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Entretien
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En tant qu’oeuvre de suspens, Sleepy Hollow se devait de posséder une entrée en matière à la hauteur de son secret. En véritable catalyseur d’ambiance, Tim Burton crée avec quelques plans laconiques l’abécédaire de son film. Il y installe les codes esthétiques et l’humour noir qui y seront développés par la suite, comme une sorte d’histoire en condensé qui s’achève avant la présentation des personnages principaux. Analyse de l’introduction, depuis la signature du testament jusqu’à la décapitation de Peter Van Garrett.





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Les premiers accords d’une musique sombre et inquiétante se propagent dès le logo de la Paramount. Tim Burton pratique l’immersion immédiate et ne laisse pas le temps au spectateur de prendre ses aises; son film n’est pas encore commencé qu’un les prémices d'une atmosphère poisseuse se construit. Une fois les crédits passés, le réalisateur va, en diverses séquences, résumer son film et donner les clés de ses thèmes. Premier plan (photo 1), des gouttes rouges sanguines rentrent dans le cadre et s’étalent sur un vieux parchemin. Second plan (photo 2), une main d’homme vient serrer douloureusement la main d’une femme posée sur une table en bois tandis qu’un feu brûle derrière. Troisième plan (photo 3), la caméra effectue un travelling arrière sur un parchemin où est écrit en lettres gothiques: Last Will and Testament - dernières volontés et testament. Ces trois cadres d’introduction de Sleepy Hollow délivrent une somme considérable d’informations, symboliques ou non. Tout d'abord, les costumes entraperçus et la typographie renseignent sur la date du drame, un passé romantique. Les gouttes rouges – qui s’avéreront être de la cire – figurent le sang, la mort, mais aussi la filiation. Le jeu sur la nature de ces gouttes (cire/sang) permet de jouer sur le simulacre, l’illusion et le sens caché des choses. La tromperie et la machination en tant qu'outils trouveront plus tard un nouvel écho lors des scènes où la mère du héros (Ichabod Crane) lui montre, alors qu’il est encore enfant, un dispositif d’illusion optique. Par la suite, les deux mains qui se joignent amènent l’amour dans l’intrigue. Sleepy Hollow parlera d’amour. Un amour fatalement tragique si l'on en croit la façon dont les mains se serrent, dans une étreinte désespérée. Enfin le cadre sur le testament renvoie à la notion de mort et de drame mais aussi les enjeux familiaux. Particulièrement vrai lorsque le legs apparaît ne pas provenir d’un roturier mais d’un notable, riche et puissant. Dans la continuité de la séquence, Tim Burton ne fera qu’amplifier et étoffer les esquisses d’idées qu’il a crayonné dans ces premiers plans.

Témoins et instigateurs paraphent de leurs noms, tout en signant leur mort, prophétisée par des passages de la caméra au-dessus de fragments du testament (photo 4 et 6) où des mots tels que grave (tombe) ou corpse (corps) sont inscrits comme autant de présages funestes. Le nom de Jonathan Masbath est deviné, presque furtif, alors que celui de Peter Van Garrett apparaît plein cadre (photo 5). Ce sont les victimes des deux premiers meurtres qui frapperont la ville de Sleepy Hollow. On peut y voir un procédé imaginé par Tim Burton pour appâter le spectateur, dévoilant des éléments de l’intrigue sans en expliquer le sens. Par la suite, on retrouve le plan de la tache rouge qui grandit (photo 7), immédiatement suivi par un cadre sur un bâton de cire fondant à la flamme (photo 8), brisant l’illusion d’une hémorragie tâchant un document – idée pourtant hautement plausible dans un contexte dramatique. A mesure que la séquence avance, la musique devient plus tragique, et les cadres plus serrés, s’approchent du sujet capturé par la caméra. Le rythme s’accélère. Cette partie s’achève sur deux actions. La première montre en trois cadres un destin qui se scelle. D’abord une main s’empare d’un sceau (photo 9), puis écrase la cire fondue (photo 10) et se retire (photo 11), révélant en plein cadre la marque de la famille. Le premier et le dernier plan de cette courte séquence interagissent comme deux images en miroir – le sigle du sceau étant évidemment gravé à l’envers de son image. L’avant et l’après, l’instant qui fait définitivement basculer le sort des protagonistes de l’histoire. La seconde action permet de faire le lien avec la suite. Le testament cacheté est introduit à l’intérieur d’une serviette en cuir, signifiant le départ précipité d’un ou plusieurs des protagonistes présents lors de la signature (photo 12).

