Philippe Katerine, infrequentable?

Philippe Katerine nous emmerdait en studio, il nous emmerdera jusqu'au cinéma. Peau de cochon, son autoportrait en treize pièces volatiles, fait le pont entre son célèbre Je vous emmerde et l'une de ses toutes dernières lubies, un redoutable face-à-face entre l'étron et l'art. Les réunions tupperware et les digressions en voiture de Katerine bravent les interdits et se fichent des on-dits. Arrêter de tirer la chasse d'eau, prendre en filature sa douce et tendre, retrouver le banc sur lequel les vieux se roulaient des patins, voir dans un sac poubelle la forme dégoulinante d'un préservatif... Rien ne l'arrête. Déconcertant et dépourvu de toute nouvelle chanson, Peau de cochon ressemble pourtant bel et bien à un album de Katerine.

MA VIE SANS MOI

Philippe Katerine n'était pas beau, n'était pas bien, n'aimait pas sa voix, et s'enfermait à double tour chez lui, à l'abri du moindre regard suspect. Ses deux médiatrices s'appelaient Bruno (sa soeur cadette) et Anne (sa compagne d'alors). Chacune à tour de rôle, les demoiselles fredonnaient des airs ingénus et les instruments toussaient en choeur des petites broutilles dans l'appartement réaménagé en studio. Les mots fignolés avec patience se trémoussent timidement sur des comptines découpées à la machette. Premier album "enregistré sur un magnétophone 8 pistes à la maison", Les Mariages chinois, marque un faux départ et revient très vite sous une forme agrémentée, Les Mariages chinois et la relecture. Katerine redonne vie aux rébus et aux portraits chinois, les devinettes laconiques précipitent les carambolages et les associations d'idées ne cessent d'intriguer. Les prémisses du brouillon et tâtillon Peau de cochon sont déjà là. Les secousses et les maladresses, rien de plus séduisant chez l'homme à trois mains, entouré de créatures infréquentables et de musiciens volages - son groupe ne se prénomme pas par hasard les Recyclers. Avant de les rencontrer, Katerine traîne encore des pieds. Mais entre une chaste Education anglaise et des Mauvaises Fréquentations imprégnées d'une atmosphère insouciante et cosy, le déclic a enfin lieu.

AVOIR DU STYLE / ETRE INUTILE

"Entre l'athlète et l'adolescent" plus exactement, Katerine n'a toujours pas tranché. Pas assez costaud pour flirter avec le top 50 (mais fort en basket, il a été prof de gym dans un lycée agricole), pas assez vieux pour se prendre au sérieux ("J'ai trente ans et je suis un enfant"). Sur la pochette de ses Mauvaises fréquentations, le bricoleur effarouché réapparait en pantalon cigarette et petite maille ajustée. Katerine a enfin un visage et le chanteur de salle de bain se découvre une voix, plutôt pas mal, et de l'assurance, plus qu'il n'en faut. Le fédérateur Parlez-vous anglais Monsieur Katerine? le pousse à coups de pieds hors du foyer. La garçonnière ouvre grand ses volets et les influences anglo-saxonnes s'y glissent nonchalamment. Un peu de morgue pour appâter les minettes: les textes conservent leur humour décapant et Katerine élude les arrangements tape-à-l'oeil. Katerine occupe un horizon à part, ni tout à fait Bertrand Burgalat (plus romantique), ni tout à fait Dominique A (plus rigoureux) avec lesquels il n'hésitera pas à s'acoquiner. Un peu Miossec pour le sarcasme et la nostalgie (l'un reprend L'Eté indien, l'autre On s'est aimé comme on se quitte de Joe Dassin). Katerine vagabonde quand ça lui chante: "Quoi de plus difficile / Que d'être inutile / D'être du vent / De n'être rien / Et être tout / Avec du style / Le style avant tout" (Inutile). Le bonhomme ne fait rien sans style, mais ne chôme pas pour autant.

UN HOMME, UN VRAI

En 1999, un excellent double album voit le jour, Les Créatures et L'Homme à trois mains. Une moitié accrocheuse et expérimentale, avec le concours des Recyclers, une moitié brute et encore plus périlleuse. Seul, de retour sur le sommier, les portes verrouillées pour ne laisser rien filer, Katerine annonce la couleur dès la pochette. Nu comme un ver, le chanteur se refait une santé en reprenant ses copies à zéro, le coeur plus léger et la main qui démange. Chaque morceau pourrait faire l'objet d'un mini-métrage, tant Katerine soigne la mise en scène de ses divagations frustes et exquises: "Je t'imagine avec des types avec des bouches énormes" (Gare du Nord), "Je m'ennuie je m'ennuie sérieusement et mon emploi du temps vous appartient complètement" (Mon Meilleur Ami est un chien), "Que les femmes sont belles / Paris est une ville formidable où les gens crèvent" (Américaine). De la complainte Jesus Christ mon amour, à l'oraison funèbre Poulet N. 728 120 (Katerine a travaillé dans un abattoir), de l'irrésistible Au pays de mon premier amour aux évidentes Ma langue au chat et Moi-même: Katerine a le chic pour trouver le bon mot. Mais ce sont les bifurcations au cinéma et les dérives sucrées (il écrit pour Helena Noguerra et Anna Karina) qui rehaussent le charme de la garçonnière: les femmes et les enfantillages d'abord.