Fenêtre sur cour

Fenêtre sur cour
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Fenêtre sur cour
Rear Window
États-Unis, 1954
De Alfred Hitchcock
Scénario : John Michael Hayes d'après d'après l'oeuvre de Cornell Woolrich
Avec : Raymond Burr, Wendell Corey, Grace Kelly, Thelma Ritter, James Stewart
Photo : Robert Burks
Musique : Franz Waxman
Durée : 1h52
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Après un accident sur un circuit automobile, le reporter-photographe L.B. Jeffries est cloué dans un fauteuil roulant, la jambe plâtrée pour six semaines. Pour tromper l'ennui, il observe avec son téléobjectif ses voisins de l'immeuble d'en face. Jusqu'au moment où il soupçonne l'un d'entre eux d'avoir assassiné sa femme…

Fenêtre sur cour - Trailerenvoyé par enricogay. - Court métrage, documentaire et bande annonce.

"Le cinéaste n'est pas censé dire les choses. Il est censé les montrer."

Alfred Hitchcock

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Friand de progrès technologiques et adepte d'expériences nouvelles, Alfred Hitchcock nous en offre une intéressante et unique avec Fenêtre sur cour. En installant son héros dans un fauteuil roulant, "emprisonné" dans son appartement, le réalisateur rive le spectateur du film à son fauteuil. Le long métrage se déroulera, à deux scènes près, toujours du même point de vue, celui de la fenêtre de Stewart, celui de l'écran de cinéma. La fiction semble ainsi devenir réalité, l'écran ouvre directement sur cette cour new-yorkaise où se côtoient une vieille fille romantique, un couple de jeunes mariés, un pianiste, une danseuse… ou encore un homme dont la femme semble s'être évaporée, et dont les agissements nocturnes curieux sèment le doute dans l'esprit du journaliste toujours en quête de sensations qu'incarne James Stewart. Celui-ci entretient jalousement sa solitude, son indépendance, et élude quotidiennement les envies maritales de Grace Kelly, belle et riche jeune femme. Pourtant, toujours à l'abri derrière sa vitre et son objectif, il ne peut s'empêcher de violer en secret l'intimité de ses voisins. Son voyeurisme devient même contagieux: non seulement son infirmière et sa petite amie se laisseront prendre au jeu, mais le spectateur aussi. Confortablement installés, réfugiés de l'autre côté de la toile, nous devenons complices. Cette délicieuse curiosité nous anime à notre tour, le suspens émerge doucement. Mais tout en gardant des dialogues savoureux et regorgeant d'humour, l'œuvre devient progressivement plus sombre.

UN ANGE PASSE

Tandis qu'un cri se fait entendre dans la cour et que tous les habitants se ruent dehors pour découvrir le cadavre d'un petit chien, Lars Thorwald reste enfermé dans les ténèbres de son logement, trahissant sa présence - que seuls Stewart et le spectateur surprennent - par les braises de sa cigarette. Le noir, l'ombre, l'obscurité sont souvent chez Hitchcock la représentation du mal, le signe ultime que celui-ci est présent. Après la masse imposante du château Frontenac dans La Loi du silence et avant celle de la célèbre maison de Psychose, l'appartement du supposé assassin se retrouve plongé dans le noir à l'instant même où toutes les fenêtres s'allument. C'est l'un des éléments qui ont conduit Claude Chabrol et Eric Rohmer à qualifier Fenêtre sur cour de "figure-mère" du cinéma hitchcockien, car on y retrouve un condensé de toute la "mythologie hitchcockienne". En opposition à la noirceur représentant les forces du mal, Hitchcock envoie près du héros une "envoyée céleste" en la personne de Grace Kelly. Dans ce film, tout comme l'année suivante dans La Main au collet, elle permet au héros de se débarrasser de son vice, de régler ses conflits, de s'accepter. Présence apaisante, à la fois douce et forte, elle s'immerge complètement dans la vie de l'homme qu'elle aime et l'amène au salut. Ici, elle ira ainsi fouiller l'appartement de Thorwald à la recherche d'indices, se mettant en danger. Tandis que nous assistons, impuissants, au retour de l'homme chez lui, le baroudeur James Stewart aura un déclic. Elle n'est pas celle qu'elle paraissait, elle le bluffe par son courage et sa volonté. La vision à travers la vitre semble offrir une nouvelle réalité, l'écran devient un miroir déformant.

LOFT STORY

Cependant, beaucoup s'accordent sur le fait que cette intrigue n'est que le MacGuffin - élément récurrent de la filmographie d'Hitchcock - du film, un mystère que seuls les protagonistes cherchent à percer, en fait sans intérêt pour les spectateurs, concentrés sur autre chose (le plus souvent sur l'histoire d'amour au centre du métrage). Fenêtre sur cour serait plutôt une ambiguë dénonciation du voyeurisme, en faisant de Stewart un homme s'adonnant au plaisir solitaire de l'espionnage d'autrui, dont il se repentira en acceptant que son "envoyée céleste" partage sa vie. Nous-mêmes nous retrouvons finalement seuls face à la jouissance procurée par le suspens du film. Hitchcock semble ainsi nous culpabiliser gentiment, mais il est lui-même le maître d'œuvre de ce comportement à l'érotisme sous-jacent. Pour mener à bien cette "expérience", qui rend encore plus ridicule et obsolète n'importe quelle émission de télé-réalité, Alfred Hitchcock a fait débloquer à la Paramount, pour leur premier film ensemble, un budget permettant de construire l'immeuble entier. Trente-et-un appartements seront ainsi montés dans un "sound stage" - aucun autre plateau n'étant assez grand -, dont douze entièrement aménagés. Ceci permettra au réalisateur de pouvoir tout filmer du point de vue de l'appartement du photographe. Le changement de producteur permet aussi au cinéaste de s'affranchir de sa moralité victorienne et de réaliser un film pleinement américain (il est enfin débarrassé de la main mise permanente de David Selznick). Film charnière, Fenêtre sur cour l'est enfin également au niveau du traitement de l'histoire. Après plusieurs films où le secret au cœur de l'intrigue est connu et donne lieu à un chantage, il tente à présent d'être percé. La période suivante verra le personnage principal faire partie intégrante du mystère du film (La Mort aux trousses, Sueurs froides). Bénéficiant de l'imagination et du savoir-faire incomparables de Hitchcock, Fenêtre sur cour peut ainsi à juste titre être considéré comme l'une de ses œuvres majeures.

par Marlène Weil-Masson

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