Sans même avoir vu un seul film de la saga, il était possible de jouer à James Bond dans la cour de récréation en pliant un bras à la verticale, mimant un pistolet avec sa main, et en coinçant l’autre bras sous le premier, avant de pointer son arme sur quelqu’un. Bond est un mythe et sa légende est porté par nombres de traditions. Dans son cas, s’il ne devait en rester qu’une, ce serait les gadgets. Qui, étant enfant, n'a jamais fait semblant de parler dans sa montre? Qui n’a jamais rêvé de construire quelque mécanique rusée? Après tout, pourquoi achetait-on Pif Gadget?

BOYS WITH TOYS

Récurrence thématique de la franchise, le gadget est cependant apparu graduellement au cours des premiers épisodes. Dans le tout premier film, James Bond contre Dr. No, il n'y a tout simplement aucun gadget, juste l'introduction d'un autre fidèle compagnon de l'agent, son revolver Walther PPK 7,65mm. Cette arme lui est d'ailleurs confiée dans le film par un certain Major Boothroyd. C'est ce même personnage que Desmond Llewelyn incarnera pour la première fois dans le film suivant, Bons Baisers de Russie, pour ne l'abandonner qu'à sa mort, après avoir participé à dix-sept des vingt aventures de 007. Par la suite, Boothroyd sera rebaptisé Q d’après le département consacré aux gadgets qu’il dirige et que l’on découvre dans Goldfinger. Et très vite, les gadgets ne sont plus des babioles individuelles mais des options accompagnant chaque véhicule employé par Bond; dès ce troisième opus, on découvre ainsi une Aston Martin bourrée de suppléments bien utiles. Suivront l'inoubliable Lotus amphibie de L'Espion qui m'aimait ou encore la BMW aux pneus automatiquement regonflables, télécommandée à partir d'un téléphone cellulaire. Les premiers accessoires sont aujourd'hui entrés dans la vie courante (beeper, téléphone de voiture) ou alors font partie de la mythologie du cinéma d'action et d'espionnage (mini-caméras, pistolet-grappin), mais très vite, les gadgets de Bond se différencient de la majorité des films du genre pour parfois carrément pénétrer le registre de la science-fiction (pistolet-laser, voiture invisible). C’est ce genre d’écart qui, lorsque la franchise cède à la surenchère, tend à devenir indigeste auprès de nombreux spectateurs, même les plus fans. Les gadgets, au même titre que d’autres caractéristiques de la saga comme les pointes d’humour et les scènes d’action démesurées, témoignent par leur présence de la direction choisie par les producteurs à cette époque spécifique.

GROW UP, 007

Dans Casino Royale, la saga effectue un retour aux sources en plus de relancer la franchise depuis le début, et non seulement Q n’est pas de la partie (déjà absent du roman) mais il n’y a pour ainsi dire aucun véritable gadget qui n’existe pas dans le monde réel. En ne pourvoyant à l’agent qu’un équipement de fonction, sur lequel on n’attire d’ailleurs pas l’attention au préalable, le film évite de faire appel à l’habituel saut de foi demandé au public, trop conscient que chaque nouveau gadget confié à Bond au début du film servira inévitablement plus tard dans l’histoire. On esquive également le trop-plein de placements de produits, là aussi devenu trop systématique, mais demeure une certaine vitrine de produits de luxe (voitures et champagnes de marque). La seule question qui subsiste est de savoir si cette approche cèdera au poids des traditions. Verra-t-on, peu à peu, de plus en plus de gadgets pour ce nouveau Bond? Une nouvelle montre Omega à ranger aux côtés de ses talentueuses grandes sœurs (compteur Geiger, émetteur / receveur de télégramme, lance-python, détonateur de bombes, laser)? Un nouveau moyen de transport dans le même garage où se trouvent le jetpack d’Opération Tonnerre ou l'U.L.M. Little Nellie d'On ne vit que deux fois? Et surtout, un nouveau Q viendra-t-il succéder au précédent ou peut-être John Cleese prendra une fois de plus la relève comme dans Le Monde ne suffit pas et Meurs un autre jour? Parce que l’on ne se lassera jamais de voir un Bond espiègle comme un petit écolier devant chaque nouvelle trouvaille du laboratoire des services secrets.

Robert Hospyan