Fincher et Millenium

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L'annonce, l'an dernier, du choix de David Fincher de porter à l'écran le premier roman de Stieg Larsson, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, a provoqué la surprise. Celle des fans, tout d'abord, étonnés de cette décision alors que tant de projets semblaient plus importants à ses yeux ou plus spectaculaires, comme l'histoire du colonel Fertig durant la Seconde Guerre Mondiale, l'adaptation de Black Hole de Charles Burns ou encore celle de 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne. Celle des médias ensuite, surpris de voir le réalisateur s'attaquer à un roman tout récemment porté à l'écran dans son pays d'origine, la Suède. Pourtant, à la lecture du roman de Stieg Larsson, force est de constater la filiation légitime entre l'œuvre du cinéaste et celle du romancier. Une connexion qui tient en un certain nombre de points, nous permettant de revisiter la carrière du cinéaste et d'entrevoir ce que sera cette adaptation de Millenium.

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AMERICAN MAN IN SWEDEN

Le premier élément qui frappe dans ce choix, c'est l'idée d'adapter le roman sans le transposer, comme ce fut le cas de remakes récents comme Let Me In de Matt Reeves (2011) ou Insomnia de Christopher Nolan (2002). Fincher s'en expliquait, lors du festival de New York : « Un élément clé avec le noir suédois, c'est qu'il y a 30 jours de nuit et 1 mètre 20 de neige, ce n'est pas comme "un peu de pluie et votre internet est coupé", on est vraiment coupé du monde, et c'est ça qui fait sa spécificité ». En effet, c'est ce qui se dégage du premier volume de Millenium, au sein de l'île de la famille Vanger, où se passe l'essentiel de l'action du film. Un lieu clos où se déroulent les pires atrocités, où tout le monde se connaît, s'épie.

Fincher coupé du monde, occultant l'extérieur, voilà une première donnée familière. Le cinéma du réalisateur respire justement la claustrophobie des univers clos où s'exerce le mal. Du premier film du réalisateur, Alien 3 jusque dans la maison de Panic Room en passant par l' « aire de jeu » de Michael Douglas dans The Game ou par la ville anonyme de Seven, le cinéaste a le talent et le désir de confronter les protagonistes avec l'énigme des limites physiques, ou comment en jouer, les repousser, trouver une solution. Le parallèle avec Alien 3 est d'autant plus essentiel que la prison du film renferme les croyances et les histoires occultes qui permettent au mal de se répandre. Dans Millenium c'est le passé familial qui sert de source à tous les malheurs.

NANTIS, JE VOUS HAIS.

La famille, voilà justement l'autre cœur du lien entre Fincher et Millenium. Stieg Larsson, dans le roman, prend le temps d'introduire son drame en faisant le récit de l'histoire sombre de son pays, durant et après la guerre, où les racines du mal sont profondément ancrés, notamment dans le nazisme. L'un des aspects marquants du roman est probablement la description que fait Henrik Vanger de sa famille, qui lui inspire une haine et un dégoût profond, malgré la richesse et le luxe dans lequel elle l’a laissé.

L'œuvre de Fincher est parcourue de ce rapport haineux des protagonistes avec leurs familles. Cette relation se ressent dans L’Etrange Histoire de Benjamin Button, où le héros, naissant avec un corps difforme, est abandonné par les siens, laissant derrière lui la riche fortune familiale des Button, accumulée grâce à la guerre et aux uniformes qu'il a lui-même revêtus. La haine des nantis s'exerce également, encore plus profondément dans deux films.

Le premier est évidemment The Game, où le but du jeu est justement de débarrasser son héros de ses fantômes familiaux. Le film s’ouvre dans une fête de famille, filmée en 8mm (comme les extraits que l'on a pu voir de Millenium, Fincher s'attachant à recréer le grain et le ton si spécifique des films familiaux de cette époque), une fête qui pourrait avoir lieu chez les Vanger, avec une figure paternelle envahissante, et un malaise toujours plus fort, plus lourd, pour finir par tomber sur le visage émacié et chargé d'un Michael Douglas mort à l'intérieur, comme Vanger depuis la disparition de sa nièce dans le roman.

