Certains l’aiment chaud

Certains l’aiment chaud
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Certains l’aiment chaud
Some Like It Hot
États-Unis, 1959
De Billy Wilder
Scénario : Billy Wilder
Avec : Joe E. Brown, Tony Curtis, Jack Lemmon, Marilyn Monroe, Pat O'Brien, George Raft
Photo : Charles Lang
Musique : Adolph Deutsch
Durée : 2h00
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Chicago, 1929. Joe et Jerry sont respectivement saxo tenor et contrebassiste sans le sou, jouant dans des bars clandestins. Le soir de la Saint-Valentin, alors qu’ils se rendent à un bal dans la banlieue de Chicago, les deux hommes assistent à un règlement de compte entre mafieux. Pour échapper aux gangsters, ils décident de s’engager dans le "Sweet Sue’s Society Syncopaters", un orchestre féminin en partance pour la Floride, dont la chanteuse est la ravissante Sugar Kane.

"Nobody’s perfect", conclue Billy Wilder à la fin de son film, comme pour excuser Marilyn d’avoir rendu le tournage invivable, comme pour s’excuser auprès du public des petites imperfections et du thème abordé dans son oeuvre. Pourtant Certains l’aiment chaud est considéré comme l’un des meilleurs films de tous les temps, un réel chef-d’œuvre à la réalisation parfaite servant des acteurs superbes dans une comédie hors-normes. En quelques mots, un film culte à plus d’un titre.

THE SWEET END OF THE LOLLIPOP

Si Certains l’aiment chaud est devenu un classique hollywoodien ayant traversé près de cinquante années sans prendre une seule ride, c’est avant tout grâce à son mode de narration et son esthétique. En effet, Billy Wilder a construit son scénario selon les recettes miracles hollywoodiennes: il fait baigner son film dans l’idée de sexe et y ajoute accessoirement une petite pointe de danger de mort, le tout traité sur le ton de la comédie. L’idée est mise en place dès le début de la campagne de promotion du film. En plus du jeu de mot du titre, "Some like it hot", qui préfigure non seulement un film enflammé au niveau du rythme, mais également sexuellement, la bande-annonce clame fièrement: "You’ve never laughed so much at sex … or a picture about it.". De plus, Wilder parsème son film de petits détails propres à la narration classique hollywoodienne, comme par exemple le fait de laisser aux spectateurs la possibilité de formuler des hypothèses sur la suite de celui-ci. Puisque Joe est saxo tenor, Sugar va-t-elle tomber amoureuse de lui? L’intérêt de tout ceci étant de savoir comment Billy Wilder va rendre ces hypothèses possibles. Sans être totalement prévisibles, les rebondissements sont amenés aux spectateurs de façon subtile, afin qu’ils se laissent prendre au jeu de la découverte. Du grand art. A tout ceci, il ajoute des références succulentes aux films de gangsters des années trente: de la parodie du massacre de la Saint-Valentin d’Al Capone à l’auto-référence de George Raft (inventeur du "toss coin" comme gimmick propre aux mafieux, se moquant d’un de ses sous-fifres qui joue avec une pièce de monnaie), en passant par le nom de Little Bonaparte, ersatz du célèbre Little Caesar interprété en 1931 par Edward G. Robinson.

Pour peaufiner le tout, Wilder fait le choix incongru, mais totalement justifié, de tourner le film en noir et blanc afin de respecter l’esthétique de l’époque. Avant même que le tournage ne débute, Marilyn s’oppose à cette volonté, son contrat avec la Fox stipulant qu’elle ne tournerait que dans des films en couleur. Wilder insiste, prétextant que le maquillage de Curtis et Lemmon passera mieux à l’écran si le film est en noir et blanc. Marilyn accepte de faire une entorse à son contrat. Le résultat est sublime. L’image est lumineuse. Sur un rythme soutenu accompagné par un jazz très "hot", Wilder filme mieux que personne les corps de ses acteurs, leur donnant une plus grande part de crédibilité. Chaque scène se pose comme une véritable leçon de cinéma. Au final, le film est nommé six fois aux Oscars: meilleur acteur pour Jack Lemmon, meilleurs décors, meilleurs costumes et meilleure photo pour un film en noir et blanc, meilleur réalisateur, meilleur scénario. Malheureusement, cette année là, se trouve face à eux la machine de guerre Ben Hur, qui rafle tout. Certains l’aiment chaud se contente du prix des meilleurs costumes pour un film en noir et blanc.

LOOK HOW SHE MOVES. THAT’S JUST LIKE JELLO ON SPRINGS.

Le rôle de Sugar Kane a été fait sur mesure par Billy Wilder pour une Marilyn considérée comme trop tatillonne sur le choix de ses personnages, constamment soucieuse de l’image qu’elle renverrait d’elle au public. Malgré les difficultés rencontrées sur le tournage, elle y apparaît plus resplendissante que jamais. Sachant toujours où et comment placer son regard, ses petits rires, ses attitudes, elle irradie l’écran, faisant à la fois ressortir son côté d’icône sexuelle et de gentille fille vulnérable (on se souvient de son entrée en scène accueillie par un sifflement de train). Billy Wilder déclare à ce sujet: "Ce que vous aviez réussi à lui arracher en vous accrochant, devenait étourdissant dès que vous le voyiez sur un écran. Etourdissant, tellement les radiations qui émanaient d’elle étaient fortes. Et c’était une excellente actrice pour les dialogues. Elle savait où ménager des pauses pour permettre au public de rire." Pour tout cela, la scène la plus marquante du film reste sans aucun doute sa fameuse interprétation de I wanna be loved by you, que le critique Roger Ebert considère comme "un strip-tease dans lequel la nudité aurait été superflue." En alchimie totale avec la caméra qui la filme, elle se sert de son corps comme d’un langage sexuel alors qu’elle chante innocemment une chanson pleine de naïveté. Marilyn elle même, avec toutes ses contradictions, voici ce qui transparaît derrière le personnage de Sugar Kane.

