibre... Il faut le voir hurler, manger, mimer un chef d'orchestre, sortir de sa douche habillé d'une simple serviette, et déféquer pour mesurer à quel point le dictateur est aujourd'hui devenu l'icône de la honte. Il est en effet difficile de regarder le film sans baisser le regard à un moment ou à un autre - alors que le cinéaste ne nous montre jamais la solution finale (il n'en parle pratiquement pas).

La principale force de Sokourov, et le principe de tout son film, c'est de ne pas juger Hitler, le spectateur s'en chargera, mais de nous le montrer tel qu'il était, "dans le privé" (la plupart des dialogues et des situations seraient authentiques). De nous montrer à quel point l'atrocité de ses actes publics se répercutaient dans sa vie de tous les jours, de nous prouver que l'extermination finale n'avait pas que des fondements politiques mais également psychologiques. De nous montrer que le plus banale des week ends à la montagne (car c'est bien de cela qu'il s'agit pour les personnages) peut prendre une allure extrêmement tragique, voire insoutenable quand des coups de feu ou de canons se font entendre au loin (la bande son est en cela une vraie prouesse).

Mais le film de Sokourov ne se résume pas à une simple idée. Il faudrait également parler des acteurs, tous excellents jusque dans les seconds rôles, de la mise en scène toujours juste, et surtout de cette lumière, dégradée de vert, de gris, et de marron, tellement appropriés à l'endroit et au sujet.

On entendra ici ou là que Sokourov n'a pas fait oeuvre d'historien avec ce film, qu'il n'a absolument pas abordé son scénario d'un point de vue synchronique. Et pourtant, c'est bien d'histoire qu'il nous parle avec ses personnages tous plus ridicules les uns que les autres, ces sujets à peine effleurés (on peut entendre Hitler dire "Auswitch, ça n'existe pas", formule reprise par tous les négationistes et totalement absurde dans le sens où tous les protagonistes présents dans le château sont probablement au courant des plans du Führer et qui montre le degré de folie, de refoulement des personnages), cette bande son qui nous rappelle constamment que la guerre n'est pas loin, même si les personnages n'ont jamais vraiment l'air de s'en rendre compte...

Mais là où la fiction et l'histoire se rencontrent pleinement et intelligemment, c'est dans la petitesse des personnages, bien trop à l'étroit dans leur vulnérabilité d'être humain. Hitler n'est finalement qu'un homme médiocre qui a su profité d'une période de crise de la nation allemande. Et la véritable force du film, c'est de venger le spectateur de ce personnage immonde en le rendant beaucoup plus humain et mesquin qu'il voulait probablement le faire croire. Il faut voir une scène en particulier : épié par un soldat allemand, Hitler défèque en pleine campagne. Puis avec ses mains, penché en avant, il gratte la terre pour cacher sa merde. Cherchant probablement à cacher la vermine qu'il avait en horreur, il ressemble finalement bien à ce qu'il est : un chien.

par Anthony Sitruk

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Moloch a remporté le prix du meilleur scénario au Festival de Cannes 1999. Le jury était présidé par David Cronenberg (qui donna la Palme d'or à Rosetta, de Luc et Jean-Pierre Dardenne).

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