Aveuglé par un produit radioactif lorsqu'il était enfant, Matt Murdock a vu ses autres sens incroyablement développés, jusqu'à devenir des super-pouvoirs lui permettant de se repérer via une sorte de "radar". Suite au meurtre de son père, il est devenu avocat pour faire régner la justice, mais lorsqu'il se métamorphose en Daredevil la nuit, la justice est aveugle.




Parmi les nombreuses idées reçues circulant sur les comic books, on entend souvent qu'il s'agit généralement des "aventures de personnages en
 
collants colorés pour les enfants". La bande dessinée Daredevil, marquée par le sceau de Frank Miller (scénariste capital du genre), se trouve justement à l'exact opposé d'une telle définition. Un univers urbain presque constamment nocturne, symbolisant la corruption qui l'habite, est le territoire de ce justicier trouble, personnage torturé aux mêmes problèmes qu'un Spider-Man, sans l'innocence de l'adolescence. Autrement dit, l'œuvre aborde un point de vue plus mature que beaucoup d'autres publi- cations du même courant.
 
Son adaptation à l'écran s'en retrouvait peut-être d'autant plus difficile et force est de constater que Mark Steven Johnson, un débutant autoproclamé énorme fan de la bande-dessinée, échoue complètement dans l'accomplissement de cette tâche. Ironiquement, les péripéties cinémato- graphiques de celui qu'on appelle "l'homme sans peur" confirment toutes les craintes que l'on pouvait avoir. Le film est raté sur tous les plans et le résultat final est un véritable gâchis.



Le premier obstacle que devait affronter le jeune réalisateur était évidemment de compacter plus de trente ans d'aventures en un film de deux heures. En connaisseur, il s'est tout d'abord orienté vers la période la plus repré- sentative de l'âge d'or de Marvel, celle de Miller. On y retrouve l'arc scénaristique le plus célèbre de la série, comprenant les person- nages d'Elektra, du Caïd (Kingpin) et du Tireur (Bullseye). Cependant, il fallait également présenter le passé du héros. Le film devient alors ce qu'on appelle communément une "origin story" qui montre l'évolution d’un personnage, depuis l'acquisition de ses pouvoirs jusqu'à sa transformation en super-héros, avant d'y greffer une intrigue (et une dulcinée, et un adver- saire...). A nouveau, Johnson s'inspire du travail de Miller, notamment son roman graphique, L'Homme sans Peur. En tant que
 
scénariste, il dispose donc de ce qui s'est fait de mieux sur ce titre et il lui suffit tout juste de retranscrire fidèlement ces histoires. Il n'y parvient jamais. Les séquences s'enchaînent sans le moindre élément liant. De plus, l'auteur s'éloigne de sa source. Le background original qui voyait Matt Murdock enfant se faire entraîner par un aveugle dénommé Stick afin de pouvoir employer ses capacités à bon escient et ultérieurement venger son père est sévèrement tronqué. Le personnage du mentor disparaît et seule une caractérisation simple fondée sur un banal traumatisme demeure. Cette vulgarisation est symbolique de la façon dont le scénario atténue la psychologie des personnages, allant jusqu'à trahir le support original. L'introspection de Murdock/Daredevil (avocat contraint de contourner la loi pour faire régner la justice) manque cruellement de profondeur, puisqu’elle consiste uniquement à montrer le héros perché sur les toits de New York, assis
 

dans un confessionnal, ou à dévoiler ses yeux vitreux. Le film propose également la transformation d'Elektra la guerrière en potiche lors de scènes d'amour ridicules (coucherie près du feu de cheminée incluse) qui occupent un quart d'heure du métrage. En ce qui concerne leurs rivaux, le Caïd n'est qu'une pâle figure qui aime se tenir de-bout dans son bureau et le Tireur, assassin aguerri et redoutable, est réduit à une caricature, présenté comme un habitué de bars louches.



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Il semble être de bon ton, depuis quelques années, de réaliser un film sombre et violent, comme s'il s'agis-sait là d'un gage de qualité ou de la garantie que l'œuvre n'a pas été atteinte par un quelconque facteur commercial. Pourtant, dès les premières images, l'esthétique gêne. Plongeant son film presque intégralement dans les ténèbres, le metteur en scène pense pouvoir comp-
 
enser l'absence de ce même caractère obscur au sein des personnages. Bien entendu, il n'en est rien. Johnson a beau affirmer être furieux des coupes imposées par la MPAA afin de rendre le film visible pour les moins de 17 ans, il a lui-même signé un vulgaire film pour adolescents. Plutôt que de suivre l'exemple intelligent de prédécesseurs comme X-Men ou Spider- Man, et se limiter à une partition originale de la part d’un compositeur, le "cinéaste" préfère truffer la bande son de morceaux de hard rock et de metal qui, sans être mauvais, n'ont absolu-ment pas leur place dans ce qui aurait dû être un film plus adulte. La mise en scène prouve, quant à elle, qu'il n'était pas assez mûr pour un tel projet. Les bonnes idées visuelles, très rares et régulièrement mal exploitées, comme certaines images directement transposées de la
 
planche de dessin à la pellicule, se noient littéralement dans un flot indigeste de plans grotesques et d'effets de style grossiers (les multiples plans en vision subjective). Les parties réservées à l'action et au combat ne rattrapent rien. Mal filmées et mal mon-tées, elles sont perpétuellement confuses. De plus, James Acheson, costumier autrefois inspiré (SpiderMan) a crée un uniforme de motard totalement inadéquat pour le vengeur si bien que le pauvre acteur se retrouve avec une tête en forme d'aubergine. Le problème aurait pu être résolu si seulement Johnson avait su comment filmer son héros… Cette esthétique lourde et maladroite est très probablement le coup de marteau ultime qui achève de crucifier Daredevil.



Daredevil indique la marche à ne pas suivre. On ne confie pas un si gros projet à un novice. On n'engage pas des stars jeunes plutôt que des acteurs confirmés. Dès lors, l'entreprise semblait inéluctablement vouée à l'échec. Ben Affleck prouve qu'il ne suffit pas d'avoir une mâchoire carrée pour incarner un super-héros. De bons acteurs comme Jennifer Garner et Michael Clarke Duncan tentent de nager pour ne pas couler, en vain. Seul Colin Farrell s'en sort légèrement. Son rôle poussif et sujet au second degré lui permet de cabotiner de façon assez amusante. Les seconds rô-
 
-les sont négligés à tel point qu'on ne peut que saluer la bonne volonté de Jon Favreau, Joe Pantoliano, David Keith et autres… Et comme Mark Steven Johnson n'est pas un directeur d'acteurs, il brille à nouveau par son incompétence. Il ne suffit pas, pour matérialiser fidèlement à l'écran les aventures de super-héros, de donner à des personnages secondaires les noms d'illustres dessinateurs et scénaristes de la bande-dessinée. Il aurait mieux valu que le cinéaste prenne exemple sur Bryan Singer et Sam Raimi. Néanmoins, une suite est prévue, probablement réalisée par le même coup-
 
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able. Les fans de comics à travers le monde peuvent commencer à pleurer car après Batman et Spawn c'est un nouveau terrain qu'on ne pourra plus fouler avant un moment, le temps d'oublier ces sinistres souvenirs.