Freaks, la monstrueuse parade

Freaks, la monstrueuse parade
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Cléopâtre fait chavirer le cœur de Hans et en profite pour tenter de voler la fortune de ce dernier. Mais les monstres veillent…

Lorsque Cléopâtre, la trapéziste, débarque parmi les "freaks" (monstres) du cirque Tetrallini, sa beauté physique fait tout de suite effet sur Hans, qui en tombe amoureux, au grand désarroi de Frieda l’écuyère, et accessoirement sa fiancée... Il faut dire que Cléopâtre ne passe pas inaperçue au milieu des membres du cirque. En effet, elle est quasiment la seule à être "normale", physiquement parlant, le cirque Tetrallini se composant principalement de ceux que l’on appelle communément des monstres de foire. Il y a donc Hans et Frieda, qui sont nains, Joseph/Josephine, à la fois homme et femme, les jolies sœurs siamoises, l’homme-tronc, la femme-oiseau, etc…Mais là n’est pas l’intérêt du film. Tod Browning ne cherche pas à faire une galerie de monstres, au contraire, le film se déroule dans leur univers, celui où les gens normaux, ce sont eux.

Il va donc sans dire que Cléopâtre est considérée d’un drôle d’œil par ses nouveaux collègues, exactement comme ces derniers seraient perçus s’ils venaient dans le monde de la trapéziste. Et d’ailleurs, ils n’ont pas tort de se méfier d’elle. Cléopatre remarque la passion que lui porte Hans, et surtout par la même occasion la fortune dont celui-ci jouit grâce à un héritage. Avec Hercule, l’homme fort du cirque et son véritable amant, elle décide d’accepter sa demande en mariage puis de le tuer, afin de récupérer son argent. Hans se laisse prendre au piège, malgré les avertissements de ses amis… Lors du banquet, les deux amants laissent libre cours à leur méchanceté, se moquant des invités, ainsi que de Hans, qui commence à se dire que son histoire n’est peut-être pas si idyllique que ça… Puis commence l’empoisonnement à petit feu, jusqu’à ce que les freaks décident d’agir, et de montrer leur solidarité.

La scène de la vengeance est l’une des plus terrifiantes du film, et a marqué durablement les esprits. Pour amener la tension, Browning joue à la fois sur ses personnages, dont la forme dans la pénombre devient plutôt inquiétante, et sur les alentours, les décors. Alors qu’auparavant nous étions dans le cirque, cette scène se déroule lors d’un déplacement, le mouvement introduisant la notion d’instabilité, source potentielle de danger. De plus, le temps est de plus en plus menaçant, et l‘orage éclate à la nuit tombée, tels les enfers se déchaînant sur les deux amants maléfiques.

Il existe plusieurs fins à ce film. Initialement d’une durée de 90 minutes, après plusieurs coupes et remontages, il sera réduit à 64 minutes, pour la version la plus connue. Dans celle-ci, le film se termine par la vision cauchemardesque de Cléopâtre, dont le corps est désormais celui d’une poule, présentée comme un monstre à son tour… Une autre version du film se termine un peu plus tard, avec une scène montrant les retrouvailles de Hans et Frieda, après que celle-ci ait pardonné à son fiancé son infidélité. Mais dans la première version qu’avait tournée le réalisateur (invisible à ce jour), Hercule était également castré. Cette version ne fit évidemment pas l’unanimité chez les producteurs et fut donc censurée. On ne verra donc que le sort réservé à la trapéziste, la dernière image d’Hercule le montrant paniqué par les amis de Hans qui arrivent vers lui.

Autour de cette intrigue, Browning dépeint la vie quotidienne du cirque, par de petites histoires secondaires. Il décrit ses pensionnaires comme des gens ordinaires, avec les mêmes soucis que n’importe qui. Le fait est que le réalisateur connaît bien le milieu, puisqu’il a lui-même travaillé dans un cirque, entre 16 et 30 ans. Il connaît cette vie, elle fait partie intégrante de sa culture, et c’est ce qui lui permet de dépasser les clichés. Il montre un monde réaliste, réalisme qu’il pousse jusqu’à engager non pas des acteurs, mais de véritables "freaks" appartenant au cirque Barnum. Tout est donc bien réel, et cela contribue à créer le malaise ambiant, d’autant que Browning n’hésite pas à jouer sur certaines ambiguïtés, par exemple le fait que les acteurs qui incarnent les amoureux Hans et Frieda étaient frère et sœur dans la réalité…

Le message évident de Freaks est que les monstres ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Si Cléopâtre correspond aux normes physiques par sa beauté, à l’intérieur, elle est la plus laide de tous les personnages, la plus monstrueuse. C’est le regard que l’on porte sur les autres qui détermine leur état. N’étant pas habitués à la vision d’une femme/poule, les spectateurs qui viennent voir Cléopâtre à la fin du film sont horrifiés, certains crient. L’ancienne beauté est donc devenue un monstre, et cette monstruosité n’est désormais plus seulement intérieure, mais visible par tous. Nous sommes tous des monstres potentiels, voilà ce que nous dit Freaks. Un message universel, qui se vérifiera dès l’année suivante avec la montée du nazisme, et un film qui restera comme le chef-d’œuvre de son réalisateur, inspirant plusieurs cinéastes, notamment le magnifique Elephant Man de David Lynch.

"Nous ne vous avons pas menti, nous vous avions annoncé des monstres, et vous avez vu des monstres. Ils vous ont fait rire et trembler… Pourtant, si le hasard l'avait voulu, vous pourriez être l'un d'eux. Ils n'ont pas demandé à naître, mais ils sont nés, ils vivent. Ils ont leurs codes, leurs lois. Offenser l'un d'entre eux, c'est les offenser tous…".

par Yannick Vély

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