Berlinale 2017 : notre bilan !

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On ne s'en rend pas forcément compte de l'extérieur, mais si la Berlinale est si excitante, c'est parce qu'il s'agit d'un festival véritablement gigantesque avec pas moins de 14 sections parallèles à la compétition, un total d'environ deux cent longs métrages de tous genres, une trentaine de lieux de projections, une pléthore de conférences, des rencontres permanentes entre le public et les professionnels. La Berlinale est un marathon mais surtout un vrai festin pour le cinéphile... à condition que celui-ci fasse preuve de curiosité. Présente du premier au dernier jour, et avec une cinquantaine de vus parmi les différentes sections du festivals, la rédaction de FilmdeCulte vous présente son bilan de cette Berlinale 2017.

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FEMMES FANTASTIQUES

Parmi les 193 nouveaux longs métrages présentés cette année, 61 étaient réalisés ou co-réalisés par une femme. Soit presque un tiers. Un maximum inenvisageable dans d'autres festivals, mais une proportion récurrente à la Berlinale. Des femmes cinéastes présentes dans tous les genres (de la SF au porno alternatif) et toutes les sections, prouvant au passage si besoin que le cinéma de femmes ne se résume pas à parler des petites choses de la vie ou filmer des enfants, comme le veulent les clichés condescendants. Des femmes cinéastes présentes surtout dans tous les palmarès, du prix du meilleur premiers film (le catalan Estiu 1993) aux Teddy Awards (le doc taïwanais (Small Talk), en passant bien sûr par l'Ours d'or. Dans l'interview qu'il nous avait accordé juste avant le festival, le sélectionneur du festival Dieter Kosslick nous parlait du thème récurrent de la chute des utopies, expliquant: "Les réalisateurs (retenus cette année, ndlr) traitent de problèmes actuels et se questionnent sur la manière dont on peut s'en sortir". Or, sur ce tableau-là, ce sont justement les femmes qui ont fait les propositions les plus stimulantes.

Ces cinéastes-là ne se sont pas contentées de dresser un portrait du monde actuel, mais d'en chercher une porte de sortie, avec imagination. Leurs rêves d'échappatoires étaient parfois ludiques (femme politique rêvant de donner un joyeux coup de pied dans la fourmilière dans The Party, femme-marraine qui rêve de d'offrir Laverne Cox et Bette Midler comme bonnes fées à tous les jeunes garçons dans Freak Show, ou femme futuriste rêvant d'hommes en cage devenus esclaves sexuels consentants dans FluidØ), parfois inquiétants (cauchemar en apesanteur d'une famille qui implose de façon quasi fantastique dans Colo), et parfois les deux (femme-sorcière rêvant d’une nature qui se venge des hommes qui l'agressent dans Pokot, femme-déesse rêvant de perdre dans la brume les hommes qui cherchent à la capturer dans Honeygiver Among the Dogs). Des songes toujours en prise avec le monde contemporain, mais à chaque fois imprégnés d'une vraie ambition cinématographique. Une démarche que résume parfaitement l'Ours d'or remis à la réalisatrice hongroise Ildikó Enyedi. On Body and Soul, se présente à première vue sous les traits d'une romance lunaire et décalée, mais la démarche de la cinéaste est loin d'être naïve. Sa mise en scène onirique va de pair avec un questionnement politique fort : on parle quand même de deux personnages qui rêvent qu'ils sont des animaux libres, alors même qu'ils travaillent littéralement dans un abattoir. Sans avoir besoin d'être surlignée, la métaphore n'est pas anodine.

