The Little Rabbits: grande musique, petit public

The Little Rabbits: grande musique, petit public

Que l’on aime ou pas Atomik Circus, le retour de James Bataille, force est de constater que, sans l’apport des Little Rabbits, le premier long métrage des frères Poiraud aurait sans doute arpenté des sentiers différents. Bonne chose, diront certains, hérésie crieront d’autres. Et l’habitué du groupe de ne pas être surpris. Depuis leurs confidentiels débuts vendéens en 1988 jusqu’à la compilation-somme Radio (2003), The Little Rabbits n’a jamais recueilli de suffrages unanimes. De leur autoproclamé rock "de bûcherons" anglophone, à leurs plus récentes hybridations électro frenchies façon Philippe Katerine en plus éveillé, le groupe n’a jamais joué la carte de la facilité et de l’adhésion immédiate.

FRENCH COWBOYS

Exigeants, parfois conceptuels (le génial Grand Public en 1995, hélas aujourd’hui épuisé), chacun des albums du groupe est à la fois une entité unique et un pas supplémentaire dans le sens d’un cheminement musical cohérent. L’album Atomik Circus participe de cette progression. Après avoir fait le richissime bilan Radio, virée parmi les faces B et versions inédites, on peut voir dans Atomik Circus – film et CD – une approche parallèle, peut-être plus personnelle, à cette même démarche. En effet, les Rabbits, ce n’est pas seulement du son. C’est également une identité visuelle forte, un rapport à l’image sans cesse affirmé et une passion réelle pour le septième art. L’album La Grande Musique (2001), pivot majeur de la discographie du groupe, résume parfaitement cette ambivalence. Entre une jaquette mémorable, tout de (panthère) rose chargée, des samples vocaux en amorce des morceaux (le Derrick d’On dirait un mort sur le banc) et un CD-Rom bonus comprenant une poignée de courts métrages barrés (dont le Aliens with 2000 assholes des Poiraud, justement, présent également, en compagnie de deux clips du même tonneau, sur l’édition collector d’Atomik Circus), les Rabbits affirment clairement leur relation à l’image et à la contre-culture.

CADILLAC ELDORADO

Le travail fourni sur le film des Poiraud puise à la même source. Ainsi, avant même de faire sonner les premiers accords, c’est le chanteur, Federico qui, dès l’ouverture, prend le spectateur par la main. Volontairement surréaliste, ouatée, dans la lignée des Godard originels (on se souvient du "Allez vous faire foutre!" du Belmondo d’A bout de souffle, samplé en ouverture de So Many Friends of Mine sur l’album Dedalus en 1993), cette voix-off imposée et écrite par Federico lui-même, donne le ton et le rythme volontiers instable du reste du film. Mais c’est évidemment via la soundtrack que le groupe livre le plus gros de lui-même. Libre de toute inhibition et rafraîchie par le timbre enfantin de Vanessa Paradis, c’est sans doute, et paradoxalement dans le cadre d’un parcours thématique balisé par des enjeux narratifs fixes, la première fois que la musique des Little Rabbits en raconte autant sur elle-même. Ainsi, en s’attachant aux espoirs d’évasion d’une jeune chanteuse de son trou paumé ("Y’a rien dans ce foutu désert/Une rue et trois maisons en pierre"), c’est en filigrane leurs débuts de cabaret à la Gaubretière près de La Roche-sur-Yon, que les Rabbits donnent à lire. La tentation de l’Amérique qui frappa le groupe dès ses débuts et se concrétisa par la rencontre avec Jim Waters à Tucson, Arizona, trouve ainsi une parfaite adéquation avec l’univers des Poiraud (voir le très juste Concia James). L’utilisation discrète de l’instru légèrement dissonante Des Hommes, des Femmes, des Enfants et le Sexe, renvoie ensuite au parcours indé et expérimental que menèrent nos petits lapins vers le pas du tout grand public Grand Public.

THE DAYS SHE CRIES

Le festif Concia Chachacha, quant à lui, rappelle les hilarants J’ai Faim ou Une Belle Fille Comme Toi. De même, La Capa Lucia est un clin d’œil à peine crypté au premier succès du groupe, La Mer, issu de leur premier album, Dans les Faux Puits Rouges et Gris (1991), reprise du britannique Jazz Butcher et unique chanson francophone de l’album (le travestissement grotesque des mexicanos germains Los Perros Negros renvoie directement à celui, tout aussi absurde, de la langue française par le groupe anglais). Enfin, l’explosif Gorilla, qui ouvre l’album mais intervient en fin de film, par ses sonorités que ne renieraient pas les Violent Femmes de Dance Motherfucker Dance, est certainement le thème le plus proche des influences originelles du groupe – manière de refermer la boucle. On ne listera pas tous les renvois possibles (La Mustang et son frère spirituel, le génial Alpha Romeo Super Sprint de La Grande Musique), pour s’intéresser finalement à la perle sombre d’un album globalement festif, à savoir l’envoûtant Petit Vent du Désert, auquel on ne trouve aucun équivalent sur la platine des Rabbits. Un "slow endiablé", mélancolique, mature et touchant, susurré par une Paradis en état de grâce, comme un regard rétrospectif et ému sur une carrière en dents de scie, aujourd’hui enfin exposée, dans sa fragile naïveté, au grand jour. On rêve désormais à la tournée prévue pour octobre et novembre, en nous posant toujours la même question: Vanessa en sera-t-elle?

par Guillaume Massart

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TRACK-LISTING Atomik Circus

01. Gorilla 02. James Bataille 03. Ma Pétroleuse 04. Moonshine gal 05. Concia James 06. Dirty 07. Concia chachacha 08. French Cowboy 09. La Cupa Lucia 10. Le Petit Vent du Désert 11. La Mustang 12. Come to Me 13. Number One 14. Aliens Attack 15. Slow Down 16. Highway to Space

DISCOGRAPHIE SELECTIVE

2004 Atomik Circus (bande originale du film, feat. Vanessa Paradis) 2003 Radio 2001 La Grande Musique 1998 Yeah! 1996 Grand Public 1996 Grand Public (version japonaise) 1993 Dedalus 1991 Dans les Faux Puits Rouges et Gris

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