Exorciste (L')

Exorciste (L')
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Exorciste (L')
The Exorcist
États-Unis, 1973
De William Friedkin
Scénario : William Peter Blatty
Avec : Linda Blair, Ellen Burstyn, Jason Miller, Max Von Sydow
Photo : Owen Roizman, Billy Williams
Musique : Jack Nitzsche
Durée : 2h02
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A Washington, Chris McNeil et sa fille Regan voient d'étranges phénomènes se multiplier dans leur paisible maison. Chris entend des grattements au grenier tandis que Regan assure que son lit bouge. Le comportement de cette dernière se met à changer de manière inquiétante...

QUOD NOMEN MIHI EST?

Mount Rainer, Maryland, 1949. Un jeune garçon de 14 ans fait l'objet d'un exorcisme. William Peter Blatty, alors étudiant, se décide à écrire sur le sujet. 1968: Roman Polanski triomphe avec Rosemary's Baby, film où le fantastique naît dans une atmosphère parfaitement réaliste, dans un New York en pleine libération sexuelle. En 1969, Woodstock devient le terrain de jeu de huit-cent mille hippies opposés à la guerre du Vietnam. La même année, le sataniste Charles Manson organise l'assassinat de cinq personnes, dont Sharon Tate, l'épouse de Polanski. 1971: Blatty publie enfin son livre, L'Exorciste. Les Etats-Unis s'embourbent au Vietnam, la guerre prend fin début 73. La présidence de Nixon est bousculée tandis que le pays entier soigne ses plaies. Le lendemain de Noël sort L'Exorciste de William Friedkin. Entre temps, le livre de Blatty est devenu un best-seller et Friedkin a gagné un Oscar pour French Connection. Le contexte est d'ores et déjà particulier: la paranoïa règne aux Etats-Unis et le pape lui-même s'exprime sur l'influence du Mal qui s'abat sur le monde.

Si le film de Friedkin parvient à capter cette tension, c'est en peignant via L'Exorciste le portrait d'une famille tout à fait ordinaire, conférant à sa surnaturelle odyssée une atmosphère de reportage pris sur le vif, qui renvoie le genre du fantastique à son propre fondement: l'hésitation. L'hésitation, c'est aussi celle de Damien Karras, ballotté entre son statut de religieux et sa perte de foi, ou encore celle de Chris McNeil, femme publique en vogue et mère célibataire. L'ambivalence habite toute l'oeuvre: qu'annoncent ces deux religieuses qui, au début du film, en passant dans la rue, laissent à l'image un halo incertain, entre présence divine et perversion démoniaque? Les hurlements de chiens lors de la première scène en Irak n'installent-ils pas déjà le malaise? Essence du fantastique, l'hésitation est également le berceau de l'horreur. Un démon peut-il se cacher derrière le visage poupin de la petite Regine?

THE DEVIL INSIDE

Durant sa première partie, le film s'échine à présenter une petite fille modèle, gamine joufflue à voix fluette, demandant au Capitaine Sait-tout si sa maman est jolie. Dans une scène anodine, on est déjà en droit de penser que la charmante fillette converse avec le diable. L'ultime transgression se situe ici: en plus d'exploser le noyau familial (déjà en morceaux avec un père absent qui ne pense pas à l'anniversaire de sa fille), l'intrusion du démon s'empare du symbole d'innocence en la personne de Régine. L'horreur familiale, c'est la façon dont la mère est confrontée à la sexualité de sa propre fille, qui l'encourage à la "lécher" alors que celle-ci se masturbe joyeusement à l'aide d'un crucifix sous l'emprise du démon. Comme si l'angoisse de la mère de voir sa fille déjà sexuée se matérialisait sous le masque du démon, rappelant ainsi sa gêne lorsque Régine lui parle de ses amours en début de film. Comme une réponse de la jeune fille qui, contre son gré, sera transpercée d'autant de piqûres phalliques lors de l'artériographie qu'elle subit. Régine est habillée de blanc, son vêtement souillé de sang par des médecins aux allures d'inquisiteurs luttant contre le démon.

Catalyseur des remises en question, l'intrusion du diable dans le corps de l'enfant est l'occasion pour Karras de retrouver la foi, après des incertitudes spirituelles suite au décès de sa mère. "Je crois que j'ai perdu la foi", confie t-il au Père Tom. Satan devient l'objet de la catharsis, l'objet purificateur qui permet le questionnement et la remise en question de soi après s'être confronté à ses propres démons. En réalité, on assiste aussi bien à l'exorcisme de Régine qu'à celui de Karras - d'où une prise de relais logique en fin de film, où ce dernier se sacrifie pour la fillette. Là où la médecine échoue, la spiritualité triomphe. Ainsi, les plans répétés sur la porte de la chambre de Régine subliment l'importance du lieu de culte, à la fois laboratoire, antre du démon, lieu d'incantations et de recueillement spirituel, jusqu'à ce que la dernière partie du film se concentre quasi-uniquement dans cet espace exigu. Les plans fixes sur la porte s'enchaînant à la caméra à l'épaule lorsque les personnages entrent dans celle-ci précisent la frontière marquée entre l'intérieur et l'extérieur. A ce titre, la caméra de Friedkin s'attarde souvent sur le visage des personnages lorsqu'ils pénètrent dans la chambre avant de montrer ce qui s'y passe, comme lors des premières convulsions de Régine, qui exhorte sa mère à la "baiser".

WHAT AN EXCELLENT DAY FOR AN EXORCISM

C'est ici que se situe une certaine ambiguïté: le film a été attaqué de manière virulente par les ligues catholiques lors de sa sortie, mais présente pourtant un voyage spirituel qui aboutit à une foi retrouvée. Triomphe immédiat en salles, il continue à effrayer aujourd'hui - en témoigne sa ressortie qui participe à perpétuer le mythe. Friedkin, déjà à l'époque, s'en souciait largement. On a ainsi beaucoup parlé du tournage difficile, du décor en flammes, de la chambre frigorifiée, des coups de feu pour maintenir les comédiens sous une certaine nervosité permanente, de la mort de personnes ayant participé au film, du fait que Linda Blair ait effectué toutes ses scènes elle-même. Beaucoup de ces rumeurs ont été enflées par Friedkin lui même: il en a résulté le scandale Eileen Dietz, non créditée en tant que doublure de Blair, afin de permettre à Friedkin d'alimenter la rumeur. Le réalisateur n'en souffrira pas, contrairement à Blair qui se voit privée d'Oscar, l'esclandre éclatant peu avant la cérémonie. Fait rarissime: un film d'horreur est nommé dix fois, dont en meilleur film (échouant contre L'Arnaque).

Lors de sa sortie, un homme d'église menant le mouvement catholique contre le film a affirmé que le diable lui-même imprégnait la pellicule. Référence aux images subliminales qui parsèment le long métrage? Malgré lui, cet homme a probablement fait au film son plus beau compliment.

par Nicolas Bardot

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