La musique chez Michael Mann

La musique chez Michael Mann

Rares sont les réalisateurs à porter une attention aussi soutenue à la musique de leur film que Michael Mann. Ce touche-à-tout de génie, issu de la télévision, a su mieux que quiconque faire coller le morceau idéal sur l’image juste. Situé entre la musique originale et des morceaux composés par des musiciens commerciaux, le cœur du réalisateur de Heat balance.

L’ART ET LA MANNIERE

Dans le domaine de la bande originale de films, plusieurs philosophies s’affrontent. Il y a ceux qui font écrire leur musique par un compositeur (à l’instar d’un John Williams travaillant pour George Lucas ou Steven Spielberg) lorsque d’autres s’appliquent à rechercher dans un pool de créations préexistantes le bon morceau destiné à souligner l’impact de leur scène – Tarantino excelle dans cet art, prétextant la potentialité d’une déception provenant d’une BO qu’il aurait commandée. Michael Mann, quant à lui, a délibérément choisi de s’inscrire à mi-chemin entre ces deux doctrines. Nombre de ses bandes originales – notamment les dernières – mélangent dans un savant dosage de compositions piochées chez des artistes reconnus et de musiques spécifiques. Depuis ses deux premiers films, Le Solitaire (1981) et La Forteresse noire (1983), où il confia le soin de la bande sonore au groupe allemand Tangerine Dream, Michael Mann inclut profondément la musique dans son processus artistique. Soucieux de créer un rapport intime entre l’image – souvent nimbée d’une ambiance presque éthérée – et l’environnement sonore afin d’y soustraire les bruits du monde réel, le réalisateur va créer par ce biais une texture émotionnelle précise qui se nourrit en parts égales du cadre et de la partition. En clair, le réalisateur joue sur le registre d’un réalisme si hypertrophié qu’il devient presque abstrait, engageant la musique sur un plan presque inattendu, mais toujours pertinent. Outre la participation de compositeurs hollywoodiens classiques – Goldenthal pour Heat, James Newton Howard pour Collateral - Michael Mann s’est fendu de quelques collaborations de choix avec des artistes moins évidents, moins logiques dans le panorama relativement fermé des compositeurs de musiques de films. En particulier via Heat, le film marquant le point de rupture dans la filmographie de Michael Mann et son passage dans le cercle fermé des réalisateurs au nom connu.

LE MANN SAIT DANSER

On pourra tout de même s’étonner du choix de Moby – artiste correct, mais chanteur exécrable, proprement incapable de placer sa voix – dont Mann utilise une chanson (New Dawn Fades, une reprise de Joy Division) pour Heat, lors de la confrontation mythique Pacino-De Niro. Toutefois, cette même bande sonore marque sa première collaboration – indirecte certes – avec Lisa Gerrard (ex-chanteuse de Dead Can Dance) en reprenant deux morceaux de The Mirror Pool, son premier effort solo: Là-Bas et Gloradìn. Point de départ d’une relation cruciale qui prendra une importance considérable pour ses deux films suivants: Révélations et Ali. La bande originale de Révélations fut l’occasion de commander à Lisa Gerrard et à son collaborateur Pieter Bourke, une série de morceaux originaux (à l’exception notable de Tempest et Sacrifice, tous deux tirés de Duality). La bande originale, planante à souhait, s’entremêle parfaitement avec la thématique du film, notamment lors de la scène onirique où le personnage de Russel Crowe est devant le gouffre du désespoir. Re-belote quelques années plus tard lorsque Mann prépare son Ali. Lisa Gerrard et Pieter Bourke enregistre plusieurs heures de musique, mais les studios imposent une bande originale plus jeune à coups d’artistes moins intéressants (R. Kelly) et de jeunettes qui montent (la talentueuse Alicia Keys). Reste toutefois une bande originale plus cérébrale encore, les images de Mann, la légende de Mohammed Ali, et la force de l’interprétation de Will Smith faisant le reste. Tout comme pour Révélations, Ali connaît sa scène forte, lors d’un jogging à Kinshasa, sur laquelle est appliqué le Tomorrow de Salif Keita. Rappelant pour Collateral sa collaboration avec la chanteuse australienne – on y retrouve un morceau de la bande originale de Révélations – Mann se dirige vers d’autres formes émotionnelles, tout en restant fidèle à ses obsessions musicales ordinaires. La partition se fait plus urbaine – via un morceau des rappeurs The Roots –, plus électrique – à travers Shadow of the Sun d’Audioslave –, afin de célébrer un Los Angeles nocturne et omniprésent. Mais l’on notera surtout l’utilisation d’un morceau d’électro de Paul Oakenfold comme habillage d'une scène de pure anthologie se déroulant dans une boîte de nuit. Chez Mann, la musique n’est jamais envahissante, elle sait se glisser comme une seconde peau sur ses images précises. Elle distille l’ambiance mais ne l’assène pas, elle donne l’emphase sur l’état émotionnel des personnages.

par Nicolas Plaire

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