Un long dimanche de fiancailles

"Il restait ce fil, rafistolé avec n'importe quoi aux endroits où il craquait, qui serpentait au long de tous les boyaux, de tous les hivers, en haut, en bas de la tranchée, à travers toutes les lignes, jusqu'à l'obscur abri d'un obscur capitaine pour y porter des ordres criminels. Mathilde l'a saisi. Elle le tient encore. Il la guide dans le labyrinthe d'où Manech n'est pas revenu. Quand il est rompu, elle le renoue. Jamais elle ne se décourage. Plus le temps passe, plus sa confiance s'affermit, et son attention. Et puis, Mathilde est d'heureuse nature. Elle se dit que si son fil ne la ramène pas à son amant, tant pis, c'est pas grave, elle pourra toujours se pendre avec."
NOCES BLANCHES
Un long dimanche de fiançailles est le huitième roman de l’écrivain français Sébastien Japrisot. Paru en 1991, il conte l’histoire de Mathilde, jeune fille de 19 ans, née en 1900, fiancée à Manech, garçon envoyé à la guerre en 1917. Mathilde apprend la mort de Manech mais ne peut s’en contenter et part enquêter sur sa disparition, qui demeure mystérieuse. La paix revenue dans le pays, Mathilde s’en va remuer les cendres encore chaudes de la grande boucherie. Et Japrisot de tisser son récit au fil de l’enquête, mélangeant les goûts et les textures. Un romanesque épistolaire, où les lettres et témoignages par écrit ont leur importance primordiale dans le livre. Une grande histoire d’amour classique, mais tirée sur les terres de l’enquête policière, de l’énigme à suspens. Ce Long dimanche retient ses émotions et distribue ses images puissantes, comme celle d’une cordée de cinq camarades envoyés à la mort, et dont le lien invisible semble traverser les années et les kilomètres pour les ramener vers Mathilde, dont les mains sont accrochées à ce fil comme à la chose la plus précieuse de son existence. Le livre recevra le Prix Interallié, et sera vendu à un million d’exemplaires.
VISAGES DE L’AMOUR ET DE LA HAINE
A la parution d’Un long dimanche de fiançailles, en 1991, Japrisot écrivait déjà depuis une quarantaine d’années. Ainsi, l’auteur a sorti son premier roman, Les Mal partis, en 1950. Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme qui s’éprend d’une religieuse dans un collège de Jésuites – roman que Japrisot rédige à l’âge de 17 ans. En 1962, l’écrivain signe le livre qui sera sa première œuvre adaptée au cinéma: Compartiment tueur, transposé sur grand écran par Costa Gavras en 1965. Au début de la décennie, Japrisot avait déjà écrit les scénarii de La Machine à parler l’amour et de L’Idée fixe, qu’il réalisera ensuite. Ce seront ses deux premiers courts métrages. L’auteur retrouvera à plusieurs reprises la grande toile, notamment avec L’Eté meurtrier, inspiré de l’un de ses romans, et dont il signe par ailleurs l’adaptation scénaristique (pour laquelle il recevra un César). Poète et homme de théâtre, Japrisot, fidèle à Jean Becker (qui a réalisé L’Eté meurtrier), lui écrira encore les scripts oubliables des Enfants du marais ou d’Un crime au Paradis. Sébastien Japrisot, dont le véritable nom était Jean-Baptiste Rossis (l’un étant l’anagramme de l’autre), s’éteint en mars 2003, à l’âge de 72 ans, sans avoir vu le résultat de l’adaptation par Jean-Pierre Jeunet de son Long dimanche de fiançailles, qui sort un an et demi après sa disparition.