Batman aborde une phase décisive de sa guerre contre le crime. Avec l’aide du lieutenant de police Jim Gordon et du procureur Harvey Dent, il entreprend de démanteler les dernières organisations criminelles qui infestent les rues de sa ville. L’association s’avère efficace mais le trio se heurte bientôt à un nouveau génie du crime qui répand la terreur et le chaos dans Gotham: le Joker.




Il y a trois ans, Batman Begins débarquait sur les écrans en envoyant dans les dents du spectateur un film de super-héros adulte, ob- scur et à l’exact opposé de tout ce qui avait été fait dans le genre. Avec The Dark Knight, le réalisateur Christopher Nolan continue non seulement son appro-
 
che réaliste de l’histoire et du personnage, mais nous gra- tifie surtout d’un film encore plus beau et définitif que son prédécesseur, une sorte de point d’orgue de son cinéma sombre et tortueux, fait de parcours tout sauf linéaires (et jouant en permanence sur les faux semblants), et fait revêtir au caped crusader de Gotham son habit le plus sombre: celui de vigilante en guerre contre le crime orga- nisé. Dépassant l’icône cultu- relle qui va de pair avec l’homme chauve-souris, Nolan décide donc de tirer le second opus de sa future trilogie vers un cinéma noir, épique, à la richesse thématique fascinan- te et profondément marquée du sceau du polar, avec des codes qui prennent leurs sou- ces dans les pages les plus
 
sombres du comic book (The Long Halloween de Loeb et Sale, Arkham Asylum de Morrison et McKean, Souriez de Moore et Bolland ou encore Year One de Miller et Mazzuchel- li) ainsi que dans un certain cinéma urbain et réaliste des 70’s: celui de William Friedkin ou de John Fran- kenheimer, que ne renie- raient pas non plus James Gray et encore moins Michael Mann. D’ailleurs, du cinéaste de Chicago, Nolan partage la même passion pour les personnages pro- fonds ancrés dans des dé- cors suintant l’histoire de la rue, les senteurs d’une ville, c'est-à-dire ce qui compose l’histoire des habitants et de leur cité.



Si Nolan magnifie encore plus son univers qu’a l’ac- coutumée, c’est qu’il a trou- vé en Gotham et en ses légendes l’univers prompt à l’expansion du super hero movie et à la liaison avec le polar citadin prêt à subir une certaine notion du cha- os et de la folie. Et le réa- lisateur de Memento, In- somnia et Le Prestige de citer le metteur en scène de Collateral, Le Solitaire et Révélations comme influ- ence majeure de son Dark Knight: "Pour donner une indi- cation du sentiment que nous recherchions, je dirais que notre influence première reste l’œuvre de Michael Mann, com- me Heat par exemple. Si la ville doit être menacée dans le film, il faut que le spectateur
 
puisse ressentir la vie qui l’ani- me, tout comme son atmosphè- re urbaine. C’est pour cela que nous nous concentrons sur des intrigues concernant les hommes politiques de la cité, ainsi que ses figures médiatiques". Ainsi, la thématique principale vient s’ancrer dans une réalité pal- pable que côtoie un univers hard boiled où le costume du vengeur masqué devient sy- nonyme moderne du flingue et de la gabardine du plus in- corruptible des détectives et où les maquillages et costu- mes du Joker semblent juste là pour coller au personnage du comic book et identifier/ symboliser ce nouveau réfé- rent du terrorisme. Car oui, dans The Dark Knight, pas question que l’homme chau- ve-souris affronte un super
 

vilain fantasque et grimé comme un clown. Il traque plutôt le leader d’une orga- nisation criminelle, un nou- veau chef de cartel qui ne cherche qu’à désorganiser le crime sous sa coupe, faire main basse sur la ville et rétablir le trouble qui lui est du.



