Les effets speciaux

Les effets speciaux

La notion d’effet spécial, de trucage visuel, est antérieure au cinéma. Elle remonte aux premiers pas de la photographie. Elle fut inventée vers la fin du dix-neuvième siècle par quelques photographes peu scrupuleux qui truquaient les tirages de leurs clients (à l’aide d’une judicieuse double exposition du négatif), en y incluant des apparitions vaporeuses fantomatiques, dans le but, bien évidemment, de leur extorquer des sommes sonnantes et trébuchantes. D’une efficace arnaque était donc née une discipline qui allait par la suite devenir l’apanage exclusif du cinéma. Cet incident projeta les bases d’un monde chimérique, où le réel côtoierait l’impossible, faisant se lever du néant les fondations de l’illusion.

MELIES SUPERSTAR

Les années passèrent et les effets spéciaux envahirent le cinéma. Le précurseur, George Méliès, mit pour la première fois en pratique les principes fondamentaux de nombreux effets spéciaux encore en vogue aujourd’hui. De son incessante volonté d’innover, et de sa perpétuelle expérimentation, naquirent la perspective forcée (utilisée par Peter Jackson dans Le Seigneur des anneaux afin de retranscrire les différences d’échelle entre les personnages), les caches (qui devinrent un élément primordial des effets spéciaux numériques), les fondus et autres surimpressions. Le secret de Méliès: une connaissance étendue des tours de magiciens, une certaine ingéniosité, et surtout, une science accrue du montage, à une époque où le matériel à disposition était euphémiquement rudimentaire. Les films avaient pour mesure le mètre de pellicule, et non la durée du métrage. Méliès parvint à se forger, au travers de plus de cinq cents petits films, une réputation inégalée, mais fut malheureusement pris de vitesse par les américains, et sombra peu à peu dans l’oubli.

LES PREMIERS PAS

Les travaux de Méliès, de ses collaborateurs comme de ses contemporains, ne furent pas vains pour autant. Lorsque petit à petit, le cinéma prit ses proportions actuelles, et dès lors que les films ne se limitèrent plus à de vagues courts métrages, les effets spéciaux devinrent un soucis majeur pour les productions hollywoodiennes. Nés de cette envie de retranscrire en images les projections imaginaires des écrivains et des scénaristes, les effets spéciaux ont pourtant une toute autre vocation, plus concrète. Outre la possibilité qu’ils offrent de créer un monde qui n’existe pas, ils peuvent aussi et surtout limiter les coûts de production, en remplaçant des décors trop coûteux à reproduire à taille réelle, par des modèles réduits. D.W. Griffith, réalisateur des controversés Intolérance et Naissance d’une nation, décida d’utiliser pour la première fois un travelling et un gros plan, techniques nouvelles et décriées en son temps. Il expérimenta la technique de la transparence (projection derrière les acteurs d’un film, avec lequel ils doivent interagir et donner ainsi la performance finale). Au court des années, de nouvelles techniques, modifiant la façon qu’ont aujourd’hui les réalisateurs d’appréhender leur mise en scène, ont donc fait leur apparition. Dès 1916, un américain parvint à fixer les bases de la technique du fond bleu (permettant de séparer les éléments d’avant plan avec un arrière plan monochromatique), procédé qui sera notamment réutilisé dans la version de 1956 des Dix Commandements. Qui pourrait nier l’importance des effets spéciaux dans Citizen Kane, où l’art du trucage de plans est mise au service d’une fascinante histoire? Le Welles contient d’innombrables trucages optiques, encore difficiles à reproduire aujourd’hui. Qui pourrait par ailleurs oublier l’importance de Metropolis dans l’histoire des effets spéciaux?

QUELQUES ARGONAUTES

Ray Harryhausen, maître de l’animation image par image (le stop motion), profondément inspiré par le King Kong de 1933 et les effets de Willis O’Brien, va lui aussi s’imposer comme l’un des maîtres de la discipline. Un joli hommage lui sera d’ailleurs rendu dans le récent Pixar, Montres et Cie, tout en images de synthèse, où les héros se rendent dans un restaurant nommé le Harryhausen. Adulé par John Landis ou Tom Hanks, il est un modèle pour de nombreux responsables des effets spéciaux actuels. Rarement un homme - qui n’a jamais été à proprement parler réalisateur ou scénariste - n’a su apposer sa griffe de manière si prépondérante et singulière. Son œuvre la plus connue, Jason et les Argonautes, récit mythologique et film mythique, offrait un combat immortel (réglé par Harryhausen lui-même), où Jason combattait une armée de squelettes, tous miniatures et animés à part, image par image. Complexes et demandant beaucoup de patience, ces effets spéciaux restent aujourd’hui touchants et extrêmement poétiques, principalement à l’heure du tout numérique.

