Rainer Werner Fassbinder - Vol. 2

Rainer Werner Fassbinder - Vol. 2
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Rainer Werner Fassbinder - Vol. 2
Éditeur : Carlotta Films
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 2h07
Sortie : 18/04/2018
Note FilmDeCulte : ******

8 films majeurs de R.W. Fassbinder tournés entre 1974 et 1981 à (re)découvrir en version restaurée inédite : Effi Briest, Le Droit du plus fort, Roulette chinoise, L’Année des treize lunes, Le Mariage de Maria Braun, L’Allemagne en automne, Lola, Une femme allemande, Le Secret de Veronika Voss. Attardons nous sur ce qui nous semble être les quatre meilleurs films du coffret.

LE DROIT DU PLUS FORT

(Fausrecht der Freiheit – Allemagne – 1974)

Avec : Rainer Werner Fassbinder, Peter Chatel, Karl-Heinz Böhm, Rudolf Lenz, Karl Scheydt, Hans Zander, Kurt Raab

Reconnu comme l'un des chefs d’œuvres de Fassbinder, Le Droit du plus fort est encore aujourd’hui d’une force magistrale. Liant les relations amoureuses aux relations sociales, le film est un nouveau portrait au vitriol de la bourgeoisie allemande. A l’exception près qu’il s’agit ici de la haute bourgeoisie et le constat n’en est que plus amer. Riche, Fox n’est qu’un "parvenu" et les bourgeois qui l’acceptent ne le font que parce qu’il a de l’argent. Eugen, qui dit l’aimer, passe son temps à le diminuer, à le rabrouer. Alors les sentiments rejoignent les classes sociales et les classes sociales rattrapent les sentiments. Il devient difficile de dire si Eugen torture son amant parce qu’il a besoin de lui ou de son argent. Très vite, Fox devient touchant, à la fois maladroit et franc, il est amoureux et plonge dans la relation destructrice dont il ne peut se passer tout en rêvant rêve d’accéder au monde clinquant de la bourgeoisie. Et c’est Fassbinder lui-même qui interprète le rôle de Fox, avec son physique bourru et sa roublardise. Il dit avoir fait ce choix parce que le rôle l’intéressait mais aussi parce que, si lui l’interprétait, les critiques ne s’arrêteraient pas à la simple relation homosexuelle et ainsi ne passeraient pas à côté de l’aspect social du film. Drôle de raison quand on voit le résultat: une critique sans appel de l’inhumanité des rapports sociaux et même d’une certaine déshumanisation de la haute bourgeoisie.

LE MARIAGE DE MARIA BRAUN

(Allemagne, 1979)

Avec Hanna Schygulla, Klaus Löwitsch, Ivan Desny

Trente-troisième film du stakhanoviste teuton, Le Mariage de Maria Braun est aussi son premier vrai succès public. Nous sommes à la fin des années 1970 et Fassbinder n’a plus que onze films à livrer. Comme conscient de la brièveté de son passage sur les terres du cinéma, Fassbinder charge son métrage jusqu’à la gueule d’une densité dramatique et visuelle, et tire un bilan complexe et anxieux de l’Allemagne de 1943 à 1954. "Lorsque l’on voudra apprendre quelque chose sur le vingtième siècle en Allemagne, sur son histoire, sa société, entre 1945 et aujourd’hui, on regardera les films de Fassbinder, cela me paraît une évidence. [.] Pour moi, Rainer a été un historien de l’Allemagne du vingtième siècle", déclarait aux Cahiers du cinéma, en juin 1993, la dernière compagne de Fassbinder, la monteuse Juliane Lorenz. Hommage fiévreux au mélodrame hollywoodien et, spécifiquement, à Douglas Sirk, Le Mariage de Maria Braun le confirme: oscillant entre frontalité picturale (le portrait d’Hitler volant en éclat dès le premier plan) et symbolisme politique (l’épouse allemande délaissée, se dévoyant d’abord en entraîneuse de cabaret pour G.I.’s, puis trouvant refuge dans les bras de l’un d’eux, qui la met en cloque), Fassbinder affronte l’Histoire de l’Allemagne de face.

LOLA, UNE FEMME ALLEMANDE

(Allemagne, 1981)

Avec Mario Adorf, Barbara Sukowa, Armin Mueller-Stahl

Dans le prolongement du Mariage de Maria Braun, Fassbinder continue de disséquer avec une loupe grossissante l'Allemagne des années 1950: "Les années cinquante m’ont toujours passionné. À cette époque, la grande affaire, c’était la reconstruction". En cinéaste social, Fassbinder fait de ce mouvement de reconstruction le moteur psychologique de ses personnages. Lola, femme en ruines se rebâtissant tant bien que mal à coups de biftons et d’alcool, se prostitue à la Villa Fink. Elle y croisera l’urbaniste Bohm et l’entrepreneur Schukert, deux requins de l’urbanisme, se disputant chantiers, argent et femmes, au mépris de la morale. Ancré cependant dans son époque, Fassbinder livre une copie résolument eighties, au cadre tiré à quatre épingles, mais à la photo grignotée par des éclairages aux néons rouges, verts, bleus, toujours plus criards. Plasticien du vulgaire, le cinéaste ne passe toutefois pas outre la tentation du kitsch, et force est de constater que vingt-quatre ans auront suffi à vieillir l’image plus que de raison. Aujourd’hui un peu désuet, sinon suranné, Lola, une femme allemande a perdu de son charme vénéneux.

LE SECRET DE VERONIKA VOSS

(Allemagne, 1981)

Avec Rosel Zech, Hilmar Thate, Cornelia Frobaess

Sans doute le plus beau film du coffret, Le Secret de Veronika Voss s'impose par sa subtilité. Bilan de la trilogie, plus posé, moins lourd à digérer, résolument plus doux, cette mise en abyme de la surexposition cinématographique n'a pas pris une ride. Servie par un beau noir et blanc onirique et apaisant, la mise en scène se laisse ici lire et apprivoiser, dévoilant ses charmes contrastés, ses aspirations expressionnistes, jouant des caches naturels du décor, équilibrant tel le pinceau du peintre sur la toile les zones claires et les zones sombres. Fassbinder ne perd pas de vue ses explorations politiques, poussant le champ réflexif à l'art et à ses faiblesses collaborationnistes (Rosel Zech y incarne une actrice célèbre sous Goebbels et déchue depuis, en vaine quête de reconnaissance et de lumière). Plus artificiel et pourtant, paradoxalement, plus ancré dans la réalité, Le Secret de Veronika Voss, qui, dans son dernier tiers, bascule dans une sorte de bizarrerie fantastique immaculée de blanc, hantée par une sublime scène de chant (le beau Memories are Made of This de Dean Martin, susurré sur un mode languissant par une Rosel Zech en état de grâce), continue donc de fasciner et d’envoûter.

par Anthony Sitruk

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