Broken Flowers, la bande originale: rose pour les filles, blues pour les garçons

Dans Broken Flowers, Don Johnston (Bill Murray) voyage seul, toute la tristesse du monde dans les souliers. Derrière le volant, la route promet d’être longue. Pour dissiper la grisaille et soulager les bras ankylosés, son bienfaiteur (Jeffrey Wright) a trouvé la parade: une compilation trèfle à quatre feuilles, plus efficace qu’un sapin à la vanille. Don a un nouveau compagnon de fortune, le jazzman éthiopien Mulatu Astatke "bon pour les artères", et quelques invités triés sur le volet par le toujours très raffiné Jim Jarmusch. Don Juan rencontre Marvin Gaye, et les demoiselles ont droit à leur dédicace affectueuse, signée Holly Golightly.
COURRIER DU COEUR
Première chanson et premier billet doux à destination d’un bourreau des cœurs. Le générique de Broken Flowers annonce d’entrée la couleur. Enveloppe rose. Avalée, triée, reclassée et finalement jetée sur le palier du séducteur en jogging. "There’s an end" souffle Holly Golightly, la voix tendre et nasillarde. Jim Jarmusch n’a pas choisi la chanteuse originaire de Londres par hasard. Entendue dans un ravissant duo (ou plutôt trio) chez les White Stripes (It’s True that We Love One Another, tiré de l’excellent Elephant), Holly y torturait amicalement Jack White, son "petit frère". Ce même petit frère n’a pas manqué d’annoter le livret de son album Truly She Is None Other et de l’emmener avec lui en tournée. Jack et Meg White ont depuis joué dans un sketch de Coffee and Cigarettes sous la direction de Jarmusch. La boucle est bouclée. Nature et résolument discrète, Holly Golightly traîne ses confidences rocailleuses, ses guêtres blues, folk et garage depuis quinze ans et presque autant de disques. C’est un girl’s band remuant, Thee Headcoatees, patronné par le chanteur-compositeur-peintre-romancier-poète Billy Childish, qui lui sert de formation accélérée. Holly Golightly aime les reprises de Nancy Sinatra, Ike Turner, les bals sixties, et à en croire son (vrai) patronyme, elle a hérité de la grâce diablotine d’Audrey Hepburn. Imaginée par Truman Capote et réinventée au cinéma par Blake Edwards, Holly Golightly, héroïne de Diamants sur canapé, était l’un des plus célèbres rôles de l’actrice. Détachée de tout impératif commercial, Holly Golightly illustre ainsi le credo Jarmusch: sans concession (un autre album de la demoiselle s’intitule par malice Slowly But Surely). La deuxième oeillade adressée à la chanteuse, Tell Me Now So I Know, est l’autre atout charme de la bande originale de Broken Flowers.
ON THE ROAD AGAIN
Du vertueux Gabriel Fauré au terrifiant Sleep (un échantillon de Dopesmoker, ténébreux single de 65 minutes, illustre l’entrée en scène de la non moins terrifiante Penny / Tilda Swinton), Jim Jarmusch sait comment marier les notes discordantes. Marvin Gaye se lance dans sa légendaire séance d’hypnose érotique ("I Want You / But I Want You to Want Me Too / Listen Precious")… pendant que Don Johnston, mi-homme, mi-mollusque, englué dans son sofa, passe le plus clair de son temps à regarder les roses se faner. Jim Jarmusch ou l’art du contrepoint. Nulle coïncidence dans l'apparition d'une Lolita, la bouche en cœur, rhabillée par les Brian Jonestown Massacre; Not If You Were the Last Dandy on Earth était déjà un pastiche d’une chanson des Dandy Warhols. Mais la vraie curiosité de cette collection de standards vient d’Ethiopie. Yegelle Tezeta, Yekermo Sew, Gubelye: trois sinuosités pour mimer l’errance, les vagues à l’âme et améliorer la circulation sanguine. Mulatu Astatke apparaît comme le passager idéal et l’antithèse parfaite de l’impassible Don Johnston. Père de l’afro-jazz, formé à Londres, New York et Boston dans les années 60, l’homme fait partager ses influences latines, rock, pop, soul, reggae et son tempérament touche-à-tout (animateur de radio, DJ, compositeur, arrangeur ou enseignant). The Either/Orchestra, la formation jazz de Boston, s’inspirera de l’œuvre de Mulatu pour tenter de nouvelles collisions rythmiques et métissées. Le Live in Addis (2004) de la série Ethiopiques est resté un bel hommage. Don tourne en rond, mais la musique de Jarmusch, chaleureuse et éclectique, invite toujours à voir ailleurs.
En savoir plus
TRACKLISTING: 01. The Greenhornes & Holly Golightly – There Is an End 02. Mulatu Astatke – Yegelle Tezeta 03. The Tennors – Ride Your Donkey 04. Marvin Gaye – I Want You 05. Mulatu Astatke – Yekermo Sew 06. The Brian Jonestown Massacre – Not If You Were the Last Dandy on Earth 07. Holly Golightly – Tell Me Now So I Know 08. Mulatu Astatke - Gubelye 09. Sleep – Dopesmoker 10. Gabriel Fauré – Requiem, Op. 48 (Pie Jesu) 11. Dengue Fever – Ethanopium 12. The Greenhornes – Unnatural Habitat