Robert Kennedy pour un monde nouveau

Robert Kennedy pour un monde nouveau

Loin du JFK d'Oliver Stone ou du Treize jours de Roger Donaldson, Emilio Estevez livre avec Bobby une œuvre ne s'intéressant finalement que très peu à son personnage titre et préférant se plonger dans l'ambiance grondante de l'époque. Mais pour mieux apprécier le film, une petite mise en contexte s'impose.

IRISH BLOOD, AMERICAN HEART

Homme d'affaires influent puis ambassadeur des Etats-Unis au Royaume-Uni, Joseph Kennedy abuse pendant la Seconde Guerre Mondiale de commentaires antisémites - malgré ses connections, intéressées, avec certaines personnalités juives - et met mal à l'aise le Président Franklin D. Roosevelt, avec qui il ne s'est jamais entendu. La Maison-Blanche devient un rêve inaccessible pour lui et la mission de la gagner sera alors celle de ses fils. Lorsque l'aîné, Jo Jr., est tué pendant la guerre, abattu en plein vol, c'est John qui hérite de cette tâche: devenir Président. Robert, troisième fils et septième enfant d'une famille qui en compte huit, sera son bras droit. Malgré sa santé problématique, JFK suivra un parcours bien balisé: d'abord les études dans les meilleures universités, Princeton, Harvard, Stanford, puis le service militaire dans la Navy. Abandonnant des envies journalistiques (même s'il recevra le prix Pulitzer en 1957) pour satisfaire l'ambition de son père, il siègera au Congrès dès 1946 puis au Sénat en 1952, bien sûr dans la lignée démocrate de la famille. Bobby quant à lui alla aussi à Harvard et poursuivit par une spécialisation en droit en Virginie. Pendant que son frère était sénateur, il travaillait au Département de la Justice, participant aux enquêtes sur les agents soviétiques, ce qui le conduit à être engagé par le sénateur McCarthy, pourtant républicain, dans son fameux comité anti-communistes. Kennedy n'y resta que quelques mois et rejoignit en 1954 l'équipe démocrate en charge de la campagne pour les futures élections sénatoriales. Tandis que son frère se rapproche du but ultime, RFK grimpe les échelons du parti démocrate et commence sa croisade contre le crime organisé, s'en prenant déjà au légendaire Jimmy Hoffa. Mais quand en 1959 John se lance dans la course à la présidence, Robert lâche tout pour diriger la campagne.

MON FRERE, CE HEROS

En 1960, JFK est élu et nomme son petit frère attorney general, autrement dit Ministre de la Justice. Les deux frères forment alors un duo redoutable de démocrates progressistes, qui plus est catholiques – du jamais vu à la Maison-Blanche -, se conseillant mutuellement. Tandis que JFK est plus réfléchi, Bobby est un homme d'action, efficace et organisé, mais aussi humble et sachant se retirer quand il ne se sent pas compétent sur un sujet. Les deux hommes travaillaient en harmonie et aucun Ministre de la Justice n'eut jamais autant de pouvoir. Le vice-président, Lyndon Johnson, désigné uniquement pour rallier à Kennedy les démocrates plus conservateurs, était ainsi évincé de son rôle de second dans le bureau ovale. L'entente n'était pas au beau fixe non plus avec John Edgar Hoover, directeur du FBI depuis presque quarante ans. Tandis que celui-ci se concentrait sur la chasse aux communistes, la bête noire de Robert Kennedy était la mafia. Mais la principale préoccupation des deux frères était l'abolition de la ségrégation et les droits civiques qui en découlaient: condamnation des discriminations, ouverture des universités et droit de vote aux Afro-Américains. En fait Bobby était le plus virulent à ce sujet, cherchant à attaquer en justice plusieurs politiciens sudistes et instaurant la "discrimination positive" en employant dans son bureau plusieurs Noirs – et accusant publiquement Johnson de ne pas faire de même. C'est ainsi sous son impulsion que JFK se battra si dur pour cette cause et que tous les deux deviendront proches de Martin Luther King, s'attirant ainsi encore plus les foudres de Hoover, qui voyait en King un agitateur doublé d'un communiste. Bien sûr les affaires cubaines de la Baie des Cochons en 1961 et des missiles en 1962 (les fameux treize jours) furent encore deux occasions pour Robert Kennedy de se démarquer aux côtés de son frère: ses conseils avisés permirent d'éviter l'escalade armée et ainsi une guerre nucléaire.

L'HOMME DU PEUPLE

22 novembre 1963: John Fitzgerald Kennedy est assassiné. Dans l'avion qui ramène son corps de Dallas à Washington, Lyndon B. Johnson prête serment et devient le nouveau Président. Robert Kennedy restera à son poste neuf mois après la mort de son frère. Non seulement celle-ci l'a énormément bouleversé et changé, mais sa mésentente avec Johnson est plus présente que jamais. Cependant durant ces neuf mois il participera à faire voter le Civil Rights Act, rendant les discriminations basées sur la race, la couleur, l'origine, la religion ou le sexe illégales. S'y trouve aussi un article concernant le droit de vote pour les Afro-Américains, effectif l'année suivante. Kennedy décida ensuite de se présenter comme sénateur dans l'état de New York, rompant la tradition familiale bostonienne. Contre toute attente, Johnson appela à voter en sa faveur et Kennedy devint sénateur de New York en novembre 1964, tandis que Johnson fut lui-même élu Président le même mois. Toujours engagé profondément dans la défense des minorités, des pauvres et des jeunes générations, Kennedy entame une grande tournée en Afrique du Sud, où il se mobilise contre l'apartheid. Il tient également des discours contre l'escalade au Vietnam et demande un retrait des troupes à moyen terme.

Début 1968, lorsque les futurs candidats à la présidentielle doivent entrer en lice, Johnson annonce qu'il veut se représenter tandis que Kennedy ne l'envisage pas. En mars cependant les supporters de son frère le font changer d'avis, puis Johnson se retire de la course. Les maîtres-mots de sa campagne sont une justice économique et raciale, une politique étrangère non agressive, une décentralisation du pouvoir et surtout une amélioration des conditions sociales des Américains, les droits de l'homme en toile de fond. Evidemment, les spécialistes s'inquiètent des futures retombées économiques d'un tel programme, prédisant déjà des augmentations d'impôts conséquentes. Mais seulement deux mois après l'assassinat de Martin Luther King, le peuple prêt au changement perd son seul espoir, le jour même où il gagne les élections primaires faisant de lui le candidat démocrate aux élections, qu'il aurait probablement gagnées. Le Palestinien Sirhan Sirhan, accusant Robert Kennedy d'avoir défendu Israël pendant la guerre des six jours en 1967, se faufile dans la foule et tire. Kennedy, atteint de deux balles, décède le 5 juin 1968, laissant un sentiment d'impuissance, de frustration, de désespoir sévère face à tant de gâchis. Il est enterré aux côtés de John à Arlington. Tout le monde se tourna alors vers le benjamin de la famille, Edward; celui-ci ne fut jamais candidat à la présidentielle (même s'il participa aux primaires de 1980), mais est tous les six ans réélu sénateur du Massachusetts, et ce depuis 1962.

par Marlène Weil-Masson

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