L'odyssée d'Astérix

L'odyssée d'Astérix

Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par les Romains. Toute? Non! Quelques Gaulois en braies et moustaches, ivres de sangliers, d’anachronismes et de potion magique, résistent encore et toujours à l’envahisseur qui, tout ébaubi, en perd son latin. A la tête de la révolte depuis plus de 40 ans, Astérix est devenu institution cocorico, de la ligne claire en bulles aux blockbusters du grand écran. Plongée dans l’univers du petit blondinet.

NOS ANCETRES LES GAULOIS

1959. Certains l’aiment chaud et La Mort aux trousses sortent en salles, Charles de Gaulle vient d’être nommé Président de la République, Ritchie Valens s’écrase dans l’Iowa et Linda Blair pousse un premier cri qui ne sera pas le dernier. Mais le véritable événement, c’est la naissance, dans le journal Pilote, d’un Gaulois qui va marquer des générations entières. René Goscinny et Albert Uderzo, ses deux paternels, se sont rencontrés au début des années 50, et collaborent déjà sur quelques projets (dont Oumpah-Pah), avant de créer Astérix. Pour Uderzo, Astérix est un grand Celte costaud, mais pour Goscinny, le héros est petit et malin, à l’image du Français moyen. Les aventures seront situées en Bretagne, région qu’Uderzo connaît bien, dans un village au bord de la mer, car Goscinny imagine déjà les nombreux voyages de ses protagonistes. Le premier album paraît en 1961, et le succès arrive quelques années plus tard. Depuis, ce sont 32 aventures qui ont vu le jour, traduites en 88 langues, dont le Latin et l’Esperanto, 8 long métrages d’animation, 2 films (bientôt 3) et un parc d’attraction qui dame le pion au palais chantilly de Mickey. La tribu bretonne, elle, résiste, encore et toujours, au fil de ses aventures picaresques, déjouant les tours des Romains ou aidant leurs camarades d’Europe et au-delà.

VIVE LA ROME, VIVE LA ROME, VIVE L’AROOOME DU BON VIN

Parmi les ingrédients du succès de la bande dessinée, il y a cette riche galerie de personnages. Astérix donc, le héros blond et moustachu, à qui toutes les missions périlleuses sont confiées, mais aussi Obélix, son indéfectible comparse, porteur et tailleur de menhir (même si cette pratique date surtout de 3000 avant JC), tombé dans la marmite (épisode enfin relaté dans un album hors série, Comment Obélix est tombé dans la marmite quand il était petit, permettant de découvrir la jeunesse des protagonistes), pas obèse mais juste enveloppé. Le duo est rapidement complété, à partir du Tour de Gaule, par Idéfix, petit chien recueilli à Lutèce, labarum écolo qui pleure chaque arbre déraciné. Autour d’eux, un village assez masculin mais où les femmes tirent toutes les ficelles: Abraracourcix, le chef éternellement posé sur le bouclier que Vercingétorix a déposé devant César lors de sa défaite à Alésia (Le Bouclier averne), ne craint personne sauf sa femme, Bonemine, qui rêve des lumières de la capitale et appelle son époux "Cochonnet"; tandis qu’Agecanonix, doyen quasi centenaire du village, est mené par le bout de la canne par sa jeune et jolie compagne qui lui laisse volontiers faire la vaisselle. Autour d’eux, une armée de Romains, ou encore des pirates, dont le premier flibustier est inspiré de Barbe Rouge. Une référence parmi d’autres dans un récit qui en regorge.

IL NE FAUT JAMAIS PARLER SECHEMENT A UN NUMIDE

L’humour d’Astérix marche sur le bon mot ou le décalage, les anachronismes et références farfelues jouant ainsi un rôle important dans tous les albums. On ne compte plus les caméos parsemés au fil des aventures: apparitions pop (des précurseurs des Beatles dans Astérix chez les Bretons à Annie Cordy en serveuse de frites dans Astérix chez les Belges), incursion hollywoodienne (l’espion aux traits de Sean Connery dans L’Odyssée d’Astérix, Charles Laughton dans La Serpe d’or, le galérien Kirk Douglas dans La Galère d’Obélix) ou télévisuelle (Guy Lux en tête d’affiche des jeux du cirque dans Le Domaine des dieux). Goscinny et Uderzo se servent également des gueules du cinéma français pour leurs seconds rôles pimentés: Jean Gabin en Ponce Pilate dans L’Odyssée d’Astérix, Lino Ventura dans La Zizanie, Raimu en aubergiste marseillais dans La Serpe d’or, ou encore Jean Marais en beau fiancé de Falbala dans Astérix légionnaire. Les deux compères se permettent même quelques clins d’œil à leurs voisins de bulles, voir les apparitions impromptues des Dupond et Dupont dans Astérix chez les Belges, d’un légionnaire assommé ressemblant à s’y méprendre à Achille Talon (Astérix chez les Bretons), ou encore d’un dessin de Marsupilami dans Le Combat des chefs. Dernière cerise, le vrai rôle d’un jeune Jacques Chirac dans Obélix et compagnie, sous les traits de Caius Saugrenus, un Romain diplômé de l’Ecole Nouvelle d’Affranchis. Pour Uderzo et Goscinny, ces apparitions anachroniques servent de gags, mais aussi d’ancrage archétypal à l’étranger, et de pont entre les époques, les échos gaulois étant souvent bien français.

