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Filmographie
Les acteurs de Tim Burton
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Entretien
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Cinéaste sous influences, Tim Burton n'a jamais caché son talent de copiste, clamant même haut et fort ses nombreux modèles artistiques. Piochant avec gourmandise dans le meilleur de la littérature enfantine et du film de genre, l'auteur de Big Fish a ainsi trouvé son style en accommodant ses récits initiatiques d'une esthétique gothique travaillée dans ses moindres détails. De cette confrontation insolite est née un univers sombre et mélancolique traversé de fulgurances poétiques si rares dans le cinéma américain actuel. Comme si ce metteur en scène surdoué avait digéré à la perfection un demi-siècle de culture non officielle pour n'en retenir que le meilleur, le sublime, l'humain.

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Enfant réservé et solitaire, le petit Tim Burton s'évadait de son quotidien morose grâce à la littérature enfantine anglo-saxonne décomplexée, celle de Roald Dahl et du célèbre Dr. Seuss. Deux auteurs qui refusent les effets faciles et offrent à leur jeune lectorat des histoires hautement symboliques, contes cruels et ironiques qui ne prennent pas les chères têtes blondes pour des créatures décervelées. De l'auteur gallois Roald Dahl, Tim Burton a retenu le goût de la fantaisie, au sens noble du terme. Les personnages et les situations les plus improbables peuvent coexister mais les sentiments humains sont toujours décrits avec réalisme. Le cinéaste va même prochainement exaucer son plus vieux rêve. Après avoir produit la version animée de James et la pêche géante, il adapte pour le grand écran l'un de ses livres de chevet, Charlie et la chocolaterie. L'influence de l'œuvre du Dr. Seuss se révèle déterminante. L'Etrange Noël de Monsieur Jack de Tim Burton possède de nombreux liens de parenté avec le fameux Grinch qui a lui aussi tenté de dérober l'esprit de Noël. A l'époque de sa sortie dans les années 60, le film d'animation de Chuck Jones adapté du livre pour enfants avait particulièrement impressionné le jeune Burton. Ce dernier passait de longs après-midi devant la télévision, adulait les dessins animés de la Warner, les premiers Disney, dont Blanche-Neige et les sept nains, qui inspirera son spot publicitaire le plus connu, et les petits joyaux de Tex Avery dont il adorait l'humour absurde.


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La cinéphilie de ses années collège ne s'est jamais éteinte. Tim Burton a continué de fréquenter les salles obscures et les cinémathèques. Fasciné par le cinéma muet, il se passionne pour l'expressionnisme allemand, les chefs-d'œuvre à l'esthétique envoûtante de F.W. Murnau (Nosferatu le vampire, L'Aurore), Fritz Lang (Metropolis, M le Maudit) ou Robert Wiene (Le Cabinet du Docteur Caligari dont il espère toujours mettre en scène le remake). Il rend souvent hommage à ces sources d'inspiration. Le nom du personnage incarné par Christopher Walken dans Batman, le défi est celui de l'interprète du Nosferatu de Murnau, Max Schreck. Tim Burton vénère les vieux films de monstres, comme le King Kong de 1933, signé Merian C. Cooper et Ernest B. Schoebdsack, ou encore La Fiancée de Frankenstein de James Whale, avec Boris Karloff. Son amour pour le genre l'a amené à découvrir les films apocalyptiques de la Tôei dont le célèbre Godzilla d'Inishiro Honda, que l'on retrouve à la fin de Pee Wee's Big Adventure. Plus proche de nous dans le temps, l'onirique La Nuit du chasseur de Charles Laughton compte parmi ses films préférés. Big Fish convoque de nouvelles influences. Le ton décalé et féerique des aventures d'Edward Bloom rappelle celui des longs métrages de Federico Fellini (La Strada, Amacord) et de son cousin des Balkans, Emir Kusturica (Arizona Dream). Impossible de ne pas songer à l'œuvre de Steven Spielberg, surtout au récent Arrête-moi si tu peux. Le réalisateur de Rencontres du troisième type, qui partage avec Tim Burton un goût prononcé pour l'enfance perdue, était d'ailleurs pressenti pour adapter le roman de Daniel Wallace à l'origine de Big Fish.


