La dénonciation de la violence dans Impitoyable de Clint Eastwood

Si la carrière cinématographique de Clint Eastwood a souvent été associée à des actes de violence, le réalisateur s’est à maintes reprises appliqué à la dénoncer, la pointer du doigt comme un élément destructeur de l’âme humaine. En 1992, lorsque Impitoyable sort sur les écrans, la rustrerie légendaire des cow-boys et les fantasmes qui entourent le port des armes dans les westerns sont attaqués de plein fouet. Le tout parfaitement résumé dans une scène de prise de conscience remarquable en fin de film. Mise en situation et analyse.
WHEN YOU HAVE TO SHOOT, SHOOT, DON’T TALK
C’est autour d’un acte de violence gratuite que se noue l’intrigue d’Impitoyable, c’est sur une revanche sanglante et préméditée qu’elle se clôt. Deux extrémités d’un même spectre que Clint Eastwood décline tout au long du métrage. Un cow-boy taillade une prostituée qui s’est moqué de la petite taille de son sexe, l’engrenage se met en route. Exécution, vengeance, représailles, personne n’est épargné, aucun n’y trouvera son compte. Pas de héros au sens propre du terme dans cet enfer qu’est Big Whiskey, les actes passés ou présents de chacun des protagonistes les ont transformés en "impardonnables" comme le souligne le titre anglais du film, Unforgiven. Impardonnables d’avoir tué de sang froid, mutilé sans raison, suivi l’ange de la mort dans ses hécatombes. Impardonnables d’avoir engagé des mercenaires ou d’être restés témoins hagards sans prendre position. Impardonnables d’avoir fantasmé, enjolivé, romancé le fait d’ôter la vie. Rien ne peut effacer leurs actes pas même l’expression de remords. C’est d’ailleurs ce que dira William Munny en essence au Kid lors de la scène de prise de conscience que nous allons analyser. Elle se situe avant l'affrontement final, après que William Munny et le Kid aient tué le dernier des deux cow-boys ayant pris part à la mutilation de la prostituée.
THEY HAD IT COMING
La scène s'ouvre sur un plan large des deux hommes (photo 1) immédiatement suivi par un contre-champ sur une ville au loin, dont s'échappe une silhouette à cheval s'avançant vers eux (photo 2 - plan qui entrecoupe la scène à plusieurs reprises, montrant l'évolution de l'avancée du cavalier, et servant de transition aux différentes étapes de la prise de conscience des deux hommes). En l'espace de quelques secondes Clint Eastwood installe l'action. William Munny et le Kid attendent leur récompense à l'extérieur de Big Whiskey. Le plan se resserre (photo 3). William Munny scrute la silhouette à l'horizon alors que le Kid s'interroge. Est-ce que l'homme qui l'accompagne a réellement vécu une partie de sa vie dans cette ambiance de violence qu'il vient d'expérimenter?
Ce questionnement engendre une différenciation entre les deux personnages. Ils ne sont plus à égalité devant l'acte qu'ils viennent d'accomplir. Alors que l'un était un coutumier du fait, l'autre le découvre à peine. Pour souligner cette opposition, Clint Eastwood a choisi un montage alterné de plans moyens des deux protagonistes. William Munny, en légère contre-plongée, le plaçant "au dessus", toujours debout face à l'horizon (photo 4); le Kid, assis, les jambes de Munny en amorce (photo 5), essayant de se raccrocher au passé de son aîné pour justifier ses actes. Il vient de tuer un homme désarmé.
Le Kid continue en se confessant à Will. Il n'avait jamais tué personne avant. Les cadres se resserrent de nouveau sur chacun des deux hommes (photos 6 et 7) devenant plus intimes en accord avec les révélations qui sont faites. Si William Munny avait déjà anticipé ces aveux, le fait que le Kid passe par cette étape souligne sa prise de conscience. Il n'est pas un tueur dans l'âme contrairement à ce qu'il voulait faire croire, mais il ne pourra plus mener la même vie, ni jamais vivre celle dont il aurait rêvé, car son acte criminel pèsera à jamais sur lui. Cette dernière idée est renforcée par la réplique de William Munny: "En tout cas ce salopard, aujourd'hui, c'est sûr que tu l'as tué" qui est immédiatement suivie d'un plan serré sur le visage du Kid (photo 8).
Le réalisateur change alors d'axe, montrant en vue subjective le visage de Munny de profil (photo 9). Il détache, pour la première fois depuis le début de la scène, son regard de l'horizon, pour s'adresser au Kid. Se servant d'un plan de type 2 sur la cavalière (photo 10) désormais proche des deux hommes, et qui apparaît maintenant comme une vue subjective de Munny (ce qui sera confirmé dans la scène suivante), Clint Eastwood crée un raccord regard, et revient sur un contre-champ du visage de Munny en gros plan (photo 11). Le court dialogue qui s'en suit est le plus significatif du film quant à la question de la répercussion des actes de violence. Après une définition de l'acte meurtrier ("Tuer un homme c'est quelque chose. On lui retire tout ce qu'il a et tout ce qu'il pourrait avoir"), Munny conclut la scène dans une prise de conscience existentialiste. "On a tous un jour ce qu'on mérite".