Les Simpson – la série

Cela peut paraître dur à croire, mais les Simpson est la série animée qui connaît la plus grande longévité. Jugez plutôt: dix-huit saisons, 400 épisodes, laissant loin derrière les Pierrafeu, la précédente détentrice du record avec "seulement" dix saisons. Cette étrange famille de yellow trash démarrée en 1989 a immédiatement connu un succès phénoménal et international, projetant Homer, Marge, Bart, Lisa et Maggie dans les plus hautes sphères de la pop culture mondiale.
MAX PUISSAAAAAAAANNNT! C’EST UN HOMME DONT LE NOM FAIT REVEEEEEEEER!
Conçue à l’origine comme des petits modules de quelques minutes pour le Tracey Ullman Show, il peut paraître aujourd’hui difficile de concevoir que Les Simpson, ses gribouillages malhabiles et cette animation maladroite ait pu soulever un quelconque intérêt pour le format plus long de vingt minutes qu’on lui connaît aujourd’hui. Pourtant, malgré des voix pas encore assurées, la famille inventée sur le pouce par Matt Groening (pour laquelle il a repris les noms des membres de sa propre famille, changeant Matt en Bart) avant de rencontrer son producteur, James L Brooks, a trouvé dès la première saison un public conquis. Ainsi, après trois saisons en format court, le premier épisode de la série est diffusé sur la Fox le 17 décembre 1989 pour une première saison de 13 aventures (il y en aura de 22 à 25 par saison par la suite). En France, la série arrivera un an plus tard sur Canal +, après avoir cartonné dans le monde entier et vendu des millions de dollars en produits dérivés. La folie Simpson commence à peine. Loin d’être visuellement au top, même si l’animation et le graphisme se sont considérablement améliorés depuis le Tracey Ullman Show, où les animateurs se contentaient d’extrapoler les brouillons de Groening, la série souffre de nombreux problèmes en raison de la sous-traitance de l’animation en Corée. De plus les premières saisons suivent une tangente classique de sitcom en se focalisant sur des scripts ayant une morale bien définie, des enjeux clairs et une fonction quasi-éducative. Bart devient rapidement le porte-drapeau d’une jeunesse turbulente mais sympathique dans le fond, digne héritier d’un Denis la malice. Le merchandising se focalise essentiellement autour de lui – une mise en avant heureusement passée de mode depuis: t-shirts, tasses et même un disque, mis en musique par DJ Jazzy Jef (le DJ du Fresh Prince Will Smith) voire même Michael Jackson himself avec Do the Bartman.
OUUUUH MARGE, UN DONUT!
Le succès aidant, l’influence des Simpson s’accroît. George Bush père les cite en modèle à ne pas suivre lors de la campagne pour sa réélection en 1992 contre Clinton. La famille devient une référence, le voisin bigot Ned Flanders est le personnage préféré des conservateurs, de nombreuses répliques de la série deviennent des catch phrases le temps d’un été, jusqu’en 2003 où le cheese-eatin' surrender monkeys du jardinier écossais Willie devient un hymne en pleine campagne anti-française post 11-septembre. Quand la seconde saison est diffusée face au culte Cosby Show, les scripts doivent être adaptés pour attirer une audience familiale plus large et laissent donc la part belle à l’émotion de supermarché. Toutefois l’univers particulier des Simpson s’étoffe et les personnages secondaires tels que Moe ou Flanders affinent leurs traits de caractère tandis que de nouveaux personnages font leur apparition comme le Dr Hibbert ou Willie, que Smithers perd son bronzage et acquiert son identité sexuelle ambiguë ainsi que son attirance non réciproque pour son patron, le démoniaque et éternel C. Montgomery Burns. Les auteurs développent également pour Halloween ce qui allait devenir un rendez-vous annuel: le Treehouse of Horror, trilogie de courtes histoires reprenant et/ou parodiant des classiques de la SF, de l’horreur ou du fantastique, dont la fameuse reprise du Corbeau d’Edgar Allan Poe racontée par le timbre grave de James Earl Jones. D’ailleurs les premières guest stars font leur apparition: Larry King et Ringo Starr apparaissent dans leur propre rôle animé, tandis que Danny DeVito prête sa voix à un personnage le temps d’un épisode; Dustin Hoffman et Michael Jackson (pour le premier épisode de la troisième saison) préfèrent quand à eux être crédités sous des pseudonymes pour d’obscures raisons.