L'autre film est The Social Network. En choisissant de mettre en parallèle la trajectoire de Mark Zuckerberg et le parcours de ses partenaires délaissés en chemin, Fincher s'attarde sur des figures importantes : d'une part les étudiants tout-puissants d'Harvard, fraternités jouant avec les femmes et l'argent, décidant, au sein d'élites prédestinées, de l'avenir de la société, et d'autre part les frères Winklevoss, incarnant un pouvoir hérité sans effort, qui viennent échouer face à la réussite d'un garçon qui n'avait, lui, aucune de ces clés pour évoluer et s'enrichir. La mise en place du film joue avec cette ambivalence et ces contradictions, mettant ainsi en évidence le disfonctionnement du rôle de la richesse dans l'évolution au cœur de l'échelle sociale. Cette opposition est également au cœur de Millenium, dans le rapport qu'entretiennent les membres de la famille Vanger avec leurs propres racines. La mise en place de The Social Network évoque ainsi un réseau ancien bouleversé par le nouvel ordre qu'incarne Mark Zuckerberg, face auquel ses membres sont impuissants. De la même manière, la Suède de Millenium, bâtie par une histoire sombre (du nazisme à la guerre froide), se révèle incapable de gérer son passé face à une énigme, qu'incarne Lisbeth Salander.

LET THE HACKING BEGIN

Lisbeth et Zuckerberg sont d'ailleurs des personnages tout à fait fincheriens. Ils viennent bouleverser les codes du film, hackant la trajectoire cinématographique du récit, tel Tyler Durden faisant basculer la vie du narrateur de Fight Club par sa simple présence. Le rapprochement entre Durden et Zuckerberg s'établissait déjà dans The Social Network, quand Mark prenait le nom du héros de Palahniuk comme pseudonyme sur la toile.

Le rapport de Lisbeth à ces deux personnages fincheriens est probablement la connexion la plus forte que l'on puisse établir ici. Lisbeth, hackeuse et indépendante, est un peu le mélange des deux figures. Recherchant l'anonymat et exerçant dans un univers underground, sexuellement ambivalente, Lisbeth se démarque de l'univers très normé de la société suédoise et cherche à la déstabiliser, agissant en sous-sol pour satisfaire son goût pour une forme de vengeance. Hackeuse, elle l'est aussi, comme Zuckerberg, les deux incarnant des génies informatiques qui par leur intelligence et leur background sont des ovnis au sein de l'ordre établi. Fincher poursuit avec elle une lignée de personnages asociaux, qui intriguent et évoluent en suivant leurs propres règles.

UNE ENQUÊTE INFINIE

Le dernier point où Millenium apparaît comme un choix évident pour le réalisateur réside dans le fait qu'on retrouve également dans le film l'autre figure phare de son cinéma, l'enquêteur et son rapport avec la figure du mal. Michael Blomkvist, par son rôle de journaliste qui cherche à percer le mystère d'un tueur énigmatique, évoque deux personnages de l'univers de Fincher. On pense évidemment aux deux enquêteurs de Seven, poursuivant John Doe en s’appuyant sur les énigmes qu'il place à leur attention, mais aussi et surtout à Zodiac. Le lien entre les deux films se retrouve dans l'implication acharnée des personnages à découvrir la vérité, en y sacrifiant leur existence. Blomkvist, mais aussi Henrik Vanger, sont en cela proches de Graysmith (Jake Gyllenhaal) ou Paul Avery (Robert Downey Jr.), l'un poursuivant l'enquête aux dépens de sa vie de famille, l'autre y perdant la raison. Les énigmes que laissent les tueurs derrière eux, la reconstitution des crimes (mentale ou physique) et surtout le duel psychologique que la confrontation, directe ou non, entraîne, sont autant d’éléments récurrents chez Fincher qui marquent le roman de Stieg Larsson.

Millenium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes signé David Fincher s’affiche ainsi comme une rencontre idéale, celle d’un réalisateur et d’un texte faits pour se croiser. Le film sortira en salle le 18 janvier 2012 en France.

Pierre-Marc Gagnon

par Palpix

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