LA SCIENCE FICTION A L’HONNEUR

Plus que tout autre genre de film, la science fiction est le genre de prédilection de l’effet spécial. Si le péplum a permis de populariser le Matte Painting (plaque de verre peinte associée à des systèmes de caches, permettant de montrer des décors plus imposants qu’ils ne le sont réellement), la science-fiction a ouvert la voie à la plupart des innovations propres à la discipline. De la lune de Méliès aux personnages virtuels des derniers Star Wars et Seigneurs des anneaux, en passant par les maquettes de 2001, ces films ont tous posés les jalons esthétiques de ce qu’il était possible de faire croire à l’écran, repoussant sans cesse l’ampleur de l’imagination collective. Depuis le Voyage Fantastique avec Raquel Welsh, où l’art du compositing réaliste devient saisissant (plan composé de plusieurs éléments de sources différentes, tels que décors miniatures, comédiens, maquettes, etc.) jusqu’au chef d’œuvre de Stanley Kubrick; 2001 : l’odyssée de l’espace. Véritable choc en 1968, ce joyau d’un réalisme à toute épreuve, prend le contre-pied des films de science-fiction fantaisistes. Le film répond au maximum de critères scientifiques, et s’impose comme la référence définitive de la SF. Pour accentuer cette sensation de réalisme à l’écran, Kubrick exigea que chaque plan incluant des modèles réduits soit rotoscopé, c’est à dire travaillé image par image, afin de composer précisément chacun des éléments du plan. La finition de cette technique impliqua le labeur de trois longues années d’effort. Toutefois, c’est le Star Wars original qui finira par enfoncer le clou de l’effet spécial roi. Devenu un argument commercial sans précédent (dès King Kong, les producteurs misaient sur les prouesses du département effet spéciaux), ils prennent une dimension industrielle avec la création du plus célèbre studio d’effets spéciaux du monde: Industrial Light and Magic. Créée en 1975 par George Lucas et John Dykstra, ILM changera définitivement la façon de faire des effets spéciaux à Hollywood.

L’ERE NUMERIQUE

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’ordinateur n’a pas réellement inventé de nouveau concepts. Il s’est contenté apporter une plus grande flexibilité, et la réponse à certains problèmes qui se posaient depuis de nombreuses années. L’ordinateur a repris à son compte les vieux principes de l’optique, pour les transfigurer en langage binaire, et occulter ainsi la perte de qualité (propre aux incessants transferts optiques nécessaires pour les doubles expositions, par exemple). Les concepts de cache, de contre cache, de fond bleu ou vert, ou bien de caméra automatisée existaient déjà, mais dépendaient de processus mécaniques imparfaits, qui entraînaient des complications difficiles à résoudre. L’ordinateur, à l’aide de son traitement numérique, est parvenu à centraliser et simplifier toutes ces informations, afin d’en accroître les possibilités. Depuis, les effets de morphing, expérimentés dans Indiana Jones et la dernière croisade et Willow, poussés à la perfection dans Terminator 2, jusqu’aux dinosaures enfin réalistes de Jurassic Park, sont parvenus à élever les effets spéciaux sur un plan supérieur. Ainsi, pour Abyss, un pseudopode numérisé imitant parfaitement l'eau viendra rendre une visite enchanteresse aux membres de l'équipage de la plateforme engloutie. Celui-ci offrira un des premiers effets de morphing utilisé avec intelligence et sagesse.

Outre les personnages numériques parfaitement réalistes, tels que Jar Jar Binks ou Gollum (qui exploitent pleinement les techniques utilisées pour Le Secret de la pyramide de Levinson en 1985, avec un chevalier en images de synthèse animé par Pixar), l’ordinateur a aidé, et influencé, toute une nouvelle génération de cinéastes. Chacun est désormais libre d’inventer une nouvelle grammaire, libérant ainsi les prémices de formes inédites de narration. David Fincher, notamment, parvient à faufiler sa caméra dans les moindres recoins de sa Panic Room, combinant pour l’occasion plans de synthèse et prises de vues réelles. Peter Jackson, naviguant dans le gigantisme, crée une armée virtuelle de 10 000 orcs pour les besoins de son Seigneurs des anneaux. On notera au passage les transitions entre acteurs et doubles numériques pour Matrix Reloaded ou Blade II, les animatronics (maquettes animées et radiocommandées) de Stan Winston, les maquillages complexes de Rick Baker (La Planètes des singes de Tim Burton) ou bien encore les films entièrement générés par ordinateur, signés des grands artistes de chez Pixar. Le champ des possibilités s’en trouve démultiplié, avec parfois, bien sûr, le risque de perdre en mystère ce que l’on gagne en matérialisme (le tâcheron Jan de Bont s’en mordra les doigts sur Hantise, film rempli de jolis effets, mais dénué de toute ambiguïté). Toutefois, si le public commence à avoir l’œil aguerri en effets spéciaux modernes, et ce au risque de dénigrer injustement les plus anciens, il devra veiller au fait qu’aucun effet spécial, jamais, ne puisse avoir de rôle plus important, que celui de servir une bonne histoire.

par Nicolas Plaire

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