C'est ce chemin que suivront les deux nouveaux arrivants des années 80, Frank Miller et Alan Moore. Le premier, auteur et dessinateur, se voit tout d'abord confier une franchise sur le déclin qu'il transformera en succès, en faisant de Daredevil le croisement entre Spider-Man et Batman. Aussi moderne que l'un et aussi tourmenté que l'autre, ce personnage revisité offre au genre l'un de ses plus célèbres arcs scénaristiques (aujourd'hui souillé par Hollywood et Mark Steven Johnson), aux relents de tragédie grecque et shakespearienne, dont le duo Daredevil/Elektra et les
 
méchants Caïd et Tireur sont les acteurs. Il s'attaque ensuite à un défi de taille avec le roman graphique Batman: Dark Knight. Terme plus ou moins inventé par les journaux trop "prestigieux" pour désigner un comic book comme tel, le "roman graphique" est généralement l'appellation faisant référence à un ouvrage isolé, qui ne se situe pas dans la continuité hebdomadaire et épisodique d'une série, et qui est plus adulte, plus mature que le cliché habituel selon lequel la bande dessinée n'est destinée qu'aux enfants. Avec un Bruce Wayne bien plus âgé, Miller propose une profonde introspection du personnage, faisant de lui plus qu'une simple tête d'affiche. Plus crédible, plus réaliste, plus profond, plus noir, comme le confirmeront ses futures œuvres (Sin City étant la plus représentative de toutes), Frank Miller prolonge la méthode Lee plus loin. Alan Moore fera de même. Avant de s'attaquer à son tour à la chauve-souris dans Batman: The Killing Joke (qui, avec le travail de Miller, servira de principale influence pour les films de Burton),
 
l'auteur donne vie au chef d'œuvre Watchmen - Les Gardiens. Dans un présent (1986) alternatif où Nixon est encore président des Etats-Unis, nous vivons des temps médiocres et, devant l'apathie, des citoyens, de simples gens, ont choisi de vêtir des costumes et, à défaut de pouvoir faire régner la justice comme les modèles utopiques dont ils s'inspirent, ils tentent d'agir. Prenant un contexte réaliste et pessimiste, avec un soupçon d'anticipation, Moore transcende l'icône du justicier tel qu'on l'avait connu et accouche d'un pavé dense et complexe où cohabitent influences artistiques de toutes formes et discours abordant chaque aspect de notre monde. Inadaptable et inestimable, cette véritable Bible est à ce jour le monument du comic book le plus enclin à figurer aux côtés d'œuvres d'art tels que La Joconde ou Citizen Kane. Malheureu-sement, l'ouvrage ne passera probablement jamais à cette postérité, à cause d'un statut encore mésestimé.



Bien que le comic book ait eu quelques succès en son temps au cinéma, avec les premiers Superman et Batman notamment, la véritable révolution du genre au cinéma est assez récente. Après s'être vu refusé l'adaptation de The Shadow (qui échouera dans les mains maladroites de Russell Mulcahy en 1994), Sam Raimi crée son propre héros de bande dessinée, Darkman (1990), et prouve qu'il sait comment appréhender le genre, ce qu'il confirmera avec Spider-Man (2002). Néanmoins, le film n'aurait pas vu le jour sans le succès de deux films à plus petit profil: tout d'abord, Blade (1998), adaptation musclée d'un titre méconnu, et surtout X-Men (2000), qui démontre qu'on peut transcrire un comic book et en faire un film intelligent et personnel. La vague est lancée, mais outre les simples transpositions littérales de comics à l'écran, l'influence du support va se propager de façon pertinente au sein de films originaux. Lorsque
 
Matrix sort en 1999, personne ne sait qui sont vraiment les frères Wachowski et de quoi parle leur deuxième long métrage. S'appropriant l'imagerie des illustrés ainsi que ses principaux thèmes, au croisement de bien d'autres inspirations, le film capture un esprit propre à cette sous-culture, à l'instar d'Incassable, qui suit la lignée de Stan Lee et ses héros à problèmes quotidiens, ou d'Alan Moore et ses justiciers de tous les jours. Une sous-culture à laquelle la nouvelle génération fait constamment référence, comme Kevin Smith, fan avide de comics qui met en scène des auteurs de bande dessinée (Méprise multiple, 1997) et Stan Lee en guest-star mentor d'un personnage (Mallrats, 1995). Sans oublier les auteurs tels que Raimi, Guillermo Del Toro (avec Blade II et bientôt Hellboy), Ang Lee (avec Hulk) et Christopher Nolan (bientôt avec Batman) qui viennent s'intéresser à cette même forme d'art. Les principaux films cités sont aujourd'hui les
 

premières pierres de franchises à venir, où la mythologie perdurera sous l'œil de cinéastes impliqués, afin d'éviter les épisodes ratés comme Batman & Robin ou bien Spawn. D'ailleurs, la suite de Spider-Man a été écrite par Michael Chabon, donc ni plus ni moins qu'un des nombreux artisans de cette renaissance, au même titre que les auteurs, dessinateurs et réalisateurs mentionnés, qui ont tous permis de revoir à la hausse la valeur du comic book et de le faire entrer dans un nouvel Âge d'or.