Lost les disparus

Lost les disparus

Un crash d’avion sur une île déserte, une quarantaine de survivants, aucun moyen de communication avec le monde et une faune locale apparemment hostile. Tel est le pitch de départ de la série à succès Lost, qui entame sa deuxième saison. Ces Robinson Crusoé modernes sauront-ils continuer à captiver les spectateurs français? Il y a fort à parier que oui, si la diffusion et le rythme qualitatif de la série ne tarissent pas.

VOL 815 POUR SYDNEY

Au contraire de la production française encore trop frileuse, la programmation télévisuelle américaine débarque chaque année avec son cortège de feuilletons. Innovante, percutante, réaliste ou encore ultra-référencée, chaque chaîne de télé cherche à sortir du lot en créant LA série événement. Depuis la disparition de Buffy contre les vampires, X-Files, ou encore celle presque programmée d’Urgences, il faut donc sans cesse développer du sang neuf sur les écrans télé, pour abreuver les téléspectateurs avides d’images nouvelles et de séries aux sensations fortes. La chaîne Fox ayant trouvé le jackpot avec 24 heures chrono et The Shield, Warner se régalant des scores de Smallville et Nip/Tuck, ABC était un peu en reste, avec pour seul atout Alias, qui tire sa révérence cette année après 5 ans de bons et loyaux services (la chaîne ne comptait alors pas encore, dans sa grille de programmes, le phénomène Desperate housewives). Le salut, pour le réseau, vint de Lost, monstrueux aimant à audience et juteux placement pour les acheteurs étrangers. TF1, qui a acheté les droits de diffusion française, histoire de concurrencer M6, Canal + et les chaînes câblées Avec ce nouveau filon dans sa grille de programmes, a ainsi su miser sur l’engouement et le bon bouche-à-oreille outre-Atlantique, pour rester en première position dans les classements annuels des meilleures audiences. Mais outre l’aspect financier qu’engage une telle série, c'est sa qualité réelle qui nous intéresse. Mettons donc de côté l’aspect pécuniaire de l’entreprise et penchons-nous sur les secrets de nos exilés malgré eux.

SEULS AU MONDE

Une quarantaine de survivants. Et autant de potentialités dramaturgiques: une quarantaine de destins croisés, qui vont s’unir face à la fatalité. D'un point de vue logistique, traiter autant de personnages dans une histoire improbable tiendrait de la folie. Impossible de donner suffisamment d'épaisseur aux différents protagonistes, afin de fidéliser le spectateur en misant sur l'identification. C'est en toute logique que la série se focalise sur une petite douzaine d’entre eux, histoire d’établir leur personnalité, leur background et leur capacité à évoluer dans ce milieu aussi exotique que hostile. Pour cela, il était nécessaire de choisir un panel de comédiens prompts à interpréter ces rôles savamment travaillés. L’entrée des artistes se fait donc avec certains visages plus ou moins connus en tête d’affiche, avec par exemple Matthew Fox (La Vie à cinq), Terry O’Quinn (X-Files, Alias, JAG, Rocketeer), Dominic Monaghan (Le Seigneur des anneaux), Harold Perrineau (Oz, Matrix 2 et 3) ou encore Ian Somerhalder (Les Lois de l’attraction, Smallville). Pour les autres rôles, des acteurs plus confidentiels ont leur chance, chacun faisant avec la caractérisation propre de son personnage. On peut en tout cas voir le potentiel énorme de chacune des compositions évoluer au fur et à mesure des épisodes, laissant le soin aux scénaristes d'entremêler la moindre sous-intrigue et de continuer à expérimenter un cahier des charges qui ne semble pas avoir de limites.

THE ISLAND

"Fantastique: se dit d’une œuvre littéraire, artistique ou cinématographique, décrivant l’irruption du surnaturel et de l’irrationnel dans la réalité quotidienne". Lost ne dément pas cette définition, promenant ses personnages dans des lieux au premier abord paradisiaques, pour mieux les confronter aux "choses" et autres mystères régnant sur cette île perdue. Avec une telle recette, difficile de se tromper: si la qualité d'écriture est au rendez-vous, le public voudra toujours savourer de nouveaux éléments effrayants. Aussi, la première marque d'irrationnel tient en ce que les survivants de ce crash sont incroyablement nombreux. Toute communication avec l'extérieur de l'île est en outre impossible. Plus important encore, cette étendue de terre isolée au milieu du Pacifique est habitée par ce qui semble être de dangereuses créatures — mais aussi d'autres "choses", d'autres autochtones. Depuis sa première diffusion, les spectateurs se demandent où ont "atterri" ces gens… et les éléments de réponses sont bien sûr distillés au compte-goutte! L’île est-elle vivante? Les rescapés sont-ils tombés dans une faille temporelle qui les aurait amenés sur une île préhistorique? Éléments extra-terrestres? Expérience télévisuelle ou scientifique? Nouvelle version du triangle des Bermudes? Ou tout simplement purgatoire des âmes finalement décédées qui s’ignorent? Quel lien unit nos personnages? Et quelles sont les particularités et autres énigmes qui les entourent? Gageons que la série n’a pas fini de dévoiler ses indices, voire de contrecarrer certains propos pour rendre encore plus insensé le résultat.

