Les Musiciens de Gion

Les Musiciens de Gion
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Musiciens de Gion (Les)
Gion bayashi
Japon, 1953
De Kenji Mizoguchi
Scénario : Yoshikata Yoda
Avec : Saburo Date, Seizaburo Kawazu, Michiyo Kogure, Ayako Wakao
Photo : Kazuo Miyagawa
Musique : Ichiro Saito
Durée : 1h25
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Kyoto, dans le quartier populaire de Gion. L’apprentissage de la jeune Eiko, éduquée par Miyoharu, geisha expérimentée.

FEMMES GALANTES

1936. Kenji Mizoguchi, épaulé par celui qui deviendra son scénariste attitré, Yoshikata Yoda, signe Les Sœurs de Gion. Il s’agit d’un "gendai geki" (film contemporain aux sujets modernes, souvent des histoires d’amour impossibles, en opposition au "jidai geki", film d’époque) sur le destin de deux sœurs dans le monde des geishas. Le thème tient particulièrement au cœur de Mizoguchi qui, plus jeune, a connu un drame familial lorsque sa grande sœur, Suzu, a été vendue à une maison de geishas par son père en faillite. Mizoguchi gardera un lien étroit avec Suzu, et fera une grande place, dans son œuvre, aux geishas et prostituées en particulier, et aux portraits de femmes en général. Dix-sept ans après Les Sœurs de Gion, Mizoguchi établit une relecture du même thème avec Les Musiciens de Gion. Cette fois-ci, les héroïnes n’entretiennent aucun rapport familial, et doivent construire cette relation où l’une finira par jouer le rôle de la grande sœur initiatrice et mère protectrice. Le réalisateur délaisse son actrice fétiche, Kinuyo Tanaka, pour retrouver Michiyo Kogure, qu’il a dirigée sur Le Destin de Mme Yuki, et révèle la débutante Ayako Wakao dans son rôle de maiko (apprentie geisha), star ensuite chez Ozu (Herbes flottantes) et surtout Masumara (Passion, L’Ange rouge, La Femme de Seisaku…). De ces rencontres et collaborations va naître l'une des premières œuvres de Mizoguchi à être véritablement célébrée par la critique japonaise.

LA DEFAITE DES FEMMES

On l’enseigne à la jeune Eiko dès ses premiers cours: une geisha est une œuvre d’art vivante "comme le théâtre no ou la cérémonie du thé", et un symbole de beauté "comme le Fujiyama". "Je veux être une maiko de carte postale" affirme d’ailleurs la jeune élève, sans se douter des sacrifices qu’elle aura à endurer. Le microcosme des geishas s’inscrit parfaitement dans les thèmes et le cinéma de Mizoguchi – sa mise en scène millimétrée, son goût des portraits féminins en douleur et son discours social s’exprimant parfaitement dans un univers aux règles quasi inflexibles, aux femmes oppressées et aux tragiques inégalités. Des Contes de la lune vague après la pluie aux Amants crucifiés, le réalisateur guette le cruel moment où le songe se dissipe pour laisser apparaître la triste réalité. Mizoguchi décrit précisément mais sans s’appesantir l’instruction de son héroïne: les instruments de musique qu’elle apprend à maîtriser (travail sur la bande sonore qui figure, peu à peu, leur synthèse, des diverses percussions au son du shamisen), la danse traditionnelle ou les présentation au voisinage de la jeune maiko par sa geisha formatrice. Une fois lancée, Eiko ira de désillusion en désillusion. Les règles de la Constitution ne sont respectées qu’en principe – "Les symboles de Kyoto, la beauté japonaise, mensonges! Celles qui savent se vendrent réussissent". Car si, en Occident, la frontière n’est pas totalement claire, la geisha n’est pas une prostituée, et n’est pas forcée à coucher avec son client. Mizoguchi, plus que sur le décorum idéal de dépliant touristique, se penche surtout sur les contraintes sociales, l’asservissement des femmes et la place de l’argent.

A MA SOEUR

Une séquence résume à elle seule les enjeux de ces Musiciens de Gion, lors de la visite de Eiko et Miyoharu dans l’appartement de Kusuda et de Kanzaki. Miyoharu y est filmée de loin, de dos, dans l’espace étroit laissé par une porte coulissante, puis dans l’écart étriqué entre deux rideaux, face à Kanzaki. Eiko, dans une autre pièce, se tient debout au bord gauche du cadre, près du vieux Kusuda, une lumière blanche au-dessus de la tête, avant que l’homme ne la renverse à l’horizontale, bord droit du cadre, le visage sorti de la lumière, filmée comme emprisonnée à travers les barreaux d’une porte. De façon très simple, Mizoguchi met en scène la solitude de ses personnages ainsi que la pression qu’elles subissent. Miyoharu devra d’ailleurs se résoudre à coucher avec celui qu’elle ne désirait pas, pour préserver Eiko, sa protégée. Comme à son habitude, le réalisateur met en parallèle la dignité de ses héroïnes et le pathétique de quelques personnages masculins, dont celui du père d’Eiko, un ivrogne d’abord absent, déclarant ne plus vouloir voir sa fille, mais qui reviendra supplier Miyoharu de lui prêter un peu d’argent. La narration très fluide, la concision du métrage ne font que mettre davantage en valeur son inéluctable noirceur dont la beauté tragique apparaît pleinement lors des derniers plans du film, où les deux jeunes femmes, devenues sœurs, reprennent leur travail, le bois de leurs okobo (les chaussures des geishas) claquant sur le sol. Quelques années plus tard, Mizoguchi allait réaliser, avec La Rue de la honte, un dernier film crépusculaire qui évoque cette fois directement le thème de la prostitution, retrouvant notamment Michiyo Kogure et Ayako Wakao. Comme une inévitable conclusion, à travers un thème qui sous-tend une bonne partie de sa filmographie.

par Nicolas Bardot

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Les Musiciens de Gion ressort en salles ce mercredi 24 août.

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