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L'univers de Tim Burton ne peut se circonscrire uniquement à celui du cinéma et de la littérature enfantine. L'enfant de Burbank a grandi mais a conservé le même appétit culturel. Mars Attacks!, son film le plus délirant, s'inspire d'une série de cartes de collection illustrant une invasion extra-terrestre dans les années 60, découverte par hasard par un proche du metteur en scène. Grisé par la scène punk pendant son adolescence, il adopte, pour lui comme pour ses héros, le code vestimentaire des chanteurs de new wave, répertoire en vogue au début des années 80. Le look d'Edward au mains d'argent doit sans doute beaucoup à Robert Smith, le chanteur du groupe The Cure. Illustrateur de talent, la peinture a évidemment exercé une influence capitale sur son art. Aidé par le fidèle Rick Heinrichs, producteur de Vincent et décorateur entre autres de Fisher King de Terry Gilliam et du Hulk d'Ang Lee, il a matérialisé avec Sleepy Hollow son inclination pour les peintres préraphaélites anglais (l'œuvre de Millais par exemple), ainsi que pour les artistes flamands du 16ème siècle (Bruegel). Sur le plan architectural, le style gothique l'a fortement inspiré, comme en témoignent les vertigineux buildings de Gotham City, la ville que protège Batman. Il faut bien sûr rapprocher cette influence avec son amour pour l'expressionnisme allemand et la culture européenne en général. Avec Big Fish, il semble s'être éloigné de la culture enfantine pour approcher l'esprit du roman picaresque. En suivant les aventures fictives ou réelles d'Ed Bloom, on retrouve l'atmosphère des contes modernes de Theodore Sturgeon (Cristal qui songe) ou celle des romans de Paul Auster (Moon Palace, Mr Vertigo).


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L’Etrange Noël de monsieur Jack est un archétype dans les films burtoniens. Tout comme Vincent et Edward aux mains d’argent, Jack a été imaginé par Tim Burton qui a, par la suite, laissé le soin à une scénariste professionnelle (Caroline Thompson) et un réalisateur (Henry Selick) de mettre en forme son film. Il s’agit là de la genèse d’un conte nouveau et inédit, inspiré par les traditions du folklore anglo-saxon de Noël et d’Halloween. Une histoire peuplée de créatures prodigieuses où une micro-société reprend les attributs de celle dans laquelle évolue Tim Burton. Jack comporte encore un élément emprunté au conte: le narrateur. Celui qui dit, celui qui raconte et livre sa vision. D'ailleurs, on retrouvera ce conteur, accommodé de bien des façons, dans Vincent, Edward ou La Planète des singes. Avec son principe de sketches éclatés, Charlie et la chocolaterie permet de multiplier les comptines au sein d'un plus grand conte moral où l'enfant et son rapport au monde prend un rôle central. De son côté, Big Fish est construit comme véritable concentré de conte. La notion de vérité et de plausible, y est malmenée comme un bateau dans la tempête. Ici, Edward Bloom croise au cours de sa vie de nombreux personnages insolites ou grotesques. A coup sûr des rebus de contes. Entre rimailleurs sans talents, vrais ogres géants et chanteuses siamoises made in China, Burton inocule son imaginaire fait d’elfes, de sirènes et de fées. Tout comme le fils du bonimenteur tente de remonter le fil de son véritable père au travers de ses histoires, Burton distille sa propre identité en filigrane. Tout cela pour fabriquer des histoires qui enrichissent et rehaussent la vie par nature terne et morne. N’est-ce pas le plus bel hommage au conte et à sa mémoire d’airain?

Yannick Vély