EVERY THINGS HAPPEN FOR A REASON

Devant tant de force scénaristique, certains épisodes occultent pourtant complètement l’élément fantastique, pour se concentrer sur la survie dans l’île. S'il est tout aussi intéressant de voir ces nouveaux Robinson se démener avec les quelques éléments dont ils disposent, le point fort que sont les "créatures" et les différents mystères de l'île en pâtit légèrement et l'on perd parfois de vue l'excellent premier fil conducteur. Heureusement, la survie ne consiste pas uniquement à partir à la pêche à la crevette. La confrontation du fantastique avec les aspects les plus terre-à-terre de la survie en communauté (cohabitation, exploration), permet de densifier la psychologie des personnages, leurs émotions, leurs sentiments et leurs problèmes existentiels. Ceci entraînant un jeu de références: on songe au microcosme social de Sa Majesté des mouches de William Golding, Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll est aussi maintes fois cité, par des détails tels que l'opposition entre le blanc et le noir (le jeu de backgammon de Locke, les pierres de Jack…), les personnages apparaissant en flash-back pour servir de guides spirituels (le père de Jack, l’ex-femme de Michael…), ou encore un épisode intitulé White rabbit.

NAISSANCE D’UNE NATION

Cette communauté naissante compte également deux personnages mystérieux, en les personnes de Locke et Rousseau — tous deux portant les patronymes de philosophes aux idées diamétralement opposées. Si le philosophe anglais John Locke (1632-1704) prônait le respect de chacun, la liberté individuelle par la vie et la parole et dénonçait toutes les formes de totalitarisme, notamment au sein d’une même communauté, Jean-Jacques Rousseau (1772-1778) prêchait quant à lui une toute autre vision de la société. Selon lui, l’individu se devait de céder tout droits à la communauté afin que celle-ci puisse conserver toute valeur de liberté, d’égalité et d’intérêt général. Et l’idée d’un absolutisme pouvait éventuellement se concevoir, si la société même etait menacée. En écho, lors d'un épisode majeur, l'exilée Rousseau dévoile sa vraie nature en mettant un terme à la vie de ses compagnons d'infortune de l'époque, censés être touchés par la maladie et frappés d'une malédiction, car ils représentaient alors une menace pour leur premier groupe de survivants. A l'opposé Locke prêche la foi en ce milieu et l’aide envers son prochain… Lost se révèle être dès lors plus qu'une simple série à théories. Au-delà des mystères de la semaine, elle livre également un constat passionnant sur les principes de la société moderne, avec pour toile de fond la lutte entre l'individualisme et l'intérêt commun, le bien et le mal, le noir et le blanc, la démocratie et l'absolutisme.

VERS L’INFINI ET AU DELÀ

Pour qu’une telle série soit viable sur la longueur, le puzzle épisodique doit se construire doucement mais sûrement. J.J. Abrams, le créateur de la série, prend donc tout son temps, afin de créer un univers cohérent avec des personnages attachants, avant d'en révéler les mystères. Espérons seulement, sur le douloureux souvenir de X-Files, que les producteurs n’auront pas le mauvais goût de nous perdre dans des histoires inabouties, qui finiront par lasser. L'ultime épisode de la première saison nous permet d'affirmer que la plupart des réponses attendues ne trouveront pas de solutions directes à court terme. La prochaine saison saura-t-elle apporter des réponses convaincantes aux cliffhangers et McGuffin haletants déjà posés? Ou, au contraire, creusera-t-elle plus encore le mystère qui entoure l’île et ses habitants forcés? Qui sont ces fameux "Autres"? Qui a capturé Walt? Comment va intervenir Michelle Rodriguez (caméo de la première saison), qui a obtenu un rôle important dans cette seconde saison? Qu’y a-t-il dans la fameuse trappe? D’où sort l’avion qui a tué Boone? Quel secret détient John Locke, celui qui a vu? Qu’est devenue Rousseau? Que cachent les chiffres maudits de Hurley? Autant de questions qui trouveront peut-être des réponses dans les épisodes à venir. Les plus impatients et retors d'entre vous pourront jeter un œil attentif sur la bande dessinée Arq d’Andréas, qui porte de très (trop?) nombreuses similitudes avec l'histoire principale... Sans pour autant se priver d’un événement télé majeur.

par Christophe Chenallet

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