HAPPINESS IS JUST A FLAMING MOE AWAY
Des personnages semi-récurrents viennent à présent ponctuer la série dont l’un d’entre eux, Sideshow Bob, l’ancien souffre-douleur du clown Krusty, génie du mal, républicain invétéré et cultivé, passe la majeure partie de son temps à vouloir se venger de Bart en élaborant un plan machiavélique. Autre personnage génial: Troy McClure, comédien raté spécialisé dans la présentation de films éducatifs ringards mélangeant les noms des comédiens Troy Donahue et Doug McClure. Le personnage sera malheureusement retiré de la série après le meurtre de l’acteur le doublant, Phil Hartman, en 1998, ainsi que tous les autres citoyens de Springfield qu’il incarnait (dont Lionel Hutz, l’avocat incompétent). Et à mesure que passent les saisons l’écriture s’affine et finit par trouver ses marques alors que le dessin lui-même s’améliore. Les histoires s’éloignent du cadre simpliste du sitcom pour s’aventurer dans les veines de l’absurde absolu dont les saisons 10 à 12 en sont les meilleurs exemples. Par ailleurs, non content d’influencer la culture occidentale, la série se permet également de citer des canons de l’underground, évoquant Russ Meyer ou Robert Crumb au détour de titres des dessins animés dans le dessin animé: Itchy et Scratchy, véritable défouloir des auteurs qui donnera une extraordinaire mise en abyme dans la saison 8 – souvent considérée comme la meilleure saison de la série – avec le Itchy & Scratchy & Poochie Show. Les scénaristes ne se contentent pas de piocher dans la culture contemporaine et citent à tour de bras Homère (forcément) et Shakespeare, n’hésitent pas à faire référence à Zola et son "J’accuse" en français dans le texte, ou bien rendre hommage au réalisateur indien Satyajit Ray, voire citer Munch ou Escher au détour d’un détournement de tableau. Autre grand classique de l’épisode Simpso : la comédie musicale. Des dizaines d’épisodes se réclament des canons des musicals de Broadway, référençant Busby Berkeley ou Bob Fosse, singeant Mary Poppins, dans des numéros chantants et dansants toujours réglés au millimètre près.
"GOD IS SO IN YOUR FACE!" "-YES HE’S MY FAVOURITE FICTIONNAL CHARACTER!"
La galaxie Simpson n’a depuis eu de cesse de s’agrandir, partant des produits dérivés classiques pour se diversifier à l’instar d’un empire Disney ou de l’univers étendu de Star Wars, témoignant du même coup de la richesse de l’univers créé par Matt Groening et ses auteurs. Ainsi on retrouvera plusieurs collections de comic books – dont une consacrée au super-héros préféré de Bart, Radioactive Man -, les guides des épisodes, des dioramas, des jeux vidéo (le meilleur jusqu’ici: Simpson: Hit&Run, un GTA-like dans les rues de Springfield), des décapsuleurs, cartes postales, poupées, ballons pour la parade de Macy’s à New York. D’autres auteurs s’engouffrent dans la brèche ouverte par la série. South Park bénéficiera directement du succès de son grand frère et lui rendra hommage directement dans l’épisode Simpsons already did it. Familly Guy (Les Griffin en français) est même à la limite du plagiat (ce qui leur vaudra une pique assassine dans un épisode récent des Simpson). Al Jean, producteur exécutif, quittera un temps la série avec la bénédiction de Groening pour créer The Critic avec Jon Lovitz. Une série animée sur un journaliste de cinéma amoureux de la Nouvelle Vague, détestant Hollywood et surtout inapte à la vie. La série ne tiendra qu’une seule saison et 23 épisodes et le producteur reviendra au bercail. Matt Groening, sans abandonner le navire, ira l’espace de quatre saisons tâter de la SF avec Futurama. La série sera annulée par une Fox revêche, mais son succès en DVD et le culte qui suivit poussèrent la chaîne à commander une nouvelle saison pour 2008. Pendant ce temps, Groening et son équipe continuent à produire Les Simpson sans que la qualité ne fléchisse – contrairement à ce qu’en disent les mauvaises langues, certains des meilleurs épisodes de la série proviennent des dernières saisons. A leur décharge, aucune année ne sera aussi constante que la mythique saison 8 où la simple évocation d’El Viaje Misterioso de nuestro Homer, The Springfield Files ou Homer’s Phobia devraient faire soupirer de bonheur les fans transis.