PAR TOUTATIS ET PAR BELENOS

L’autre mine d’Astérix, c’est sa double lecture. Derrière les aventures exotiques pour bambins, Uderzo et Goscinny cachent un vrai bouillon de culture. A l’image des allusions pop, l’Histoire s’invite parfois au détour d’un personnage, comme Louis XIV dans Le Grand fossé ("Le village, c’est moi!") ou Napoléon Ier, sous diverses formes: un fou dans Le Combat des chefs, Ocatarinetabellatchitchix dans Astérix en Corse, ou encore à travers l’adaptation du poème de Victor Hugo, L’Expiation, issu des Châtiments, mis en avant dans Astérix chez les Belges. Il ne s’agit pas de la seule référence littéraire: Shakespeare est évoqué dans La Grande Traversée (Hamlet relu par un Viking) et Le Grand Fossé (en forme de Roméo et Juliette gaulois), Don Quichotte s’invitant, quant à lui, dans Astérix en Hispanie. L’inspiration picturale laisse quelques traces, du Repas de noces paysannes de Bruegel reconstitué dans Astérix chez les Belges au Radeau de la Méduse de Géricault, singé dans Astérix légionnaire, ou encore La Leçon d'anatomie du docteur Tulp de Rembrandt, reprise dans Le Devin, tandis que Le Penseur, Le Discobole, et le Laocoon ornent Les Lauriers de César. Un véritable festin qui prend d’ailleurs littéralement forme dans Astérix chez les Helvètes, où figure une scène du Satyricon de Fellini. Nous sommes alors en 1970, et le petit Gaulois lui-même a déjà fait son apparition au cinéma.

BULLES ANIMEES

En 1967, Astérix le Gaulois est le premier à s’y coller. A l’origine, le dessin animé est conçu pour la télévision, mais sera finalement diffusé en salles. Gros succès commercial, le film, sympathique, demeure un peu pauvre visuellement, défaut gommé un an plus tard avec Astérix et Cléopâtre. Roger Carel double à nouveau le héros, aidé par Micheline Dax en reine d’Egypte. Le résultat est rythmé, adaptant parfaitement l’humour des bulles originales, et se permet quelques incursions très réussies dans la comédie musicale. Il faudra néanmoins attendre 8 ans pour revoir Astérix en salles, avec un film un peu particulier: Les Douze Travaux d’Astérix. Le long métrage a été écrit exprès pour le cinéma, mais se révèle pourtant, avec Cléopâtre, comme la meilleure adaptation de l’esprit Astérix - un patchwork totalement délirant aux personnages hétéroclites et références exotiques, dans ce qui constitue certainement l’épisode le plus drôle de la série à l’écran. Hormis Astérix chez les Bretons, en 1986, les adaptations cinématographiques suivantes seront effectuées à partir de deux albums à chaque fois: La surprise de César est l’enfant de Astérix gladiateur et Astérix légionnaire, Le Coup du menhir est adapté du Combat des chefs et du Devin. Peu à peu, la cible se recentre sur le jeune public, et dénude le sous-texte plus fourni de certains albums. En 1995, Astérix et les Indiens est librement adapté de La Grande Traversée, mais les entrées se tarissent et le film passe à peine le million de tickets. Il faudra donc attendre à nouveau 10 ans pour voir un nouvel épisode, Astérix et les Vikings, adapté d’Astérix et les Normands.

LA ZIZANIE

Pendant ce temps, Astérix s’est taillé la part du lion côté cinéma en prises de vue réelles. Le village gaulois en chair et en os, vous en rêviez, Claude Zidi l’a fait. Ou presque. Son immonde Astérix et Obélix contre César tient plutôt du cauchemar de mauvais goût, traînant son héros (interprété par… Christian Clavier) dans la boue pour un spectacle bouffon qui n’a rien de commun avec l’esprit de Goscinny. Néanmoins, le triomphe en salles est total, et un deuxième volet est lancé, avec à sa tête Alain Chabat. Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre est accueilli par de meilleures critiques, bat le score du précédent film, mais encore une fois, le cœur n’y est pas vraiment, l’humour de la bande dessinée étant souvent vampirisé par la tribu Canal+ à l’écran. Qu’importe, un troisième volet est en marche, au budget pharaonique: 78 millions d’euros. L’escalade n’en finit plus, et le casting ressemble à une liste d’invités à un mariage royal: Alain Delon, Claudia Cardinale, Zinédine Zidane, David Beckham, Michael Schumacher, Gisele Bundchen, Jean-Claude Van Damme, et au milieu, Clovis Cornillac en nouvel Astérix. La sortie est prévue fin 2007. Côté bande dessinée, le Gaulois fait grise mine. Après quelques épisodes qui ont su faire illusion, la série a bien du mal à se remettre de la disparition de son scénariste. Avec les récents La Galère d’Obélix et surtout Le Ciel lui tombe sur la tête, en forme de trahison bâclée et improbable, Uderzo patauge dans la semoule et plonge Astérix dans une science-fiction des plus simplettes. Le bouche-à-oreille est meurtrier et l’échec commercial cruel par rapport aux scores habituellement atteints. En attendant un sursaut d’inspiration inespéré de l’auteur, l’avenir du petit Gaulois se fait malheureusement plus florissant en salles qu’en bande dessinée.

par Nicolas Bardot

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