Dallas

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Alors que la folie autour des séries TV est à son paroxysme, Dallas reste, depuis plus de 30 ans, une référence absolue. Dallas donne rien moins que l’envie de prendre une bêche et creuser dans son jardin pour trouver un gisement de pétrole. L'un de ses acteurs principaux, Larry Hagman, inoubliable interprète de JR, s'est éteint. Retour sur une série dont l'aura culte, elle, est toujours aussi vivace.

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GENÈSE D’UN TRIOMPHE

1977: Le scénariste David Jacobs écrit pour CBS le pilote d’un nouveau soap intitulé Knots Landing (la diffusion de Côte Ouest commencera en fait après celle de Dallas), dont l’action se déroule dans une suburb friquée de Californie. Les producteurs trouvent le concept intéressant, même s’ils jugent plus qu’incertain son succès et réclament des scénarios plus sensationnalistes concernant la vie de riches WASP. L’idée dérive alors vers une série dramatique centrée sur la vie à Indianapolis de Pamela Barnes, héroïne qui originellement devait être jouée par… Linda Evans, la Krystel de Dynastie. Après quelques ajustements, Dallas voit le jour dans une relative indifférence. 1980: le 21 mars, l’épisode "Le Départ" s’achève sur trois coups de feu et le corps inerte de J.R. dans son bureau. Une hystérie collective s’empare des quelques 350 millions de téléspectateurs à travers les 110 pays qui ont suivi le show. Rien qu’aux Etats-Unis, 50 millions de Yankees ont suivi en direct la fin de ce personnage que l’on adore détester et offrent au network une part de marché à 52 %, soit la deuxième plus importante de la saison derrière le Super Bowl. La Reine mère d’Angleterre, finaude et tactique, essaie d’utiliser ses privilèges pour connaître le coupable, alors que l’ancien président Gerald Ford interrompt une partie de golf dans un accès de colère pour faire pression sur CBS. Mitterrand est scotché devant son écran et interdit formellement qu’on le dérange. C’est l’apogée d’un succès qui va perdurer plus de dix ans et marquer un jalon dans l’histoire de la télévision contemporaine.

VACHETTES, PÉTROLE ET P’TITES PÉPÉES

Pourtant, reprendre la trame shakespearienne la plus basique – un couple impossible (Romeo Montaigu / Bobby Ewing aime et épouse en secret Juliette Capulet / Pamela Barnes) aurait vite pu sombrer dans le cliché le plus plat et précipiter la série vers une fin rapide. Du destin de Pam, la fille d’un oildigger ivrogne ruiné par le puissant clan Ewing, famille de pétroliers aux mâles couillus et sans scrupules, l’intrigue se déploie vite selon le schéma instruit par Géant, le classique de George Stevens, à la fois dans le fief des Ewing, le ranch de Southfork, et dans la ville éponyme de Dallas. Là-bas règne en maître incontesté le triste sire J.R., homme à femmes et magouilles qui délaisse sa bourgeoise Sue Ellen, laquelle s’adonne avec passion à la vodka (ça ne laisse pas de traces dans l’haleine) et à de quotidiennes séances chez le coiffeur. JR truande à qui mieux mieux ses adversaires et ne recule devant aucune bassesse pour accroître une réussite qui fera plaisir au patriarche Jock, celui-là même qui a fait mordre la poussière au père de Pamela. Bobby, le fils prodigue qui a un peu plus de mal avec les contrats, fait figure de gentil à bonne conscience et n’aura jamais la même ambition, sauf celle hors champ d’entamer une carrière sur grand écran. Sitôt dit sitôt fait, le personnage est proprement assassiné. Las, au bout d’un an d’échecs, tous les chemins ramènent à Southfork. Les scénaristes commettent alors l'une des plus grandes quignolades qui soient en le faisant littéralement renaître au début de la célèbre "Dream Season". La conclusion, aussi irrationnelle soit-elle, étant qu’un personnage avait juste rêvé toute l’action de l’année précédente. Pour compléter le tableau de famille, Lucy-qui-descend-toujours-l’escalier-pour-répondre-au-téléphone est une pauvre délurée sans cervelle juste là pour amuser Miss Ellie, la bonne grand-mère qui, afin d’oublier les exactions et trahisons de son chien de J.R., passe son temps à repiquer des géraniums et faire des confitures.

DALLAS: TON UNIVERS IMPÉRISSABLE

A l’échelle historique, Dallas est avant tout une performance. En terme de longévité d’abord: treize années d’existence, certes moins que des épopées comme General Hospital (plus de dix mille épisodes au compteur), mais beaucoup plus au niveau du foisonnement narratif: les enfants illégitimes, testaments cachés, maîtresses ou amants de retour, adultères, trahisons, meurtres sont légion et créent tout au long des années 80 une authentique mythologie avec ces héros. L’anthropologue Florence Dupont suggère d’ailleurs que Dallas ne fut autre que L’Iliade et L’Odyssée modernes (Homère et Dallas. Introduction à une critique anthropologique, Hachette, 1991), la parole de l’aède qui déclame Homère jour après jour sur la place publique étant semblable à la réception de l’œuvre télévisuelle par les fans de la série. Le couple Sue Ellen / J.R. force davantage la comparaison, l’une faisant figure de Pénélope perpétuellement dans l’attente d’un éventuel retour de Monsieur au bercail, tandis que l’autre fieffé en Stetson se laisse charmer par toutes les sirènes, qu’elles soient charnelles ou pécuniaires. Ces figures ont aisément imprimé l’imaginaire collectif au point de devenir culturelles, comme des reflets ringards de ce que furent les années 80 et par extension, de l’ère de l’oseille tout puissant, seul Dieu ici sincèrement vénéré, des Yuppies de Manhattan jusqu’aux garçons vachers du Texas. Mais J.R. a beau aujourd’hui avoir les pires ennuis de santé de la terre, Sue Ellen être une authentique ex de la bouteille, et Lucy une sorte de télévangéliste qui gribouille des ragots de stars dans les tabloïds US, le temps ne peut rien contre les mythes.

Article mis en ligne le 16 février 2005

par Grégory Bringand-Dedrumel

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