Jour des morts-vivants (Le)

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L'annonce récente de l'ajout d'un quatrième tome à ce qui reste l'une des séries les plus cohérentes de toute l'histoire du cinéma a fait frémir de plaisir les plus impatients et les plus nostalgiques. Cette trilogie (tétralogie si on prend en compte le remake de La Nuit des morts-vivants par Tom Savini) représentant ce que le cinéma fantastique a produit de plus effrayant, de plus malsain durant ces trente dernières années, on ne peut qu'être ravi de cette annonce, d'autant que le réalisateur de ce nouvel opus reste George A.Romero. Pourtant, un bref retour en arrière nous permet de constater que cette trilogie comporte un segment mal aimé, ou mal compris. Mal perçu en tout cas. Ce segment étant bien sûr Day of the Dead, Le Jour des morts-vivants en français

Faisant suite à Zombie (Dawn of the dead), Le Jour des morts-vivants ne pouvait que décevoir, et cela pour plusieurs raisons. La première est due à son auteur, George A.Romero, soucieux de ne pas répéter le même film et donc d'aborder un genre quelque peu différent. Après l'épouvante du premier et l'action du deuxième, le cinéaste choisit cette fois de s'attaquer au genre de la parabole politique. La deuxième raison provient tout simplement de la qualité des précédents épisodes et du fait qu'il n'était objectivement pas possible d'égaler la folie furieuse de Zombie, film qui reste vingt ans après toujours au top de la liste des meilleurs films d'horreur de tous les temps. La troisième vient de l'absence d'un nom au générique, celui de Dario Argento. Responsable du montage de Zombie dans la version européenne du film (alors que les spectateurs américains n'ont eu droit qu'à la version de Romero), Argento était alors à l'apogée de son talent et de sa popularité. Remontant Zombie sur une musique hallucinante des Goblins, il avait fait de ce film un summum du film d'action grâce à un redécoupage ultra cut des plans déjà superbes de Romero.

Dès le premier plan du Jour des morts-vivants, il est évident que le dernier opus de cette trilogie sera bien différent des deux précédents. Les plans sont fixes, lents et contrastent violemment avec la folie furieuse des deux premières scènes anthologiques de Zombie. Pas de tête qui explose, pas de combat entre zombies et forces armées, pas de débat télévisé, les humains ont déjà perdu et n'ont d'autre choix que celui de se terrer dans des abris militaires anti-atomiques. Les quelques survivants s'organisent comme ils peuvent, forment des opérations de sauvetage desquelles ils reviennent déprimés par l'absence de résultat et ne peuvent que constater que la mort a envahi les villes (" The dead walk " titre un journal qui traîne dans la rue). En une scène, sublime, complète, parfaite, Romero transcende son budget minuscule et résume le combat qui a déjà eu lieu en hors-champ. On croirait entendre les cris, les pleurs, les armes à feu des vivants, se débattant dans un ultime sursaut de désespoir face à des hordes de morts-vivants toujours plus nombreux. Mais de tout ça, on ne voit que le résultat : cette ville saccagée, envahie par la mort et la vermine.

Retour à l'abri militaire. Ici se joue le nœud de l'intrigue. La population, réduite à son minimum, se compose de militaires, de scientifiques et de civils. La loi martiale est instaurée par le commandant en chef et les scientifiques se doivent d'avancer dans leurs recherches malgré le matériel toujours trop vieux, sous peine de voir leur vie menacée. Ici revient la grande thématique des films de zombies et de toute une partie du cinéma fantastique : devant la menace extérieure, les humains se déchirent entre eux. L'un des personnages le dit, le commandant n'hésitera pas à les tuer...justement parce qu'il est humain avec ce que cela sous-entend de faiblesses, de mensonges, de trahisons...La métaphore politique est à son comble, poussée bien plus loin qu'elle ne l'était dans les deux précédents épisodes (où elle n'était déjà pas totalement évitée, contrairement à ce qu'on a pu entendre dire). Jamais aucun film d'horreur n'était allé aussi loin dans la critique politique. Il faudra attendre Carpenter et son LA 2013 qui n'appartient de toute façon pas à ce genre, pour retrouver un film à ce point nihiliste et subversif. Antimilitariste au possible, le message du film émerge entre deux scènes de gore abominables.

Romero pousse encore plus loin le bouchon en reprenant sa thématique du zombie comparé au consommateur. Les morts-vivants n'ont gardé de leur ancienne vie que leurs réflexes les plus basiques parmi lesquels ceux de la vie quotidienne. Dans Zombie, on les voyait errer dans un supermarché, arpentant les rayons comme ils pouvaient le faire dans leur ancienne vie, par réflexe. Dans Le Jour des morts-vivants, le paroxysme est atteint en la personne de Bub, mort-vivant éduqué par l'un des scientifiques. Doué d'une véritable intelligence, Bub réapprend à se servir des objets les plus usuels (livre, rasoir, magnétophone...). À travers ce personnage et quelques autres, on voit que dans l'esprit du cinéaste, les morts prennent le pas sur les vivants. Avec le peu d'humanité qu'ils retrouvent par réflexe, des gestes, des regards, ils deviennent finalement plus humains que les vivants, toujours plus fous et malades.

Il serait injuste de n'aborder le film que d'un point de vue scénaristique, car Romero est bien plus qu'un simple conteur. Celui qui nous avait achevés avec Zombie et retournés avec Knightriders, considéré comme l'un des premiers clips de l'histoire du cinéma, après Phantom of the paradise mais avant The Wall, ne peut être réduit à ça. Utilisant toujours mieux la musique, il impose un rythme hallucinant dans un film entièrement fait de plans fixes. Les accélérations sont fulgurantes et traumatisantes. Il faut voir cette scène fabuleuse où les zombies débarquent dans l'abri, tandis que la musique démarre pour ne plus s'arrêter jusqu'au carnage final.

Il faut voir également à quel point Romero sait diriger ses acteurs. Dans un film gore classique, on a la plupart du temps le schéma de la jeune victime qui se contente de hurler face au tueur masqué. Ici, les personnages vivent, pleurent, tremblent. Ils sont fatigués, éprouvés par la situation, toujours au bord de sombrer dans la folie la plus totale.

Le Jour des morts-vivants marque une date dans l'histoire du fantastique. Pour la dernière fois, un film gore joue la carte du sérieux. Depuis il y a bien eu Hellraiser, mais il faut bien reconnaître que Clive Barker n'a pas le talent de Romero. Il ne faut surtout pas voir ce film comme un simple film gore de plus. Encore moins comme un essai auteurisant raté. Il faut le prendre pour ce qu'il est : la dernière preuve d'un cinéma gore sérieux, sans effet de second degré lourdingue et bourré de talent. C'était il y a bien longtemps...

par Anthony Sitruk

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