I LOVE BOOBIES!
Dix-huit saisons, des centaines de guest stars, dont certaines font des pieds et des mains pour apparaître dans le show – et parfois se faire quelque peu malmener, comme Elton John, se retrouvant coincé dans une cage pour chien à l’aéroport de Springfield. Et les épisodes d’attirer une vaste variété de personnalités: des musiciens comme U2, Aerosmith, les Ramones, trois Beatles différents; des sportifs (LeBron James), des intellectuels américains (Gore Vidal), des acteurs et actrices hollywoodiens (Alec Baldwin ou Michelle Pfeiffer), voire même un premier ministre anglais alors en activité, Tony Blair! Chacun jouant leur propre rôle ou bien prêtant leur voix à des personnages spécialement créés pour l’occasion (Glenn Close doublant le personnage semi-récurrent de la mère de Homer, poursuivie par la justice en raison de son militantisme 60’s). Outre ses héros et anti-héros, la série impose également un humour différent, sans cesse renouvelé, n’hésitant pas à abandonner une routine usée ou bien tuer des personnages devenus stériles (dont le jazzman "Bleeding Gum" Murphy). D’autres sont devenus des références au-delà des frontières du show. Au-delà de la bêtise congénitale de Homer (qui serait due à un trop grand nombre de crayons qu’il se serait enfoncés dans le cerveau par le nez!) ou la rébellion de Bart, on se souviendra du machiavélisme capitaliste de M. Burns, de la veulerie du principal Skinner, de l’humour foireux de Krusty le Clown et de ses houleuses relations avec son rabbin de père. Sans oublier Apu, Otto, le chef Wiggum, la bande de copains de Bart, le Dr Hibbert, les collègues crypto-homo de Homer, Carl et Lenny. Les personnages qui apparaissent dans plus d’un seul épisode dépassent copieusement la centaine et chacun a son caractère, sa catch phrase et son heure de gloire. Si la famille Simpson reste le pivot de la série, apparaissant à chaque épisode - même si Marge n’a pas un seul dialogue dans l’un d’entre eux -, il n’est pas rare de voir une intrigue centrée autour de, par exemple, les malheurs du Comic Book Guy envoyé à l’hôpital après un épisode cardiaque.
HI-DIDDLY-HO, NEIGHBOR-INO
Evidemment la parodie de films reste la source d’un humour qui ne se tarit jamais. Et les Simpson de citer Les Nerfs à vif, Apocalypse Now ou Jean de Florette de toutes les façons possibles. Comment oublier Homer se transformant, tel un Peter Parker obèse, en justicier masqué lanceur de tartes portant ses habituels slips blancs par-dessus ses collants? Mais Les Simpson c’est avant tout un show incroyablement engagé politiquement. Si la série est d’évidence plutôt à gauche, tout le monde en prend pour son grade, critiquant la société américaine dans ses travers, malgré l’apologie d’une cellule familiale à la cohésion certes chaotique (dans combien d’épisodes Marge est-elle sur le point de quitter Homer) mais finalement plus soudée que jamais. Les thèmes progressistes sont souvent abordés. L'homosexualité dans Les Simpson mériterait à elle seule un ouvrage complet. L’écologie, le végétarisme, l’éducation et l’ignorance reviennent souvent hanter les épisodes. Plus corrosive que jamais, la série ne se prive jamais de se moquer de la télévision, notamment sa propre chaîne, Fox, pour ses programmes racoleurs et son asservissement à l’administration de George W. Bush. C’est ainsi qu’année après année, Matt Groening et ses sbires ont su créer un univers d’une richesse rarement atteinte à la télévision, jouant sur tous les tableaux et gagnant à chaque fois, produisant une série inventive, ancrée dans son époque, faisant preuve d’une grande liberté de ton, audacieuse et toujours subtile. Si ici et là, quelques scories sont à déplorer, ce n’est rien d’autre que le dépôt de l’un des plus grands crus que la télévision américaine ait jamais fermenté. 18 saisons? 400 épisodes? Bah! On parie qu’ils peuvent pousser sans forcer jusqu’à 800?