Quels sont les réalisateurs qui peuvent se targuer d'avoir véritablement marqué une époque, lancé un genre ou un style, inspiré un courant entier du cinéma? Ils sont peu nombreux, et Sam Raimi, responsable de Spider-Man, est l'un d'entre eux.




 
C'est bien simple, ces vingt dernières années de cinéma d'action ont été marquées par trois grands cinéastes, sans qui le genre ne serait pas ce qu'il est actuellement: John McTiernan, John Woo et Sam Raimi. Après tout, qui d'autre que lui a réussi le pari incroyable d'imposer l'imaginaire et le visuel du cinéma gore et du cartoon dans le genre de l'action movie? Un exemple parmi tant d'autres: le fameux plan
 
de la flèche dans le démodé Robin des bois, prince des voleurs, plan qui avait fait à l'époque son petit effet auprès de spectateurs trop prompts à laisser le cinéma fantastique dans son ghetto, sans se rendre compte que celui-ci avait évolué, et s'était finalement déplacé vers les grosses productions, véhicules pour stars.



C'est en 1982 que la mini révolution que constitue Evil Dead montre le bout de son nez. Cartoonesque, violent, incroyablement gore, le film contribue à la reconnaissance d'un genre mal aimé. Les spectateurs du monde entier en redemandent et se gaussent des exploits de Bruce Campbell, à jamais Ash. Malmené par une caméra qui manque à plusieurs reprises de lui casser les côtes, poursuivi dans des sentiers minuscules par une mobylette censée remplacée un monstre lovecraftien, régulièrement noyé sous des litres de faux sang, montrant encore quelques limites dans son
 
jeu, l'acteur marque à jamais toute une génération de fans, ceux-là même qui se délectent chaque mardi soir du dessin animé de Chuck Jones diffusé en milieu de soirée dans l'émission La Dernière Séance. Le film entre dans la légende, devient culte du jour au lendemain, reçoit les éloges de Stephen King en personne, et bénéficie des faveurs d'un public déchaîné lors de sa présentation au Festival du Film Fantastique de Paris. Enchaînant avec le quasi invisible mais immédiatement culte Mort sur le grill, Sam Raimi voit sa côte de popularité monter auprès des producteurs. Petit génie, il doit malgré tout de nouveau faire ses preuves, les financiers le voyant bien
 

réaliser à tour de bras des petits films d'horreur originaux et faire ainsi des bénéfices certains.



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Heureusement, Sam Raimi est un gars chanceux, en plus d'être un cinéaste talentueux. Celui qui lui propose de produire la suite de son mini chef-d'œuvre la lui offre sur un plateau d'argent: Evil Dead 2 sera
 
donc une production De Laurentiis, le gros Dino, dernier nabab de son état, acceptant de financer le film pour trois millions de dollars - une somme énorme pour le cinéaste, mais malheureu- sement insuffisante pour réaliser son rêve le plus fou: balancer le pauvre Ash en plein moyen-âge. Tant pis, ce sera pour le trois, le deux se contentant finalement d'être un remake amélioré du premier... Ludique, inventive, révolutionnaire, la mise en scène du film est l’une des plus belles des années 80. Véritable matrice du cinéma hollywoodien de cette même période, le film, peu diffusé aux Etats-Unis car n'ayant pas de visa de distribution, est lentement digéré par le ciné-
 
ma hollywoodien qui n'en croit pas ses yeux. Un petit génie, tout juste majeur, en remontre aux plus grands cinéastes et réalise le film le plus magistralement bluffant de la décennie. Des plans restent, cultissimes, notamment ceux montrant Ash se battant avec sa propre main. Les spectateurs du Festival du Rex applaudissent à tout rompre. Raimi accède, malgré le demi échec (relatif étant donné le budget) de son film, au vedettariat.