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Dans un cut brutal, Tim Burton change de lieu et accélère d’un cran la narration. La relative sécurité d’un intérieur cosy avec feu de cheminée cède la place à l’urgence de l’extérieur nocturne et à la frénésie des sabots de chevaux (photo 13). La musique se fait plus sombre et se confond avec le son de la calèche qui emmène Peter Van Garrett et son fils. Le motif du sceau des Van Garrett se répète en couleurs sur la porte qu’un panoramique révèle (photo 14), allant des roues jusqu’au vieux patriarche incarné par Martin Landau (photo 15). C’est le premier visage du film et les traits de son visage sont soucieux. Alors, contre toute attente, Tim Burton brise son rythme en insèrant une étrange respiration afin d’endormir l’inquiétude du spectateur. Le signal d'un coup de tonnerre lorsque la voiture passe et la musique retourne au second plan avec un son d’orgue matelassé. La vigilance s’endort, Van Garrett mi-fatigué, mi-inquiet regarde par la fenêtre et voit un sinistre présage; un épouvantail à tête de citrouille – référence évidente à Jack le roi des citrouilles de L’Etrange noël de Monsieur Jack (photo 16) - dans un champ de maïs. L’inquiétude remonte d’un niveau lorsque le tonnerre craque à nouveau. Les travellings suivant la calèche et filmés depuis les champs de maïs s’accélèrent quand le cocher (et fils Van Garrett) devient plus nerveux (photo 17 et 18). Par la suite, Tim Burton utilise un procédé classique du film d’horreur. Alors que le protagoniste nous fait face, il gère son cadre de telle façon que la Menace invisible passe dans son dos sans qu’il le remarque (photo 19). Seul le hennissement du cheval trahit sa présence. Le spectateur a, en cet instant, une longueur d'avance sur Van Garret. L'attention reste alors exclusivement sur lui (photo 20). C’est par l’utilisation d’effets sonores que Burton va prolonger le suspens qu’il a introduit quelques instants auparavant. On entend un son de métal suivi par celui d'une espèce de faux. Van Garrett panique un peu plus et se penche par la fenêtre pour parler à son fils. La révélation se fait au même moment qu’un coup de tonnerre (nouvelle utilisation d’une figure de style classique du cinéma d’épouvante), il a été proprement décapité (photo 21). Terrorisé, Van Garrett saute de la calèche (photo 22) toujours en marche.

Nouveau changement de lieu et nouveau dépouillement. L'intérieur de la calèche comme environnement clos et sécurisant n’est plus, Van Garrett se retrouve seul face à un meurtrier dont il ne connaît rien. Il cherche refuge dans les champs de maïs (photo 23). La mise en scène adopte un autre ton en choisissant un montage plus sec et des cadres rapprochés sur le visage terrorisé de Martin Landau. La fuite s’effectue en plans subjectifs alternés avec pour contrechamps des cadres serrés sur l’acteur (photo 24). Les épis de maïs fouettent sa figure et l’objectif de la caméra. Son champ de vision, limité par la végétation (photo 25). Son univers s’est soudainement réduit et les hautes herbes sont comme des mains griffues qui cherchent à l’attirer à l’intérieur d'un royaume végétal. Par la suite la caméra se détache de Van Garrett pour le voir déboucher dans un lieu particulier (photo 26). Il se retrouve face à l’épouvantail à tête de citrouille dont les traits deviennent sataniques à la lueur de l’orage. Le présage est pratiquement réalisé. Ses bras écartés emplissent l’espace du cadre et entrouvent un univers de mort. Tim Burton réemploie la respiration et la musique ad-hoc (photo 28 et 29). Toutefois, il la corrompt en y mettant fin prématurément. Il introduit à nouveau le hennissement. Le motif du meurtre – qui sera utilisé plusieurs fois dans le film – va être à nouveau employé. L’angle prend alors le point de vue du meurtrier (photo 30) et l’on entend un son de métal identique à celui qui avait précédé le meurtre du fils Van Garrett. La caméra se précipite sur le vieil homme affolé qui est décapité dans le même plan (photo 31). Le dernier cadre de cette introduction montre le visage de l’épouvantail souillé par une gerbe de sang (photo 32). Un ultime éclair et un fondu au noir clôture la séquence. La suite se passera dans un tout autre lieu – New York – avec le personnage principal, Ichabod Crane, dans son environnement naturel. La Menace est réveillée et le rideau est levé sur la pièce.