Blessée, décapitée, traumatisée, emprisonnée, solitaire ou orpheline, l’enfance chez Tim Burton est le décor de la plus pure des horreurs, celle où le sang bien rouge gicle sur le visage de lait encore peu aguerri aux duretés du monde. Avant de rire de la mort et de faire danser les épouvantails, l’enfant se doit de traverser le sombre couloir qui le mènera à sa tremblante maturité.
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Pour Tim Burton, l’enfance est un train fantôme. Elle est plongée dans le noir, confrontée aux meurtrissures, aux monstres du placard, sans possibilité d’échapper à leur impitoyable regard. Et si un jour le trajet prend fin, il laisse ses funestes échos dans les cervelles à peine nées, fragilisant le cœur et les chevilles de l’adulte à venir. Dans ses fioles de laboratoire, l’enfant prépare son lendemain dont il peint la toile de fond. Ce qui déterminera les actes bienveillants de Bruce Wayne (Michael Keaton dans Batman) ou malveillants de Mary Van Tassel (Miranda Richardson dans Sleepy Hollow), ce qui a fait naître le désir délirant et chocolaté de Willy Wonka (Johnny Depp dans Charlie et la chocolaterie), ce sont des blessures d’enfance, et le désir de les soigner. Ce qui déconstruira Pee-wee Herman (Paul Rubens dans Pee-Wee’s Big Adventure) ou Ichabod Crane (Johnny Depp dans Sleepy Hollow), ce sont les fantômes de l’âge innocent qui ne cessent jamais de hululer. Les racines de l’arbre pour en expliquer ses fruits, le trauma pour éclairer les actes. Victime ou complice, l’enfance se pose comme la pièce originelle des motifs qui obsèdent le metteur en scène.
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Le premier cauchemar de l’enfance réside en la perte des parents. L’enfant, jeté dans la gueule du monde sans qu’une quelconque main parentale n’en vienne l’extirper. Les personnages burtoniens sont souvent marqués par un tel traumatisme. Première figure accidentée, Batman: le jeune Bruce Wayne voit ses parents se faire assassiner, et son destin en est à jamais marqué. L’événement jouera le rôle de déclencheur quant aux velléités du super-héros à la noirceur particulièrement profonde. Autre orphelin célèbre mais dans le second épisode, le Pingouin. Jeté à l’eau dans un panier de prophète, recueilli dans un zoo et animalisé en la circonstance, le personnage est principalement marqué par ce geste de refus et se place lui-aussi sous le signe de la vengeance. Dernière laissée pour compte revenue déterrer la hache de guerre, Mary Van Tassel dans Sleepy Hollow. Affamée par des propriétaires terriens sans scrupule à la mort de son père, Mary, alors enfant, fait un pacte avec le diable pour qu’un cavalier décapité devant ses yeux renaissent de ses cendres afin de la venger elle et sa famille. Dans le même film, la mort de la mère de Ichabod Crane laisse une place autant psychologique que physique, avec cette blessure faite aux mains de l’enfant lors de la découverte du cadavre. Lisa Marie, filmée en contre plongée, regard pétrifié, semble vouloir établir un dialogue avec son enfant, échange dont l’agent serait ce sang qui afflue en cascade. Le passage de relais s’effectue, et la dernière main tendue, soit-elle refroidie, est souvent celle qui indique l’âpreté du chemin futur. Le cas Charlie marque, lui, une nouvelle étape: Wonka, abandonné, et blessé au point de ne plus pouvoir prononcer le mot "parent", parvient finalement à renouer le dialogue avec un père qui ne l’a finalement jamais perdu de vue, fier de la réussite sucrée de son fiston.
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"Je souhaite traiter les enfants comme les autres personnages" - autrement dit: pas de quartier. Si le cinéma de Tim Burton s’approche des contes d’antan peuplés de sorcières, de fées, entre autres créatures fantastiques, il leur emprunte également leur cruauté étrangère à toute concession. Le massacre de la famille Killian dans Sleepy Hollow compte parmi les scènes fortes du film, confrontant l’onirisme enfantin (les lumières magiques de la lampe) à ses ombres menaçantes, hydre à deux têtes du conte burtonien. La mort de la mère est une fois de plus mise en scène comme le dernier climax horrifique: son regard, pétrifié, surencadré par l’espacement des planches, rappelle ainsi la mort de Lady Crane, où le regard était lui aussi délimité par une ouverture horizontale dans le tombeau. L’enfant ne peut échapper à cette vision d’horreur qui semble elle-même le désigner des yeux, avant d’être parfois décapité comme le jeune garçon Killian. Les roses tissus de l’enfance sont surtout là pour en faire ressortir les noirs dessous, voir les futures vengeresses égarées en forêt (Sleepy Hollow), les fillettes achetées comme animal de compagnie (La Planète des singes), ou les enfants parfaits (ou pestes démoniaques) ironiquement passés à la moulinette de Willy Wonka (Charlie et la chocolaterie), ou les gamins envoyés à la pendaison ou abrutis par le gin dans Sweeney Todd. "Certains enfants sont trop sages, c’est plus drôle avec de la rage" chante t-on dans L’Etrange Noël de Monsieur Jack. L’enfant, lui-même, peut être complice dans son désir de peindre le ciel en noir. La pluie sur la fenêtre de Victor ne tombe que d’un arrosoir dans Frankenweenie, tandis que les fantasmes macabres de Vincent ne semblent venir que de l’imagination tourmentée d’un jeune garçon qui se rêve en Vincent Price. Pourtant, lorsqu’il tombe au sol et que la lumière s’éteint sur lui, le mal être semble bien présent. L’enfant, s’il n’est pas confronté aux monstres de chair et de sang, est de toute façon enfermé dans une prison mentale gardée par des spectres.
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Une fois que le train fantôme époumoné arrive au bout du rail de l’enfance, il reste une autre épreuve initiatique: l’adolescence. Figure de l’entre-deux, Edward armé de ses mains en forme de cisailles baigne dans une innocence enfantine pervertie par le monde extérieur. Il connaît ses premiers émois avec Kim Boggs (Winona Ryder) avant de se rendre compte que la greffe avec le reste de la population ne prend pas pour ce personnage lunaire. En plus de s’automutiler, le jeune homme est rejeté par une foule massive qui ne voit en lui qu’un monstre. Edward est une figure assez exceptionnelle car l’adolescence chez Burton est souvent l’âge du détachement désabusé quant aux blessures quotidiennes. L’orphelin Masbath, dans Sleepy Hollow, s’offre à peine le temps de pleurer son père défunt qu’il s’engage auprès de Ichabod dans sa chasse au cavalier décapité. Mieux, les adolescents de Mars Attacks! n’ont même plus le désir de réagir au monde qui les entoure. La fille du président (Natalie Portman) ne communique plus avec ses parents que par télévision ou domestiques interposés, tandis que Richie, perdu dans la campagne américaine, subit le même rupture avec sa famille. Le renoncement semble résulter d’un travail de sape des géniteurs, qui regrettent que Richie ne soit pas comme son frère: "On a gagné le gros lot avec Billy Glenn, ça n’arrive qu’une fois". Voici maintenant des jeunes gens parés pour l’avenir: afin de résister aux dents ciselées de leur existence, il faut d’abord se confronter aux démons, manier la lame fatale (Sweeney Todd), sortir du cauchemar, et se détacher du monde pour en accepter les désillusions.
Nicolas Bardot