Maniant habilement la caméra, il se lance dans ce qui est le meilleur film adapté de l'univers des comics à ce jour (quoique sa place de numéro un vient d'être raflée par Spider-Man!), le sublime et très sombre Darkman. Les fans crient à la trahison (leur poulain travaillant pour une major, la honte!), les autres se délectent des aventures de ce super-héros pas comme les autres, plus proche du fantôme de l'opéra que de Superman. Le succès est énorme (plus de trente millions de dollars, ça peut faire sourire aujourd'hui, mais il y a douze ans, la donne au niveau des chiffres du box-office était différente),
 
le culte immédiat. Une fois de plus, la caméra se fait virtuose, et préfigure déjà ce que sera le futur Spider-Man. L'après Darkman est beaucoup moins rose, en terme de carrière. Raimi réalise le poétique L'Armée des ténèbres, titre donné au troisième épisode de la série des Evil Dead, par un producteur soucieux de ne pas rattacher sa nouvelle production à deux petits films gore. Obligé également de limiter le sang, Raimi réalise un film clean, à l'exception d'un jet de sang plus burlesque que réellement glauque. Pourtant, là encore, la caméra devient la véritable star du film, faisant jeu égal avec les sommets atteints par l'acteur Bruce Campbell,
 
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double potache et crétin du cinéaste balancé en plein moyen âge suite à une faille temporelle ouverte à la fin de l'épisode précédent.



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Peinant à rembourser son budget, le film reste une parenthèse dans la carrière du cinéaste, qui se voit pour la première fois obligé de se soumettre au diktat d'un producteur. Pourtant, il persévère et emploie cette
 
fois un casting de stars (Sharon Stone, Gene Hackman, et les inconnus Leonardo DiCaprio et Russell Crowe) pour un western bourré de références à Leone, à Ford, aux cartoons, à lui même. Mort ou vif, probablement le dernier chef d'œuvre du genre, sorti à la même époque que le Dead Man de Jarmusch, met la critique dans la poche du cinéaste, enfin reconnu comme un auteur, mais plonge dans les profondeurs abyssales du box office. Il est d'ailleurs intéressant de voir à quel point la carrière de Sam Raimi fonctionne par étapes, chacune d'entre elles étant censée le préparer un peu mieux à ce chef-d'œuvre que sera Spider-Man. Après avoir
 
poussé à bout les limites de sa caméra, après avoir touché au gros budget, et au manque de libertés qui va avec, après avoir dirigé les plus grandes stars, Raimi se voit maintenant producteur, histoire d'ajouter un argument de plus à sa palette de compétences. Il sert sur un plateau d'argent à l'acteur belge Jean-Claude Van Damme le cinéaste John Woo, récemment immigré aux Etats-Unis, et accepte de produire leur Chasse à l'homme, film méconnu, mal aimé, mal compris, mais qui pourtant scelle le destin des trois hommes par son côté personnel et anti-conformiste.



Sam Raimi gagne quelques sous avec ce film, assoit son indépendance, et continue dans ce sens en investissant maintenant le domaine de la télévision, avec deux séries incroyablement célèbres, malgré leur manque évident de qualités: Hercule, puis le spin off Xena. Fort de ce succès, il produit de nouveau un film de Van Damme, Timecop, le plus gros succès de la star. A croire que Raimi transforme en billets verts tout ce qu'il touche. 1998: personne n'y croit, Sam Raimi réalise un film dramatique, entièrement en plans fixes. On le dit jaloux de la réussite accompagnée d'oscars et de prix à Cannes des frères Coen, désireux de rentrer dans les rangs. Pour l'amour du jeu et Intuitions ne peuvent à
 
première vue que confirmer cet état de fait engagé avec l'excellent Un Plan simple. Là encore, c'est mal connaître le cinéaste qui tente simplement de parfaire ce qui reste encore l'un de ses vrais défauts: la direction d'acteur, ses anciens personnages restant parfois trop à l'état d'ébauche (ok, pour Darkman, ça se discute). Trois films simples, linéaires, à première vue faciles, mais pourtant bien plus subtils qu'ils n'en ont l'air, et approfondissant malgré tout certains thèmes du cinéaste. Trois films qui ne font encore une fois que préparer la claque énorme que sera son adaptation du comics Spiderman, la saga de sa vie, celle déjà mythique des Spider-Man (plus de 800 millions de dollars par épisode au box-office). Au vu de ce parcours impres-
 
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sionnant de cohérence, il y a quand même une question que nous sommes en droit de nous poser: y a t-il un film que Sam Raimi ne soit pas capable de faire et de transformer en objet de culte?