On a trop souvent tendance à réduire la Berlinale au contenu politique des films qui y sont présentés. Soit dit au passage, il est ironique de reprocher ainsi au festival un éventuel manque d'imagination, quand on sait qu'il est le seul parmi ceux de cette envergure à posséder une section entière dédiée à l'art vidéo (Forum Expended), et qu'il invite chaque année des plasticiens et curateurs dans ses différents jurys. Ce raccourci témoigne surtout d'une vision étriquée de ce que peut être le cinéma politique. Une vision à laquelle la Berlinale tord justement le cou. Faire de la politique ce n'est pas seulement parler de ce qui se passe au journal de 20h, et faire un film politique ne se résume pas à prendre des gros sabots didactiques. En passant par des métaphores puissantes et une vraie audace esthétique, des films comme On Body and Soul, Colo ou Pokot nous ont paru plus contemporains, percutants et politiques que, par exemple, la dernière Palme d'or de Ken Loach. Si personnellement, nous regrettons un peu l'absence de prix pour deux de nos favoris, la Portugaise Teresa Villaverde et le Japonais Sabu (avec le très étonnant Mr Long), nous applaudissons néanmoins le très bon palmarès élaboré par Paul Verhoeven et son jury. D'Alain Gomis (Félicité) et Sebastian Lelio (Una Mujer Fantastica) dont les films débordent avec aplomb des cases attendues du magnifique-portrait-de-femme, en passant par la verve toujours moderne d'Hong Sang-Soo et Kaurismaki - deux retours en force justement célébrés: on retient de ce palmarès l'alliance entre le rêve et la politique, entre le discours et l'imagination. Ce qui est la définition de l'Utopie, finalement.

La Berlinale est certes politique, mais elle l'est surtout par d'autres biais. Tout d'abord, en ne se contenant pas d'être un club de gentlemen où les réalisatrices ne seraient tolérées qu'en minorité. En parallèle de cela, les films centrés sur des personnages féminins y étaient cette année encore plus nombreux que les films-de-mecs. Le festival refuse également un autre status quo qui voudrait que la compétition soit une cour des grands, comparée aux autres sections: parmi les films concourant pour l'Ours d'or, il y avait cette année encore beaucoup de découvertes et de premiers films. Le grand nombre de longs métrages sélectionnés à Berlin permet aussi de mettre en valeur des pays aux filmographies quasi jamais diffusées chez nous (le Bouthan, la Macédoine, le Congo...). Mais ce n'est pas qu'une question de chiffre: à la Berlinale, l'ouverture d'esprit est plus grande. Elle fait partie de la ligne éditoriale forte de chaque section. Politique, la Berlinale l'est par son éclectisme et son ouverture, par la place laissée à tout le monde. Cela marche aussi avec les genres cinématographiques: rien que dans la compétition cette année, on trouvait du documentaire, du film romantique, de l'animation, et même plusieurs comédies. Le résultat est une mosaïque passionnante et actuelle.

Un festival pour tous, donc, où paradoxalement, le public donne l'impression d'être souvent plus curieux que certains journalistes étrangers (et même allemands), qui ne font qu’effleurer la surface de ce qui leur est offert. Ironiquement, ceux qui reprochent à la Berlinale son manque de fantaisie sont souvent ceux qui se contentent de voir une petite partie de la compétition et quelques avant-premières faussement événementielles, perpétuant malgré eux l'image désuète d'un festival de seconde zone, en manque de stars. Celles-ci étaient pourtant bien présentes (voir notre galerie photo), même si elles ne figuraient pas toujours dans le films les plus neufs de cette édition. Il fallait quand même le vouloir pour s'ennuyer: à la Berlinale, les surprises sont partout pour qui sait les chercher. Rien que dans les sections parallèles, nous avons pu voir cette année de sacrées découvertes: une comédie musicale rock sur le suicide chez les ados (Emo the Musical), un film de science-fiction sur le sperme par une réalisatrice taïwanaise de 67 ans (FluidØ), un film catastrophe qui est aussi à la fois une comédie loufoque et un film d'animation (My Entire School Sinking Into the Sea), un doc hilarant et troublant sur une mini-miss américaine sauvagement assassinée (Casting JonBenet), une splendeur chinoise à la lenteur radicale (Ghost in the Mountains), une monstrueuse parade à la fois cocasse et triste venue d'Espagne (Pieles), mais aussi des sexes en pagailles, au repos ou en action, et bien souvent en très gros plan (FluidØ encore, The Misandrists). Tout ça parfois dans la même journée. On en veut encore! Vite, la prochaine édition!

Berlinale: notre dossier

par Gregory Coutaut

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