La répétition générale et inconsciente de Spider-Man par Sam Raimi douze années plus tôt est avant tout l'histoire d'un semi échec. L'homme, encore considéré comme un geek
 
par les pontes hollywoodiens, ne parvient pas à acheter les droits pour le comic qu'il désire adapter. L'opportunité The Shadow lui file entre les doigts, pour être reportée sur une adaptation par Russel Mulcahy quelques années plus tard, avec Alec Baldwin. Raimi se retrouve ainsi avec un sujet en béton et aucun personnage pour le faire vivre. Qu'à cela ne tienne, il va créer son propre héros, quelqu'un qui soit à même de rentrer dans les guêtres de l'Ombre. The Darkman était né. En lui injectant les anabolisants classiques du super héros (identité double, caractéristiques sur-
 
humaines), Sam Raimi entrouvre la porte qui va le mener à Spider-Man non sans effort. On lui refuse tout d'abord le droit de prendre son ami Bruce Campbell pour incarner le personnage central et défiguré de Darkman. Pas assez connu, pas assez bankable, pas assez acteur. On lui préférera un Liam Neeson ici totalement transparent - ce qui, au vu du rôle, n'est pas nécessairement un défaut.


Pire que tout, le studio Universal, ne croyant pas une seule seconde à l’éventuel potentiel com-mercial du film, limite son budget à seize "petits" millions de dollars. La somme s’avère vite insuffisante pour concrétiser avec crédibilité certaines scènes spectaculaires inventées par le réalisateur et le visuel s'en ressent. Cependant, s’il l’on considère ici qu’il s’agit du premier vrai film du jeune prodige produit par un grand Studio, le résultat est plus que satisfaisant, et ce,
 
aussi bien au niveau du box-office - deux suites sortiront en vidéo dans lesquelles Liam Neeson sera remplacé par Arnold Vosloo, rôle-titre de La Momie - que pour les fans de Sam Raimi et de Comic Book. De plus le semi échec de ce superhéros de rechange était sans compter sur la pugnacité du réalisateur, qui aura su pendant une dizaine d'années parfaire son art pour finalement s'attaquer en 2002 aux aventures du tisseur de toiles, qui reprendra de nombreux éléments de son Darkman.
 





Malgré ses défauts et la relative faiblesse de son casting, Darkman possède de nombreux intérêts. L'un
 
d'entre eux se trouve être ses multiples points de concordance avec le premier Spider-Man. De par la nature du personnage créé par Sam Raimi, ses origines et les thèmes abordés issus directement de la tradition du comic book (multiples personnalités, vengeance, etc.) les liens qu’il tisse avec cet univers étaient plus qu'évidents. Mais c'est surtout dans la structure même des deux films que l'on retrouve des similitudes frappantes. La scène où Norman Osborne devient le Bouffon Vert se trouve être en lien direct avec
 
celle où Peyton Westlake, scientifique défiguré par les hommes de main du méchant, utilise ses propres recherches scientifiques pour se reconstruire un visage et une identité. Lors de cette même séquence, on retrouve également une mise en scène qui rappelle fortement les plans où Peter Parker étudie lui-même les possibilités d'un costume adéquat pour son identité secrète. La quête de l'identité se retrouve inversée.


Les similitudes ne s'arrêtent pas là. Outre l'utilisation identique de ruelles sombres et d'entrepôts désaffectés, Sam Raimi utilise dans les deux films la notion de masque, cachant / découvrant les visages. Pour Darkman, les masques deviennent le moyen de retrouver une identité perdue ou bien d'endosser d'autres personnalités. Chez Spider-Man, au contraire, ils servent à supprimer l'identité de son porteur, pour ne laisser transfigurer que la figure du héros. Seulement Sam Raimi va jusqu'à reprendre des idées esquissées pour son Darkman et améliorées
 
par la grâce des effets spéciaux douze ans plus tard. En témoigne cette scène où le Darkman est suspendu à un filin, balancé entre les gratte-ciel, miroir évident aux pérégrinations d'un Spider-Man arachnéen. De la même manière, on retrouve, lors du climax, une construction où le héros doit sauver son amour d'une chute mortelle, accrochée à une structure métallique et emmenée là par le méchant de l'histoire. Enfin, dernier point de concomitance, le speech final du héros, véritable réflexion sur l'identité exceptionnelle perdue dans la masse, trouve un merveilleux écho chez l'Araignée. Darkman, la
 

réplique adulte et rêvée d'un Spider-Man plus ambitieux.