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Ce nouveau Joker est donc l’exact opposé de ceux composés par Jack Nicho- lson il y a 20 ans et par Cesar Romero dans la série télé des 60’s. Complète- ment amoral, guidé par une folie destructrice et anarchi- que, s’amusant à trimballer Batman et la police de Got- ham à travers toute la ville, qu’il tient en otage autant que les différents chefs de gang encore en position
 
dans la ville, le plus grand némésis du justicier ailé de- vient cette chose sinistre, per- verse et tordue, presque ab- straite, le grand démiurge du film, celui qui dicte les règles du jeu - et par la même oc- casion l’arc scénaristique du film - et dont l’imperturbable sérieux frôle l’interprétation de génie. Le désormais im- mortel Heath Ledger est totalement habité par le rôle, rendant le personnage plus fascinant que jamais. Car dans cette vision si singulière de la faune de Gotham City, cette nouvelle figure du crime devient la suite malheureuse mais logique de la croisade de Batman, une opération partant d’une action positive mais entraînant une multitude d’effets négatifs puisqu’en voulant débarrasser la ville de la racaille, certains autres cri- minels ne craignant pas le vi- gilante décident de s’y faire
 
une place dorée. Le Joker oblige donc Bruce Wayne à s’interroger sur les consé- quences de ses actions pu- nitives et, par résonance, sur sa vie privée ou la pos- sibilité d’en avoir une (sa relation avec son éternelle bien-aimée Rachel en pâtira de plus en plus, jusqu'à une rupture inavouable). Son sacrifice, moral et physique, en vaut-il alors la chandel- le? Héros pour certains ou étincelle qui risque de met- tre le feu au baril de poudre Gotham pour les autres, Batman évolue donc au mi- lieu d’une controverse, celui du choix menant vers la vertu ou la survie, vers la justice ou l’égoïsme et sur- tout, celui de savoir si l’es- poir de sortir de l’anarchie est encore possible.
 
Cette problématique devra être résolue par le triumvirat de la justice et de l’ordre, une justice à trois faces et en trois temps nommée Batman, Gordon et le nou- veau venu Harvey Dent. Si la relation entre le lieute- nant Gordon et Batman n’est plus à raconter, la fin de Batman Begins en disant suffisamment sur les rap- ports à venir entre les deux hommes, l’arrivée du procu- reur Dent amène ce vent de confiance dont la population a besoin (ainsi que le pu- blic, pour comprendre la tournure tragique de l’his- toire). Nouveau véritable héros de la ville, et peut- être plus grand personnage du film, ce chevalier blanc qui avance à visage décou- vert termine de définir le trio indéfectible de la justice
 
et annonce clairement l’un des enjeux du film: jusqu’où peut-on aller pour faire régner l’ordre? Car si Dent approuve les méthodes de Batman, ce dernier reste une sorte d’anti- héros qu’il ne peut appuyer publiquement. Naît ainsi un rapport difficile mais sincère entre les deux hommes, que le destin tragique du futur Double-Face scellera sous de moins bons augures. Et c’est là que se dessine le dernier arc du film. Appuyer sans ces- se la dualité qui habite cha- cune de ces figures embléma- tiques qui règnent sur la ville, tout en liant étroitement leurs liens. L’un peut-il exister sans l’autre? L’un peut-il remplacer l’autre? L’un peut-il devenir l’autre? Un sac de nœuds dés- espéré, sur le ton du choix, de l’honnêteté et du sacrifice anime donc ce Dark Knight.
 

Entre les relations humai- nes, les volontés de prise de pouvoir et l’urgence qui découle de la criminalité, Nolan finit de tisser la toile de sa gigantesque saga, fait tomber certains mas- ques pour en révéler d’au- tres et tient en haleine le spectateur.



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The Dark Knight joue donc dans la cour des grands. En abandonnant les quelques idées "fantastiques" qui ja- lonnaient le premier film (fini la batcave, fini le con- trôle des chauves-souris,
 
fini les gaz hallucinogènes, etc.), Christopher Nolan termi- ne d’ancrer son film dans une réalité dure et sombre, et dans une fresque encore en devenir qui pourrait rappeler par certains aspects la trilogie du Parrain, où les apparences cachent forcément plus qu'el- les ne montrent et où l'enjeu dramatique de chaque desti- née mène l’univers vers un enfer certain. Les personna- ges possèdent une complexi- té que peu de gens pourront anticiper et que le troisième et futur opus devra dénouer dans une quintessence thé- matique afin d’établir cette nouvelle franchise comme la plus forte / belle / honnête /
 
attrayante des films de super-héros, où l’interpréta- tion du matériau d’origine est sublimée et où le spec- tateur est flatté avec un respect des plus louables. Christopher Nolan nous offre un quasi chef-d’œuvre et tout simplement le meilleur blockbuster depuis…Batman Begins qu’il sera dur, pour ne pas dire impossible, de détrôner et qui risque forte- ment de marquer l’histoire du cinéma comme étant la seule, unique et définitive véritable adaptation de l’homme chauve-souris.