Le film de Bryan Singer est devenu en quelque temps un film culte pour une part de ses nombreux spectateurs, et cela, même si certains d'entre eux ne connaissaient pas le comic book original. Il était facile, cela dit, dès les rumeurs de préparation du film, de s'informer dessus, dans la mesure du possible et du non-spoiler, et donc de plus ou moins se familiariser avec l'univers des X-Men et certains des mutants les plus connus, notamment ceux présents dans le film. Malgré ce phénomène de culte autour de l'œuvre, il n'est pas certain que l'on reconnaisse un jour au film de Singer tous ses mérites. On le qualifie rapidement de très bon divertissement et de bonne adaptation du comic mais c'est généralement tout.




La méthode choisie par les auteurs du film est très classique: utiliser la structure habituelle qui consiste à suivre un (ou plusieurs) personnage s'introduire dans un univers qui n'est pas le sien et découvrir peu à peu de quoi il retourne avant de s'y intégrer totalement. De cette façon, l'identification s'opère plus aisément et elle se fait d'autant plus habilement ici que les deux
 
protagonistes choisis sont le réputé Wolverine, véritable star du comic, et la plus fragile Rogue, à laquelle le public féminin peut alors plus facilement s'attacher. Outre leur statut de "nouveaux", les deux personnages partagent également une histoire à part, évoluant à travers tout le film. Depuis leur rencontre jusqu'à leur adieu final, en passant par la scène dans le train où Wolverine tente de convaincre Rogue de ne pas fuir, ou encore celle de la "résurrection" de Rogue, les séquences où figurent les deux mutants composent un arc scénaristique en marge de l'intrigue principale, proposant ainsi un réel approfon-dissement des personnages. C'est peut-être parce que les scénaristes se sont plus attardés sur eux que les autres personnages subissent un traitement secondaire et parfois légèrement superficiel,
 
comme c'est le cas pour Cyclops et surtout Storm, en retrait. Le premier existe malgré tout dans sa confrontation avec Wolverine et son lien avec Jean Grey, et surtout dans sa fonction de leader du groupe, prenant le relais du Professeur X lorsque celui-ci est dans le coma. D'ailleurs, la dernière partie du film montre finalement le personnage entrer en action de façon plus aboutie et plus représentative. Storm et lui bénéficiaient à l'origine de scènes décrivant l'apparition première de leurs "dons". Elles sont présentes dans les premières versions du scénario mais ne purent figurer dans la version que nous connaissons à cause d'un manque important de temps et d'argent lors de la production et du tournage du film.



Le délai que Bryan Singer devait respecter pour terminer son film était très court, la Fox n'ayant pas de blockbuster pour l'été 2000. Son développement a donc été accéléré et le cinéaste n'a finalement pas eu assez de temps pour la préparation, manifestant régulièrement depuis son regret de ne pas avoir pu faire un storyboard plus complet de chaque scène. De plus, un film de cette ampleur, adaptation très attendue de l'un des comic books les plus connus, et candidat estival d'une major, aurait dû bénéficier d'un budget conséquent loin de son coût final de "seulement" 75 millions de dollars. A titre de comparaison, Spider-Man en a coûté le double. C'est sans doute la raison pour laquelle la plupart des spectateurs préféreront le film de Raimi, qui bénéficie
 
de scènes d'action plus spectaculaires. Mais outre le fond, bien plus consistant et intéressant que celui du film de Sam Raimi, la forme du métrage de Singer remporte plus facilement l'adhésion. Sa mise en scène peut adopter un style plus sombre vu l'aspect politique sous-jacent ainsi que les évènements parfois tragiques qui ponctuent le film. Il s'agit ici d'une période sombre. On parle d'évolution mais au final, le conflit qui déchire êtres humains et mutants n'est pas sans rappeler le contexte historico-politique dans lequel la bande dessinée est née. Nous sommes dans les années 60, le président Kennedy se bat pour les droits des noirs et le racisme est encore présent dans la société. Le face-à-face Xavier/Magneto a souvent été comparé à l'opposition des méthodes de Martin Luther King et de
 

Malcolm X. Ce thème omniprésent n'est pas comparable avec la légèreté de Spider-Man, où l'on assiste aux problèmes qu'un étudiant rencontre à la puberté, ainsi qu'à sa première prise de responsabilité.



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Le thème plus "adulte" du film de Singer le rend plus passionnant que le film de Raimi. Cependant, on critique Singer de ne pas avoir été assez fidèle au support original, ce qui est en partie vrai. Outre les libertés évidentes prises par exemple au niveau des costumes (adieu les
 
costumes colorés au profit d'un unique uniforme renforçant l'esprit d'équipe), modernisés à travers le cuir noir, bien que toujours individualisés (on note de petites nuances entre les uniformes des différents X-Men, comme celui de Wolverine, dont les coutures suivent le schéma de son uniforme original). L'on remarque également quelques variations opérées quant aux personnages (Jean Grey devient Dr. Jean Grey, Toad n'est plus un bossu mais artiste martial, Rogue s'entiche d'Iceman et de Wolverine au lieu de Gambit...). Tant de petits détails dont l'importance n'est qu'anecdotique. La vérité est que les auteurs ont préféré réellement "adapter" le comic book à l'écran, en se le
 
réappropriant. Ils s'inspirent de la bande dessinée, en reprennent les grandes lignes, afin de créer leur propre mythologie. Et opéreront de la même façon avec le second opus, qui s'inspire partiellement du roman graphique Dieu crée, l'homme détruit. X-Men, que certains ont trouvé trop court, prend amplement le temps de présenter ses personnages et un univers remarquablement retranscrit (à travers des décors et des effets spéciaux soignés), posant les bases nécessaires en vue d'une potentielle trilogie qui sera caractérisée par sa richesse thématique et esthétique.