Yokai, bestiaire du fantastique japonais

Remis au goût du jour notamment par les univers merveilleux de Hayao Miyazaki, le bestiaire fantastique nippon a droit à son exposition à la Maison de la Culture du Japon, à Paris. Les Yokai, des plus effrayants aux plus absurdes, des estampes d’un autre temps jusqu’aux mangas d’aujourd’hui - retour sur les créatures d’un imaginaire fécond.
MONSTERS IN LOVE
Le voyage débute dans le Japon ancien, lors de l’ère Edo. Les Yokai existaient déjà auparavant, mais leur représentation et classification se sont précisées durant cette période. Les peintures sur rouleau représentent alors souvent le "Cortège nocturne des cent démons", procession fantastique que l’on retrouve dans des séries B nippones des années 60, tout comme dans le cinéma d’animation d’aujourd’hui (Pompoko de Isao Takahata). Mais le Yokai n’est pas forcément effrayant. Il est parfois grotesque (le démon du parapluie à la langue bien pendue), et se fait parfois l’expression paisible d’un sentiment proche de l’animisme (passés cent ans, les objets deviennent des esprits, dans une conception où le moindre ustensile de cuisine a une âme). Les démons, amicaux ou malveillants, ont ainsi mille visages. Les estampes de Katsukawa Shun.ei, fin du XVIIIe / début du XIXe, représentent des monstres aussi affreux que cocasses. Chez Katsushika Hokusai, on s’inspire largement des "Cent récits" (tradition moyenâgeuse où les familles et amis se réunissent, allument cent bougies pour en éteindre une à chaque histoire effrayante racontée, en pensant qu’un véritable monstre apparaîtra lorsque la dernière flamme sera étouffée), pour peindre des créatures plus terrifiantes les unes que les autres.
FANTOMES CONTRE FANTOMES
Le bestiaire semble, lui, inépuisable: le personnage à cou extensible (le moine voyeur, la femme serpent), le kappa (créature espiègle entre l’homme, le canard et la grenouille), le renard et le tanuki (des créatures transformistes qui dupent les humains) ou le spectre ont chacun leurs contes et légendes. C’est ce dernier qui, chez nous, est le plus populaire, via cette tradition du film de fantôme japonais (Kobayashi, Nakagawa, Mizoguchi), et son revival lors des années 90 (Nakata, Kurosawa, Shimizu). D’aspect normal ou dépourvu de jambes, beauté éternelle ou sorcière monstrueuse, le spectre est souvent une femme, notamment dans les magnifiques illustrations de Maruyama Okyo, au XVIIIe siècle. Mais après s’être replongé dans les fantômes anciens (en se concentrant sur une infime partie de légendes), le cinéma nippon revient vers les autres Yokai. Chez Miyazaki et Takahata d’abord, dans l’animation, mais aussi dans le cinéma live, voir le prochain Miike (Yokai Daisensô), remake de la doublette La Malédiction des monstres (de Yasuda Kimiyoshi) et Démons contre fantômes (signé Kuroda Yoshiyuki), et dont la bande annonce clôt logiquement une exposition qui traverse les époques, des contes à la bougie jusqu’au grand écran, en passant également par l’exploitation de ces figures fantastiques dans le manga. Dotée d’une scénographie riche et élégante, cette expo, ouverte jusqu’au 28 janvier, est un véritable trésor.