L'affaire du siecle

L'affaire du siecle

Après Georges Lautner, Claude Lelouch, et Robert Guédiguian, Jean-Jacques Beineix vient lui aussi de signer sa première BD d'après un scénario qu'il a écrit pour le cinéma il y a vingt ans. L'Affaire du siècle, arlésienne de Beineix, sera donc projetée sur des pages et non dans une salle de cinéma. Retour sur cette genèse.

TU VEUX OU TU VEUX PAS ?

C'est pendant le tournage de La Lune dans le caniveau que Beineix eut l'idée d'adapter le roman de Marc Behm, La Vierge de glace. Ce polar truculent comico-fantastique conte les aventures de deux jeunes vampires organisant un hold-up afin d'acheter le château de leurs rêves. Ayant perdu une partie de leurs pouvoirs, ils demanderont l'aide d'un très très vieux vampire ayant élu domicile dans les égouts new-yorkais. Après la débâcle due à l'échec de La Lune dans le caniveau, Beineix tente sa chance aux Etats-Unis, faisant le tour des majors, notamment la Paramount, dirigée à l'époque par Michael Eisner. Devant la réticence des studios hollywoodiens de financer le film, Beineix quitte la mégapole californienne pour les monts de la Lozère, où il tourne son oeuvre culte et son plus gros succès, 37°2 le matin. Betty Blue fait le tour du monde et attire l'œil des producteurs américains, et à nouveau Beineix retraverse l'Atlantique, cette fois-ci en wonder boy et non en cinéaste maudit. Peine perdue, malgré une tournée marathon des studios, Beineix repart piteusement avec son scénario sous le bras. Le film sera pourtant à deux doigts de se faire avec la Columbia, dirigée pendant un temps par David Puttnam; malheureusement, la major, ainsi que ses vélléités artistiques, seront avalées par le géant Sony en 1989. Découragé et incrédule devant la complexité des rouages de la bureaucratie hollywoodienne, Beineix abandonne définitivement l'option américaine. Après son combat contre les accords du Gatt, Beineix décide en 1996 de relancer le projet, après avoir modifié le script, transposant l'action de Manhattan à Paris, mais cette fois-ci, il va se heurter à la frilosité du cinéma français.

Budget de 120 millions de francs, film fantastique, scénario fou, foisonnement d'effets spéciaux, réalisateur têtu, le projet accumule les handicaps, qui font fuir les décideurs des chaînes de télévision, malgré un casting alléchant (Jean Reno, Leelee Sobieski, Jason Flemyng). A la différence d'un Besson qui sait s'entourer et compter sur des appuis financiers importants, Beineix samouraï-martyre-écorché vif s'est totalement isolé au fil des ans dans le paysage cinématographique français; ainsi, il n'a pas réussi à surfer sur la vague du film de genre de ces dernières années. Las, Beineix a décidé donc de faire de ce scénario maudit une BD, confiant le dessin à son storyboarder attitré Bruno de Dieuleveult (IP5). D'ailleurs, il n'est pas le seul, d'autres cinéastes (Claude Lelouch, Georges Lautner, Robert Guédiguian) étant passés récemment du septième au neuvième art. Effet de mode ou refuge pour réalisateurs en détresse? Comme toujours, Beineix prend son nouveau rôle très au sérieux, défendant dans tous les médias son nouveau bébé, criant ainsi à l'acharnement de la part de certains puristes bédéphiles. La plupart des critiques pointent les faiblesses du dessin, et elles n'ont pas tort. Bruno de Dieuleveult ne réalise pas une BD mais plutôt un storyboard d'une BD: mise en page approximative, coloriage et non mise en couleurs, esquisses non finalisées... Le dessin n'est clairement pas à la hauteur du scénario, et on se plaît à rêver du résultat si le dessin avait été confié à un artiste de la trempe de François Boucq. L'histoire, quant à elle, reste truculente et fascinante. Des tribulations burlesques de ces immortels aux pouvoirs surnaturels ayant des problèmes de boulot et de logement, l'on pourrait effectivement tirer un excellent film. Espérons qu'un producteur apporte enfin du sang neuf à ces vampires tapis au fond de leur crypte.

par Yannick Vély

Partenaires