Aux côtés de Marilyn, Tony Curtis et Jack Lemmon en pros du camouflage. Doté d’un grand sens de la comédie, ils composent des personnages à différents degrés. Tony Curtis interprète Joe, un wanna be Cary Grant qui se transforme soit en Joséphine, soit en Junior, pour finir par mélanger les trois dans une séquence finale devenue culte. Jack Lemmon quant à lui est Jerry, le gentil copain qui se laisse embarquer dans les pires aventures, qui rentre dans la peau de Daphne. Si le rôle de Jack Lemmon semble moins complexe que celui de Tony Curtis sur le papier, il a pourtant été le plus difficile à travailler, car c’est sous les traits de Daphne que Jerry apparaît le plus souvent. S’appropriant tous les stéréotypes de la féminité, le personnage de Daphne a marqué les esprits autant que celui de Sugar Kane. Jack Lemmon a reçu pour ce rôle une nomination aux Oscars, le Golden Globe et le BAFTA. C’est à la suite de ce film que Jack Lemmon et Billy Wilder entameront leur longue collaboration, signant certaines des plus grandes comédies des années 60.

IT’S A WHOLE DIFFERENT SEX

Comme énoncé plus haut, il y a un décalage entre les deux personnages de Jerry et Joe, une différence d’assimilation au groupe des femmes. D’un côté, Jerry s’intègre en reprenant tous les stéréotypes de la féminité. Il parle avec une voix aiguë, parsème ses dialogues de petits rires, de chuchotements, se dandine sur ses talons, sort des répliques comme "No more food! I’ll have ants in the morning!", parle de poitrine avec Sugar au bord de la plage et semble totalement ravi de paticiper aux différentes activités du groupe. De l’autre côté, Joe essaye de garder ses distances, tenant toujours compte de sa masculinité. Il ne s’intègre jamais au groupe, reste toujours en dehors de l’action (dans le train, lors de la sortie plage) et dès qu’il en a l’occasion se "déguise" en Junior, un soi-disant héritier de Shell Oil, construit sur mesure pour séduire Sugar. Cette opposition de comportement entre les deux est également signifiée dans leur relation avec Sugar et dans le montage même du film, et ce en particulier dans la séquence de voyage entre Chicago et Miami. Alors que Jerry/Daphne est toujours filmé dans le même plan que Sugar lorsqu’il lui parle, impliquant une mise au même niveau des deux personnages, les discussions entre Josephine et Sugar sont soit hors-champ, soit filmées en champ contre-champ, ou alors séparées par un miroir, impliquant une sorte de hiérarchie entre les deux. Ainsi, l’action va sans cesse de Jerry qui "devient" une femme à Joe qui fait tout pour rester un homme. Cette opposition dans la transgression des genres est mise en place par Wilder dans le but de faire fonctionner son histoire. Si Daphne ne s’intégrait pas totalement au groupe des filles, le spectateur ne pourrait pas croire qu’Osgood la demande en mariage, de même si Joe ne restait pas à l’écart pour conserver sa masculinité, le personnage de Junior et sa love story avec Sugar ne seraient pas crédibles.

Mais le travestissement est avant tout utilisé par Wilder comme artifice de comédie. Il crée des personnages caricaturaux, comiques dans leur façon d’assimiler et de retranscrire les stéréotypes de la féminité. Ainsi, même si les deux hommes sont dotés de déguisements invraisemblables, le traitement parodique qui en est fait permet de rendre l’histoire plus crédible. De plus, Wilder mélange à ce comique-là des ficelles plus classiques, comme le comique de répétition et des répliques cinglantes qui tombent toujours juste. Le meilleur exemple de tout ceci étant la scène où Jerry, déguisé en Daphne, annonce à Joe habillé en Junior qu’il va se marier avec Osgood. Jerry/Daphne y développe une répartie des plus fantasques – alors que Joe lui demande "Why would a guy marry a guy?", il lui répond "Security" – entrecoupant le tout de sons de maracas sur un rythme de tango.

Une telle transgression des genres et des règles sociales, montrer à l’écran des hommes habillés en femme et des femmes libérées sexuellement boire jusqu’à pas d’heure, aurait pu poser à l’époque des problèmes de censure. Mais, à part quelques opposants parmi les représentants de l’église américaine, qui demandaient la censure intégrale de la fin du film où l’on voit "un homme accepter la demande en mariage d’un autre homme et une femme embrasser une autre femme", Certains l’aiment chaud ne rencontra aucun réel problème. En effet, Wilder a su négocier habilement son scénario. Tout d’abord, le travestissement des deux hommes n’est pas un choix de vie de leur part mais une obligation, il se fait dans un but précis, leur survie. Ensuite, sous son caractère pseudo-homosexuel, le film reste en fait dans un monde parfaitement hétérosexuel, basé sur le sexe et l’argent. Joe se libère de son personnage de Josephine, Junior qui apparaît comme frigide est guéri par Sugar et Jerry rompt son engagement de mariage en avouant que c’est un homme. Il n’y a guère que le "Nobody’s perfect" de Osgood qui puisse rester ambigü, à qui s’adresse-t-il?

par Julie Anterrieu

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